Montpellier : un congrès de “médecine intégrative” invite un adepte de l’anthroposophie

Le Poing Publié le 15 décembre 2023 à 15:37
Plaque commémorative à Rudolf Steiner, le fondateur de l'anthroposophie, à Weimar (Allemagne) - Photo libre de droit

Le “1er Congrès international dédié à la santé intégrative”, prévu du 17 au 20 décembre au Corum à Montpellier, entend allier médecine moderne et médecines alternatives. Parmi les invités, on retrouve un défenseur de la médecine anthroposophique, courant ésotérique épinglé par la Mission interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (Miviludes) pour ses potentielles dérives thérapeutiques.

Si Montpellier n’a pas été choisie pour devenir capitale européenne de la culture, serait-elle en train de devenir la capitale des thérapies new-age teintées d’ésotérisme ? En mai 2023, le salon du bien-être “Demain c’est aujourd’hui” accueillait au château de Flaugergues des entrepreneurs en bien-être (ainsi que des membres de la secte d’extrême-droite “Les Brigandes”). En septembre, des « mediums » et « guérisseuses » proposaient des « rituels de dégagement des magies noires » au plomb et autres massages, lithothérapie et « nettoyage énergétique du mauvais œil » à la journée des associations d’Antigone. En octobre, un autre salon du bien-être, “Mystic”, avait lieu au château de Flaugergues, sans médecins du CHU, mais avec son lot de « chamans », litothérapeutes et autres promoteurs de « thérapies holistiques ».

Toujours en octobre, la foire internationale de Montpellier, soutenue par la Ville, la Métropole et le Département, qui s’est tenue au parc des expositions, a encore fait la part belle aux « guérisseurs », « patriciens reiki », et « annulateurs de sortilèges »… Enfin, le salon “Bio&harmonies”, qui s’est tenu du 8 au 10 décembre dernier, également au parc des expos, mettait lui aussi en avant des « thérapies complémentaires » : « alchimie gnostique », « thérapeute dans le Quantique », « sono-thérapeute », « psychologie biodynamique », « soin spirituel »…

Plus sérieuses de par l’intervention de nombreux professionnels de santé reconnus, les journées internationales de l’Observatoire des pratiques professionnelles en santé intégrative (OPPSI), une association de promotion de cette médecine, se tiendront du 17 au 20 décembre au Corum, à Montpellier. La médecine intégrative désigne le recours simultané à la médecine fondée sur les faits scientifiques et aux médecines alternatives dans le suivi d’un patient. Objectif : ne plus prendre en compte seulement l’aspect physiologique du patient, mais aussi son vécu et sa sensibilité, et agir dans le domaine de la prévention en santé (au niveau de l’alimentation, par exemple) et plus seulement intervenir sur des symptômes.

L’association organisatrice prône une « pratique réflexive » qui « encourage les professionnels à examiner de manière critique et constructive leur propre pratique, en se référant aux connaissances existantes, qu’elles soient scientifiques ou autres, pour analyser leurs actions en cours ou passées. » Prix d’entrée : 260 euros pour trois jours ou 155 euros la journée, moitié moins pour les membres de l’OPPSI.

L’OPPSI propose également des formations « tout public » (payantes) sur son site pour développer ses compétences en santé intégrative, validées par le dispositif Qualiopi, qui certifie « la qualité des formations ». Le prix : 550 euros pour 7 heures, 900 euros les 14 heures, éligibles au CPF (compte professionnel de formation).

Parmi les intervenants, on retrouve Eric Renard, médecin endocrinologue au CHU de Montpellier, Mathieu Lacambre, psychiatre au CHRU de Montpellier, mais également des homéopathes, ostéopathes et naturopathes et autres médecines dites « complémentaires » ou « alternatives ». Des représentants de cultes (juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes) seront également présents pour parler du rôle de la foi et de la spiritualité dans les processus de guérison des patients. Et dans cette myriade de choix, l’un est plus questionnant : la médecine anthroposophique.

Un médecin anthroposophe invité

Le docteur Robert Kempenich, qui se présente comme médecin généraliste et médecin anthroposophe, sera également invité au salon.

Mouvement spirituel et ésotérique fondé au début du XXe siècle par l’occultiste autrichien Rudolph Steinner, l’anthroposophie a fait l’objet de nombreuses saisines auprès de la Miviludes. Ce courant ésotérique se décline en plusieurs aspects, notamment l’agriculture (avec la pratique de la biodynamie), des thèses raciales (les « blancs » et « aryens » seraient plus capables que les autres de s’élever spirituellement), la médecine (la maladie découle d’une destinée karmique, indissociable des erreurs et des pêchés commis par le patient dans l’une de ses vies antérieures), ou encore l’éducation, par le biais des écoles Rudolf-Steiner, souvent accusées d’endoctrinement, d’abus ou de racisme.

Auditionné par le Sénat en 2013, à la suite d’un premier rapport de la Miviludes évoquant la médecine anthroposophique, Robert Kempenich avait expliqué qu’il utilisait la médecine anthroposophique en complément de la médecine dite « scientifique » et moderne, et s’était étonné du rapport de la Miviludes : « Nulle part ailleurs dans le monde -et surtout pas en Europe – la médecine anthroposophique n’est considérée comme une secte ! Cela semble une situation spécifiquement française. » Le tribunal administratif de Paris a tranché quelques années plus tard et a jugé que la médecine anthroposophique  ne rentrait pas dans le champ des mouvements à dérives sectaires.

Mais la Miviludes, dans son rapport de 2021, évoque des potentielles « dérives thérapeutiques” de la médecine anthroposophique : incitation à soigner le cancer avec des injections d’extrait de gui, remplacement de traitements médicaux par de l’homéopathie… Parmi les croyances des médecins anthroposophiques citées dans le rapport et compilées dans un article de la Tribune de Lyon sur la question, on retrouve des affirmations telles que : « le cœur n’est pas une pompe », « il n’y a pas de nerfs moteurs », « tricoter donne de bonnes dents », « il ne faut pas trop se laver pour ne pas user nos forces éthériques », « trop stimuler l’intelligence des enfants provoque le nanisme », « les tâches de rousseur sont le signe qu’on était des idiots dans notre vie antérieure », « les dents sont les métamorphoses de nos orteils et les mâchoires de nos jambes », etc.

Grégroire Perra, ancien anthroposophe aujourd’hui lanceur d’alerte sur la question, a aidé la Miviludes à construire son dossier, via des expériences personnelles et témoignages compilés sur son blog. « J’ai vu comment un médecin anthroposophe choisissait délibérément de ne pas traiter la fièvre et la laisser monter dangereusement, y compris chez les enfants. J’ai vu ainsi ce médecin rester sans réaction face à un enfant qui avait 41 de fièvre et faisait des convulsions devant lui. Il lui avait même rajouté une couverture, afin de favoriser la montée de la température », écrit-il. Il ajoute que souvent, les médecins anthroposophes s’appuient sur des connaissances scientifiques pour masquer leurs opinions.

Fin 2022, Rue89 Strasbourg rédigeait un article sur une formation en médecine anthroposophique dispensée à l’Université de Strasbourg, et épinglée par la Miviludes, qui écrivait : « L’Université de Strasbourg a intégré la médecine anthroposophique au sein de son offre de formation continue. Il est ainsi possible d’y suivre des cours de médecine anthroposophique, notamment appliquée à l’oncologie et à la rhumatologie. Le site de la faculté vante la médecine anthroposophique au motif qu’elle “propose un élargissement de la médecine universitaire” sur laquelle elle se fonde, en intégrant dans sa démarche les niveaux biologiques, psychologiques et spirituels de l’homme. »

Le rapport de la Miviludes est contesté par le président de l’Anpaps (Association nationale pour la promotion et l’avenir de la pédagogie Steiner-Waldorf), Nicolas Tavernier, interrogé dans la Tribune de Lyon : « le rapport de la Miviludes ne s’appuie que sur le témoignage de monsieur Perra alimenté par trois ou quatre témoignages pourris et anonymes ». Nicolas Tavernier est le fils de Janine Tavernier, présidente de 1992 à 2001 de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), engagée auprès des victimes de diverses sectes. « Je sais ce qui est une secte et ce qui n’en est pas une. Les sectes, les vraies, c’est la Scientologie, le Mandarom », précisait-t-il chez nos confrères.

Ce n’est pas la première fois que le Poing évoque dans ses colonnes l’anthroposophie à Montpellier : en septembre dernier, nous révélions que la mairie et la Métropole avaient signé un prêt à une banque citée dans un rapport de la Miviludes dans son chapitre sur l’anthroposophie, et en octobre, que le site de la Ville faisait la promotion sur son “portail des assos” en ligne d’une association dont la mission est de faire connaître cette doctrine (supprimée après publication de notre article).

Contactée au sujet du rapport de la Miviludes évoquant les risques de dérives thérapeutiques de la médecine anthroposophique, la mairie de Montpellier, gestionnaire du Corum, n’a pas répondu à nos sollicitations.

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