« J’avais peur de faire le mauvais choix et de finir en enfer » : témoignage d’une ancienne membre de Kaya Team Universe

Elian Barascud Publié le 1 mars 2024 à 17:59 (mis à jour le 1 mars 2024 à 18:01)
Les locaux de l'association Kaya Team Universe sont situés dans la zone industrielle de Pérols, près de Montpellier. ("Le Poing")

Quelques heures après la publication de notre précédente enquête sur le mouvement crée par Pierre Lassalle et installé à Pérols, une ex-membre de l’organisation nous a envoyé un message pour discuter avec la rédaction du Poing. Nous l’avons rencontré pour qu’elle nous raconte son parcours, entre emprise et perte de confiance en soi dans ce qu’elle perçoit aujourd’hui comme une secte 

C’est dans un café Montpelliérain que Léa* nous a donné rendez-vous. En 2018, la jeune femme, alors âgée de 28 ans, vient de s’installer dans l’Hérault, et n’y connaît pas grand monde. « J’étais dans une période difficile, mon précédent projet professionnel n’avait pas fonctionné, je me posais beaucoup de questions et j’éprouvais de l’anxiété », explique-t-elle.

Elle rencontre ensuite un homme, avec qui elle démarre une relation amoureuse. « A l’époque, ça ne s’appelait pas encore Kaya Team Universe, c’était le Sentier du Graal [qui est également le nom d’un livre de Pierre Lassalle, ndlr], et il en faisait partie. Je suis rentré dans l’univers de Pierre Lassalle par les livres, puis j’ai rencontré d’autres membres du mouvement », décrit-elle.

« La trilogie renaissance »

Puis son compagnon de l’époque lui fait rencontrer ce que les adeptes nomment « le trio » : Pierre Lassalle, sa femme Céline et Lucie Delalain, les trois têtes pensantes du mouvement. En juillet 2018, Léa effectue son premier stage. Le prix : 190 euros, à régler en liquide uniquement. En octobre 2018, le premier acte de ce que Pierre Lassalle appelle la « trilogie renaissance » commence.

« Le premier acte permet de découvrir les bases de la méthode développée par Pierre, la méditation créatrice. Le deuxième est axé sur le travail des émotions.  C’était des trucs assez basiques, mignons, bienveillants, j’avais l’impression d’être au début d’une grande aventure spirituelle. Puis à un moment, on doit faire une étude méditative de trois semaines sur un sujet de notre choix à partir d’un livre de Pierre ou des évangiles, puis produire un écrit et lui envoyer. » Aujourd’hui, l’ancienne adepte décrit cette étape comme un « lavage de cerveau ». Elle a d’ailleurs conservé de nombreuses traces écrites qui attestent de l’inscription à divers stages, que nous avons pu consulter.

« L’acte trois, c’est là que ça commence à se corser », poursuit Léa. « Le stage est centré sur la volonté d’action. En gros on nous dit qu’on était dans une lutte contre les forces du mal, on nous parle de l’archange Michaël comme d’un modèle qui s’est opposé au mal. On nous explique qu’on a un combat à mener sur Terre pour se débarrasser de son impureté et de son égoïsme. Selon l’enseignement de Pierre, on doit se reconnecter à notre âme, car c’est la prochaine évolution de l’être humain, pour être plus proche de la nature et avoir une capacité d’amour supérieure. » Un discours manichéen inspiré du christianisme ésotérique.

Elle décrit dans ces stages « des gens de tous les milieux », et beaucoup de jeunes. « Certains avaient 18 ou 19 ans. » De son côté, Léa qui est à l’époque dans une phase de « reconstruction » et loin géographiquement de ses connaissances, ressent du « love bombing »« Les gens s’intéressent à moi, me sollicitent, m’invitent… »

« Problème de rayonnement »

En 2019, elle rejoint « les abeilles, jeunesse cré’activ », un groupe de 18-30 ans qui pratiquent la méditation créatrice de Pierre Lassalle. Ils organisent des évènements sportifs, culturels ou des séjours à thème à travers toute la France, toujours avec un aspect spirituel, dans le but de promouvoir la pensée de celui qu’ils appellent « le guide ». Tous ces évènements font selon elle l’objet d’un rapport écrit au « trio » (Pierre et Céline Lassalle ainsi que Lucie Delalain). Un de leurs objectifs est d’assurer le « rayonnement du mouvement », à savoir le recrutement de nouveaux aspirants. «On était souvent incité à ramener de nouvelles personnes », raconte Léa.

Durant l’été 2019, les « abeilles » partent quelques jours ensemble avec quelques autres jeunes de leurs réseaux respectifs qu’ils ont emmenés avec eux pour pratiquer la méditation, des jeux ou des activités artistiques.

Mais pour Léa, le séjour tourne très vite au cauchemar. « Il y avait une sorte de hiérarchie implicite entre ceux qui étaient là depuis longtemps et les plus récents aspirants. Les initiations proposées durant les stages marquent certains grades spirituels. Tout le monde ne participait pas à la même échelle, certains voulaient se consacrer uniquement au spirituel et pas aux aspects matériels du séjour. Cela a créé de la jalousie et des tensions. »

Tensions qui déboucheront sur un règlement de comptes vécu comme « traumatisant » par Léa. « On a du faire un tour de parole pour confesser toutes les pensées négatives qu’on a eu sur une personne, en sa présence, une sorte de rédemption. La personne l’a très mal pris. J’ai pris une claque, j’ai vu un décalage entre le discours d’amour qu’on prônait et la réalité. »

« Le guide est malade »

Automne 2019 : nouveau stage de cinq jours, moyennant 450 euros, hors hébergement. Sauf que quelques jours avant ledit stage, certains membres reçoivent un courrier de Céline Lassalle, indiquant que Pierre est malade, et qu’il ne pourrait pas tenir le stage. « C’était selon elle la faute des aspirants, qui avaient de la colère en eux, et qu’ils ne faisaient pas assez d’efforts pour le rayonnement du mouvement. C’était ces projections négatives des aspirants qui avaient rendu Pierre malade », décrit Léa, en déballant d’une pochette de nombreux courriers échangés avec la structure.

La panique s’installe alors chez les adeptes, qui décident malgré tout de maintenir le stage pour trouver une solution au « problème de rayonnement ». « Si les gens avaient des projections négatives, on devait soit les réveiller, soit les faire partir », se remémore Léa. Mais très vite, la situation devient une nouvelle fois explosive. « C’était hyper toxique, chacun avait des suspicions sur qui émettaient des projections négatives, on devait se justifier en passant un par un pour dire comment on incarnait l’enseignement. J’ai passé beaucoup de temps seule à pleurer. Le discours c’était qu’il y avait deux camps, les brebis et les boucs, et que si on voulait rester dans le camp des brebis il fallait travailler sur nous. »

C’est à ce moment-là que Nicolas*, un proche de Léa et de plusieurs membres du mouvement, sans pour autant y adhérer lui-même, commence à s’inquiéter. Contacté, il explique : « Je suis dans beaucoup de trucs de développement personnel, des fois, pleurer peut faire partie de la thérapie. Mais là, j’avais déjà ressenti un discours assez borderline, et quand je voyais des jeunes pleurer et qu’ils se fermaient dès que je leur posais des questions, je me suis dit que c’était louche ».  Le 14 novembre 2019, il décide de faire un signalement à la Mission Interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires.

De leur côté, d’autres proches de Léa se posent également des questions. « A la fin de chaque stage, on avait une grosse révélation. On nous disait que vivre en ville était suicidaire, donc j’étais isolée à la campagne, sans téléphone portable car Pierre nous avait révélé qu’ils contenaient des ondes qui pouvaient nous manipuler. Du coup, quand je rentrais dans ma famille et que j’utilisais un ordinateur portable, mon frère me demandait si c’était autorisé dans ma secte. »

Juste avant le Covid, Léa suit le stage « reliance », une sorte de confirmation après la trilogie. D’habitude, les stages sont animés par Lucie ou Céline, mais là, Pierre Lassalle en est l’invité surprise. « C’est une cérémonie où on dit qu’on le choisit comme guide », détaille la jeune femme.

« Les vaxxés renient leur âme »

Début 2020,Pierre Lassalle dissout le sentier du Graal. « On nous disait que l’organisation était attaquée par les énergies occultes de certains aspirants » précise Léa. L’association « Kaya Team évenements », dont l’annonce au journal officiel paraît le 8 février 2020, est créée, alors que le mouvement Kaya Team Universe, lui, existe déjà.

Puis vient le confinement, Léa et les autres adeptes sont perdus. « On était tous pendus derrière nos pc à attendre des articles ou vidéos du guide. » C’est à cette période que le discours se durcit encore. « Pierre s’est saisi du Covid pour nous dire que la séparation entre les brebis et les boucs dont il parlait depuis des années était en train d’arriver. Il disait que les masques étaient une soumission de notre identité, que les gens « vaxxés » renient leur âme et que les forces obscures étaient à l’œuvre. »

A l’arrivée du local à Pérols, fin 2020, seules les personnes non-vaccinées sont autorisées à y rentrer. « On y faisait des évènements ou les invités devaient eux-même payer pour proposer leurs activités », raconte Léa. Un fait corroboré par un autre témoignage de Paul*, musicien que le Poing a contacté, qui raconte avoir été sollicité par Kaya Team pour venir parler de sa pratique musicale en s’acquittant d’une somme d’argent.

Puis des propos entendus par Léa finissent par la choquer et à semer le doute en elle. « Pierre disait que l’homosexualité est une maladie psychique, ou que faire des enfants était égoïste à cause de l’apocalypse à venir. » Au cours d’un stage juste avant Noël, Céline Lassalle explique aux adeptes : « Vous n’avez plus de famille. A 21 ans, vous avez la majorité spirituelle, vous avez plus rien à devoir à vos parents. »

La sortie

Le déclic commence à poindre fin 2021. Léa commence à ce moment-là une reconversion professionnelle, qui lui permet de voir des gens extérieurs au mouvement, ce qui lui fait du bien selon elle. Puis le premier élément déclencheur arrive : « On sortait d’un stage où j’avais attrapé le Covid. Je n’étais vraiment pas bien, mais on avait un groupe de travail quelques jours plus tard, j’y suis allé avec 40 de fièvre et je me suis écroulée. En rentrant chez moi je me suis dit que c’était malsain et que je maltraitais. Je n’en pouvais plus. »

Puis, alors qu’elle souhaite se désinscrire d’un autre stage, des gens du mouvement viennent la voir chez elle où l’appellent pour la convaincre d’y assister, en expliquant que si elle ne le fait pas, elle ne pourra pas passer cette étape initiatique cette année. « Je me sentais très coupable. » Elle quittera finalement le mouvement en 2022. « Une amie hors de Kaya Team m’a montré un documentaire Arte sur l’emprise sectaire, je crois que ça m’a aidée », explique-t-elle.

Mais les conséquences de son départ sont nombreuses. Financières d’abord. « Cela m’a appauvrie, je préférais m’inscrire à des stages que payer mon loyer. » Émotionnelles aussi : « J’ai eu un gros sentiment de culpabilité, j’avais peur de faire le mauvais choix et de finir en enfer. Aujourd’hui encore, je me sens fragile, j’ai toujours tendance à me demander s’il y a quelque chose de caché derrière les apparences, j’ai du mal à avoir confiance en moi et à retrouver qui j’étais avant. » Aujourd’hui, elle se dit assez méfiante envers ce qui touche à la spiritualité, et a tiré une leçon de son expérience : « Personne n’est mieux placé que nous pour décider pour nous-même ».

Contactés, Céline et Pierre Lassalle n’ont pas répondu à nos questions.

* prénoms modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.

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