La justice va-t-elle interdire le slogan « Tout le monde déteste la police » ?

Le Poing Publié le 14 janvier 2020 à 10:17 (mis à jour le 14 janvier 2020 à 20:43)

Jugé à la cour d’appel de Montpellier pour des faits d’outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique en manifestation remontant à 2016, Jules Panetier, journaliste au Poing, a vu sa peine de deux mois d’emprisonnement ferme confirmée par la cour d’appel de Montpellier sur la base d’arguments plus que douteux.

Accusé d’avoir outragé à plusieurs reprises un policier de Montpellier lors de manifestations, Jules avait nié les faits et attaqué la procédure dans la forme comme sur le fond, comme nous le racontions dans ce compte-rendu d’audience.

« Un militant engagé tenant les policiers pour des adversaires »

La forme, d’abord. Deux exceptions de nullité ont été présentées par la défense. Déjà, concernant l’interpellation sauvage dont Jules a fait l’objet, en pleine rue, sans avoir été convoqué par la police – ce que le tribunal justifie en affirmant qu’il était SDF et vivait dans un squat, alors qu’il disposait d’une adresse légale parfaitement connue des services de renseignement, puisqu’il avait déjà eu affaire à la justice auparavant. Passant outre ces arguments, le jugement souligne que Jules est un « militant engagé et revendiqué tenant les policiers pour des adversaires », ce qui semblerait justifier l’urgence qu’il y avait de l’interpeller par tous les moyens possibles, sans avoir à y mettre les formes légales. D’ailleurs, le jugement ne manque pas souligner que Jules est fiché « S », un fichage administratif inique attestant semble-t-il de sa dangerosité, au nom de laquelle il serait donc permis de déployer des procédures d’exception.

La défense a également tenu à souligner le manque criant d’impartialité de la procédure subie par Jules – puisque le policier-accusateur, les policiers-témoins qui appuient les dires de ce dernier et les policiers chargés de l’enquête, en plus d’appartenir à un même corps d’Etat (pourquoi ne pas avoir confié l’enquête à des gendarmes, par exemple ?) travaillent ensemble, au même endroit. Vous avez dit collusion ? Mais l’argument sera rejeté pour ne pas avoir été soumis en première instance, laissant le fond du problème intouché.

Les déclarations des policiers « possèdent une valeur particulière »

Pour ce qui est du fond de l’affaire, le jugement est limpide : la parole des policiers ne peut souffrir d’aucune suspicion. Collusion entre collègues, business de l’outrage, comptes à régler avec la « mouvance anarchiste » (plusieurs fois évoquée dans le dossier) dont Jules serait un des meneurs… Aucune de ces possibilités ne semble effleurer l’esprit du juge, qui précise même que les déclarations des policiers possèdent « une valeur particulière en ce qu’elles émanent de personnes assermentées et concourant à la paix publique », tandis que « les dénégations du prévenu » et de ses témoins « ne sauraient être considérées comme d’égale valeur probante. »

Et la cour va plus loin en faisant entrer dans le registre, pénal, de l’injure et de l’outrage, des propos constamment émis par les foules contestataires : « Qualifier des policiers d’assassins, de mal-aimés de la population, de personnes haïssables et haïes, relève manifestement d’un registre injurieux. La loi y voit des propos portant atteinte à l’honneur et à la considération de ceux qui les entendent répéter à longueur de temps. »

Jules, qui avait tenu, à la barre, à déplacer le débat de l’injure individuelle qu’on lui reproche et qu’il conteste vers les dérives du maintien de l’ordre en France, qui engendrent de fait une détestation massivement partagée par les citoyens des forces dites de l’ordre, n’aura pas réussi à faire (ré)flêchir la cour : son « attitude » et le discours qu’il a « tenu devant la cour » tendraient à accréditer la thèse du dangereux anarchiste irrécupérable qu’il convient d’envoyer en prison pour des propos dont personne n’a apporté la preuve formelle qu’ils aient été tenus, en-dehors des témoignages de policiers pour un autre policier.

Jules écope donc bel et bien de deux mois fermes, dont l’aménagement sera laissé à l’appréciation du juge d’application des peines. Et une dernière absurdité vient conclure le dossier : Jules est condamné à verser 400€ de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi par le policier outragé et 400€ pour rembourser ses frais de justice – frais qui lui ont en fait été payés par l’Etat. Mais pas de panique ! La justice fait confiance à la « victime », à qui elle laisse la charge de restituer les sommes avancées « à la collectivité publique ».

Jules, évidemment ciblé et harcelé en raison de ses activités militantes, poursuivra désormais le combat devant la Cour de Cassation. Ce recours suspend sa peine.

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