La Ligue des Droits de l’Homme espère un possible revirement pour les prisonniers catalans

Le Poing Publié le 11 décembre 2019 à 12:05 (mis à jour le 11 décembre 2019 à 16:51)
Rassemblement pour la libération des prisonniers politiques catalans, le 18 octobre 2019 à Montpellier.
Le rapporteur de la Cour européenne de justice (Luxembourg) a estimé que rien ne peut s’opposer à l’exercice effectif du mandat des élus catalans actuellement emprisonnés. Verdict – et nouvelles actions – prochainement attendus

Une trentaine de personnes en débat sur la question des prisonniers politiques catalans ce 9 décembre à la Carmagnole. Les organisateurs semblaient plutôt déçus. C’est tout relatif. On a rarement dépassé le double dans les manifestations au plus chaud de l’actualité outre-Pyrénées voici quelques semaines. On sait comment le mental hexagonal jacobin n’aime les questions de minorités nationales que lorsqu’elles se présentent au Rojava, au Tibet, en Amazonie. Loin, très loin. Mais dans les Pyrénées, là à notre porte, vous n’y pensez pas. Même de longue tradition progressiste, l’indépendantisme catalan ne saurait être qu’ethniciste, communautariste, régressif et maurassien.

Il faut se faire à cette universalisme de vainqueur, cette hémiplégie mentale, verrouillant l’approche un peu complexe des questions d’identité (quoique sur un tout autre versant, les populations issues de la colonisation en font leur part d’expérience de leur côté). Se dire, donc, que trente personnes, ça n’est pas si mal un lundi soir de frimas, hors actu brûlante sur le sujet abordé, tandis que tous les esprits sont légitimement accaparés par les mobilisations sur les retraites. Le débat de ce soir là s’organisait autour de deux invités de qualité.

Mercé Barcelo est constitutionnaliste à l’Université de Barcelona. Et Dominique Noguères – vice-présidente nationale de la Ligue des Droits de l’Homme, entité co-organisatrice de la soirée avec La Carmagnole – est avocate. Elle s’est imposée en observatrice de l’interminable procès des indépendantistes catalans devant le Tribunal Suprême espagnol (très irrité par l’idée même d’être ainsi observé puisque se présentant en parangon de la démocratie réalisée sur cette terre). Forcément, on a appris beaucoup de choses, à partir de la question que tout le monde devrait se poser, comme Dominique Noguères : mais comment se fait-il que dans une démocratie, des responsables politiques soient punis de peines de neuf à treize années de prison sans jamais avoir commis ni appelé au moindre acte violent ?

C’est là qu’il fallait en passer par l’exposé historique de la constitutionnaliste catalane, remontant à la chute de la couronne barcelonaise en 1714, pour expliquer comment tous les régimes autoritaires qui se sont abattus ensuite sur la péninsule se sont arc-boutés, entre autres, sur l’obsession de l’unité territoriale de l’État espagnol, sans aucune reconnaissance envisageable des nationalités basque, catalane et galicienne en tant que sujets politiques.

C’est notamment ce qui range les nationalismes qui en découlent dans le camp républicain péninsulaire, tournés vers un horizon d’émancipation et d’ouverture internationale, à revers de la tradition militariste, oligarchique, traditionnaliste, catholique réactionnaire et autoritaire, dont le franquisme aura constitué un effrayant sommet. Dans la bouche d’un Francis Viguié, responsable de La Carmagnole, on sent comment le soutien aux prisonniers catalans participe d’une suite logique à un long militantisme en soutien aux antifranquistes.

Or en écoutant la conférencière catalane, il ne fait aucun doute qu’un fort héritage franquiste continue d’imprégner les logiques de l’État espagnol, d’occuper physiquement certaines de ses institutions clés, dont le Tribunal Suprême – ses membres doivent, pour la plupart, leur nomination au régime du Partido Popular, fondé par des ministres du dictateur.

On nous pardonnera ici un détour sur deux points d’histoire, plus récente. Quand le colonel Tejero tente un coup d’état en plein parlement (1981), certes il échoue, mais dans la foulée immédiate, et sous pression de l’armée, la constitution espagnole se voit vidée du pacte spécifique qui reconnaissait l’Euskadi (Pays basque), la Catalogne et la Galice comme nationalités – laissant une porte entrouverte à la perspective d’un Etat plurinational. Cela est alors dilué dans un régime général d’autonomies accordées à toutes les régions d’Espagne, même non demandeuses. La jeune démocratie s’incline devant les idéaux putschistes.

Puis en 2006 se conclut une révision du statut d’autonomie de la Catalogne, tel que dûment prévu et encadré selon un processus consultatif très approfondi, sur plusieurs années. Le projet ainsi obtenu est très largement approuvé par le parlement catalan, par le parlement espagnol, par le corps électoral catalan par voie référendaire. Seul le Partido Popular alors très minoritaire s’y oppose. Il entre en recours devant la Cour suprême – autre repère post-franquiste – qui, en juillet 2010, le vide de l’essentiel de son contenu politique (la reconnaissance de l’existence d’une nation catalane).

C’est de ce jour que l’indépendantisme, qui stagnait électoralement entre les 5 et 10 %, devient un gigantesque mouvement de masse, qui déborde les politiciens catalans eux-mêmes. Sur la base de la confiance rompue, sur le ton du ça suffit – on a compris, le slogan devient : Nous sommes une nation, nous décidons. Il n’est pas mince de constater qu’une majorité d’anti-indépendantistes réclament eux aussi ce droit à décider, à en sortir politiquement et non policièrement ou judiciairement. 80 % des habitants de la Catalogne, donc une part majoritaire des non Catalans eux-mêmes, veulent un référendum pour enfin pouvoir trancher. Cela se fait en Ecosse. Cela se fait au Québec. Cette procédure serait donc hallucinante ?

Puis il revenait à l’observatrice du procès, et défenseuse des Droits de l’Homme, de pointer mille détails du déroulé de celui-ci. « La grande indifférence qui entoure le cas des prisonniers catalans, participe de l’inquiétante régression du niveau général de vigilance pour les atteintes aux droits de l’Homme. Il semblerait qu’on soit en train de s’accomoder d’à peu près tout » a-t-elle averti. C’est beaucoup en position de technicienne du droit, que Dominique Noguères s’est exprimée. Pour un auditeur politique, il en découle toujours cette étonnement à l’idée implicite qui en découle, qu’il pourrait y avoir de meilleurs procès politiques – voire de bons procès politiques, en définitive ?

Cette réserve posée, il faut relayer la stupéfaction de l’avocate française en train d’observer « un tribunal totalement glacé, où les prévenus sont isolés au centre, sans la possibilité du moindre contact avec leurs avocats, et sans que jamais les dépositions fassent l’objet de débats contradictoires. De surcroît le président lui-même décide à sa totale discrétion de quelles pièces on va examiner ou pas. Ce n’est que le dernier jour qu’on a pu enfin observer des vidéos documentant des faits, de manière ahurissante, par centaines, sans qu’on sache rien de leur provenance, leur contexte, leur nature ». Etc.

Au-delà de ses constats inquiets, la militante des droits de l’homme entrevoit une lueur d’espoir. Le 19 décembre, la Cour européenne de justice, à Luxembourg, se prononcera sur le recours des prisonniers politiques catalans, régulièrement élus avant leur condamnation à Madrid, qui exigent le droit d’exercer leurs mandats de députés européens – à commencer par Oriol Junqueres, le premier de leur leader, indépendantiste de gauche. Or, le rapporteur devant cette instance, a estimé que rien, en effet, ne saurait s’opposer à l’exercice d’un mandat régulièrement issu du suffrage universel. Il est d’usage que la Cour se range ensuite aux conclusions qui lui ont été soumises.

Ce serait alors une petite bombe, ouvrant toutes les hypothèses quant à la concrétisation des condamnations prononcées à Madrid. Ce ne serait pas la première fois que des juridictions européennes concluent aux bons droits des leaders catalans, et refusent de donner suite aux recours de l’État espagnol à leur encontre. Mais cette fois, c’est la veulerie des politiciens européens, claquemurés dans un pseudo-respect des affaires intérieures espagnoles – quand rien ne les gêne pour intervenir en faveur des droites factieuses boliviennes ou vénézuéliennes, entre autres. Ainsi le Parlement de Strasbourg, qui a honteusement tenu ses portes fermées aux élus catalans, se trouverait en porte-à-faux devant décision de la Cour de Luxembourg.

Cela va-t-il passionner les foules ailleurs qu’en Catalogne ? Les militants montpelliérains de la cause entendaient réfléchir à l’opportunité de se saisir de ces nouvelles péripéties.

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