La prestigieuse chaîne Arte se ridiculise avec un fake-reportage sur Montpellier

Le Poing Publié le 23 décembre 2019 à 19:10
Gilets jaunes au pied de « l'Arbre blanc » de Montpellier, le 10 août 2019
« Nous sommes jeunes, dynamiques, pleins d’imagination » : par ces mots débute un « documentaire » télé qui voudrait présenter Montpellier comme « La Californie française », mais se fait surtout écharper sur les réseaux sociaux.

À en juger par les likes, le commentaires et les émoticônes, une bonne quantité de Montpelliérains ont trouvé de quoi se dérider en cette période de fêtes un peu tendue. Il leur suffit de taper « Montpellier Californie Arte » sur un moteur de recherche, pour tomber sur un grand sketch à gags. En douze minutes, un « reportage » diffusé le 12 décembre dernier par la chaîne Arte, prétend présenter « Montpellier, la Californie française ».

L’expression est si éculée, tellement ringarde en nous renvoyant à l’époque des pires boursoufflures frêchiennes, que tout de suite, forcément, on se tient les côtes. Ça débute par des images de l’opération Ville-lumière – ce plagiat au rabais d’une grande manifestation lyonnaise qui a au moins, elle, la légitimité de l’ancrage historique. Et d’après le réalisateur du film – Wolfgang Kabish, qu’on a sincèrement cru n’être qu’un stagiaire déboussolé – cette « fête » est pour Montpellier l’occasion de se montrer en spectacle à elle-même, derrière le slogan « Nous sommes jeunes, dynamiques, pleins d’imagination ».

On continuera d’y voir essentiellement des jeunes, en effet, implicitement présentés comme des Montpelliérains types : étudiants et créatifs, ils sont tentés de s’attarder en ville pour y inscrire leur devenir de start-upeurs. Le casting a manqué de sagacité, et il faut se laisser guider par une étudiante en architecture au discours d’une platitude scolaire déprimante. Mais pas peu fière de présenter L’Arbre blanc, le gros machin épate-bourgeois dressé sur un giratoire à Richter, où le mètre carré avoisine les 6000 euros, et qui serait le « bâtiment repère » dont la ville avait besoin. C’est bête, on n’avait pas encore pensé à aller y prononcer notre prière quotidienne.

Sans doute, à l’instar des lecteurs du Poing, ne faisons-nous pas partie des Montpelliéro-Californiens, ceux qu’aimantent le « Centre alternatif » (sic) de la Halle Tropisme qui abrite « des start-ups qui forment des pilotes de drones » – on ne rit pas, c’est ce qui est dit en premier ! Tout le commentaire s’égrène, à ce niveau lénifiant, sur le ton de voix linéaire et uniforme d’un film touristique promotionnel. À ce degré néant de la pensée, on apprend que les carrosseries designées des trams montpelliérains sont l’une des traductions de « la culture pour chacun ».

Ça ne peut que finir en apothéose, où il est dit que Montpellier a pour elle « la mer, le beau temps et une culture qui lui est propre ; de bons préalables pour que la joie de vivre y dure encore longtemps ». Pardi. Ainsi le reporter n’a-t-il pas su, pas voulu savoir, pas cherché à savoir que… Qu’à Montpellier on meurt dans la rue (par deux fois la semaine passée, on y reviendra prochainement), mais qu’un commissaire divisionnaire vient d’annoncer faire de la traque aux SDF sa priorité – y compris par le traitement inhumain qu’est le rapt de leurs animaux.

Qu’à Montpellier les migrants s’entassent en bidonvilles et en squats, phénomène que le préfet vient d’annoncer savoir résoudre, en mettant à exécution les arrêtés d’expulsion. Lumineux. Le même reporter n’a pas vu, pas su, pas entendu qu’à Montpellier les manifs de gilets jaunes n’ont jamais cessé, ce qui signifie peut-être quelque chose pour qui se pose une ou deux questions. Qu’à Montpellier on explose les compteurs du chômage, on patauge dans l’économie précaire généralisée. Et puisqu’on nous revend à un détour de phrase que « la ville ne dort pas », c’est surtout par le cauchemar du dernier plan annoncé par le même commissaire divisionnaire, manifestement nostalgique des époques de couvre-feu.

Dans cette chaîne de prestige qu’est Arte, il ne doit pas manquer de commentateurs pour déplorer la prolifération des nouvelles pratiques du journalisme libre et de lutte (dont Montpellier offre un exemple, par Le Poing et pas que), qui ne seraient pas fiables, pas pro, inquiétants en un mot. Une fois cela dit doctement, ils montrent ce dont ils sont eux-mêmes capables : un fake-reportage, produit ultime de l’accouplement monstrueux entre la précarisation des métiers de l’information, et la manipulation de cette dernière par les officines de communication.

Puisqu’on a choisi de le prendre néanmoins à l’humour, il reste à poser la cerise sur le gâteau. Soit les trois mini-discours – sans aucune contradiction – du maire de la ville, émaillant ce grand moment médiatique. Le Frêchiscule (modèle extrêmement miniaturisé de feu le conducator Georges Frêche), le nouveau génie jauresso-bonaparto-macronien, prend son ton le plus grave, pour nous dire qu’à Montpellier on a misé sur « la culture de très bon niveau pour tous les citoyens » (soit la tarte à la crème de n’importe quel élu local, particulièrement social-démocrate). Avec cette information stupéfiante au passage, comme quoi en ville « 80 % des lieux de culture sont gratuits » (?!?!?!).

Manque de pot, notre premier magistrat se voit à chaque fois engrammé à l’écran sous le patronyme de Philippe Sorel. Ce « O », tout de même… Forcément, on pense à un zéro pointé.

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