L’antifascisme, “combat collectif à porter partout” : Entretien avec la Jeune Garde de Montpellier

Le Poing Publié le 17 juillet 2024 à 15:02 (mis à jour le 17 juillet 2024 à 15:11)
La section Montpelliéraine de la Jeune Garde était présente le 15 juin dernier lors d'une grande manifestation contre l'extrême-droite dans les rues du Clapas. (Crédit Photo : Mathieu Le Coz / Hans Lucas)

Créée en 2018 à Lyon pour lutter contre l’extrême-droite, la Jeune Garde, qui s’est depuis étendue dans d’autres villes, a récemment fait parler d’elle après l’élection de son porte-parole Raphaël Arnault à l’Assemblée Nationale. Rencontre avec la section montpelliéraine de l’organisation

Le Poing : La Jeune Garde Antifasciste a récemment été mise sous les projecteurs avec l’élection de son porte parole Raphaël Arnault à l’Assemblée : pouvez-vous revenir sur l’histoire de votre organisation ?
La jeune Garde : La Jeune Garde est une organisation antifasciste de jeunesse née il y a six ans à Lyon. L’objectif premier, profondément lié au caractère urgent du contexte lyonnais, était d’organiser la défense des évènement de notre camp politique (manifestations, conférences etc) car, les mouvement sociaux étaient, à cette époque, attaqués par l’extrême-droite et ce de manière systématique. Il y avait, à l’époque, six locaux ouverts (Bastion Social, Génération Identitaire, Action Française…) et de nombreuses attaques partaient de ces locaux.

L’urgence a donc été de construire l’autodéfense de la jeunesse au sein de notre camp afin de faire face à ces attaques ultra violentes (c’était des dizaines de fascistes armés qui attaquaient dans la plus grande impunité). L’objectif était ainsi de recréer une pratique d’autodéfense en collaboration avec les organisations politiques, syndicales et associatives, tout en s’inspirant des pratiques utilisées par le passé, notamment par la CGT ou par la SFIO. Quelques années après, de nouvelles sections ont vu le jour dans plusieurs villes en France (Strasbourg, Paris, Lille, Montpellier, Aix-Marseille) et un travail de plus en plus large et de plus en plus technique a pu s’opérer.

Menant des campagnes de terrain, comme par exemple à Lyon, visant à la fermeture des locaux fascistes, menée au sein d’un collectif unitaire, nous visons à la démocratisation de l’antifascisme. Cette stratégie a d’ores et déjà fait ses preuves, notamment à Lyon, où la Jeune Garde a obtenu plus d’une victoire : les groupuscules fascistes sont passés de six locaux à trois encore ouverts aujourd’hui. Dans la vision qui est la nôtre, l’antifascisme n’est ni une identité, ni une fin en soi : c’est un combat collectif contre l’extrême-droite, qui doit être porté sur tout les terrains, avec l’ensemble des acteurs politiques du monde associatif, syndical et politique. À Montpellier, ça fait bientôt trois ans que le groupe existe. Nous l’avons créé pour nous organiser face à la montée des groupuscules locaux qui s’avéraient de plus en plus violents et qui, depuis plusieurs années, ne cessent d’agresser des personnes isolées, mais également dans l’objectif de lutter contre le vote RN dans l’Hérault.

Quel bilan tirer de la séquences des législatives ?
Une gauche qui allait du NPA au PS et capable de s’unir en 24 heures, c’est assez historique et ça démontre la nécessité d’un bloc uni face au RN. Ce qu’il faut retenir, de notre point de vue, c’est la mobilisation très forte des français contre l’extrême droite, une participation en hausse lorsqu’on tire la sonnette d’alarme et qu’on perçoit les impacts concrets que ces élections peuvent avoir sur notre quotidien. C’est cette dynamique qui est importante, celle du terrain. L’ensemble des organisations de gauche ont énormément recruté, à commencer par les Insoumis qui ont communiqué sur une hausse significatives des demandes d’adhésion à leurs groupes d’actions. Des portes à portes et des tractages où les militants étaient parfois une cinquantaine, voire plus dans les grandes villes.

Cette repolitisation de la population et spécifiquement de la jeunesse doit nous inspirer et nous donner espoir pour la suite. Évidemment, les scores du RN sont à prendre en compte. Nous y étions préparés. La société connaît une très forte période de clivage. Le macronisme est en train de s’effondrer et les français ont eu à choisir un camp. Ce qui est certain, c’est que ces législatives ont démontré qu’il existe une force sociale et politique de gauche capable de lutter contre le RN et qui compte bien s’organiser pour faire front dans la période à venir.

Selon vous, quelles sont les perspectives stratégiques de lutte contre l’extrême-droite qui découlent de ce bilan ?
En terme de perspectives, il y a du côté politique la nécessité d’apporter de la clarté : les électeurs attendent une unité du Nouveau front Populaire. Loin des embrouilles politiciennes, nous pensons que les trois prochaines années devront être menées par la lutte de terrain : la gauche doit être présente aux côtés des acteurs sociaux qui souffrent déjà d’une politique néolibérale ultra violente. À l’heure où l’individualisme est prôné, et où c’est ce même individualisme qui a mené au vote RN, recréer du lien entre les gens, créer des espaces de solidarité et de rencontre fondés sur des valeurs antiracistes, de partage et d’entraide est la clé pour construire une base solide prête à lutter d’abord pour éviter le RN au pouvoir, puis ensuite pour l’en démettre s’ils passent.

Avec les succès électoraux du RN et la dissolution d’une série d’organisations néofascistes, dont le GUD, on assiste à une rapide recomposition de l’extrême droite, de la rue au Parlement. A Montpellier, quelle est la situation ?
Ce qui est à noter localement c’est d’abord une région qui vote énormément RN, spécifiquement sur la côte méditerranéenne. Nous pouvons nous féliciter de l’échec cuisant de Reconquête, que ce soit nationalement mais aussi localement, ou leur base militante de 2022 est partie au RN par stratégie électorale ou fonder des groupuscules néo nazis comme le bloc Montpelliérain. Nous en saurons évidement plus à la rentrée militante, l’été laissant une pause forcée sur le terrain.

La Jeune Garde défend l’autodéfense de classe, tout en ayant un visage public, légal ; comment articuler les deux, sans se confronter rapidement à une menace de dissolution ?
Lorsque l’on parle d’autodéfense, c’est la menace de l’extrême-droite qui nous vient immédiatement à l’esprit et à juste titre. Les groupes fascistes représentent une menace concrète pour nos luttes et pour la sécurité des camarades qui les portent. Pour autant, la question de l’autodéfense ne se limite pas uniquement à cet aspect de lutte contre les groupes d’extrême-droite radicale. Lorsque la Jeune Garde parle d’autodéfense, elle parle, comme vous l’avez évoqué dans votre question, d’autodéfense de « classe ».

Cette conception de l’autodéfense se traduit par la capacité de notre classe sociale à prendre en main l’ensemble des outils qui lui permettent de se protéger de la violence à laquelle elle doit faire face, que cette violence provienne de l’extrême-droite, de l’État ou encore du patronat.

Suivant cette logique, il est normal que nous considérions, par exemple, le syndicalisme comme une forme d’autodéfense de classe, puisqu’il consiste en une organisation des travailleurs face à la violence que représente l’exploitation capitaliste : ce qui explique par ailleurs que nous travaillions si étroitement avec les formations syndicales présentes dans nos villes.

Dans notre perspective, il n’existe en fait pas de contradiction entre la construction d’une autodéfense de classe et l’exposition à la répression d’État. C’est même tout l’inverse. L’autodéfense de classe est précisément cet outil qui doit nous permettre de nous protéger face à l’arbitraire de l’État et aux menaces de dissolution que l’on voudrait laisser planer sur notre organisation politique.

La Jeune Garde semble aujourd’hui avoir des liens privilégiés avec différents syndicats et paris de gauche, en particulier avec les insoumis : quelle est votre stratégie par rapport à ces organisations ?
Nous avons en effet des liens privilégiés avec plusieurs organisations qui peuvent parfois avoir des conflits entre elles. Nous nous posons toujours la question suivante : « Comment servir les intérêts de notre classe au mieux ? » Ainsi, travailler avec la CGT, dont la lutte antifasciste est historique, qui fait face à une baisse de la syndicalisation tout en tentant de se renouveler, et également de faire le ménage dans ses rangs, était évident.

Ils sont également une grande force de formation et ont des clés de lecture nécessaire à la lutte des classes, nos membres ont pu par exemple être formés sur la crise de 2008, tournant majeur pour la compréhension de notre situation économique. Nous avons également pu appréhender la force de mobilisation de Solidaires sur les questions antiracistes et dont la radicalité est nécessaire au mouvement social. Dans le même temps, le travail avec les insoumis est évident pour nous. Ils sont la première force d’opposition à gauche et portent un programme qui fait preuve de clarté, qui est audible par la population et qui repolitise la jeunesse. C’est en ce sens que Raphaël Arnault, notre porte parole, a été investi par LFI pour porter le programme du Nouveau Front Populaire dans le Vaucluse. Au delà du champ politique et syndical, il est nécessaire pour nous d’avoir des liens avec le tissus associatif qui sur le terrain porte des valeurs antiracistes et d’accueil, et créent la solidarité. Localement, on pense par exemple au Football du Peuple avec qui nous avons pu partager un moment à l’occasion de leur dixième anniversaire.

Nous avons à cœur d’entretenir du lien avec les « anciens », peu importe le champ dans lequel ils militent ou militaient, et nous restons humbles face aux combats portés par le passé par une génération de camarades de qui nous avons beaucoup d’enseignements à tirer. L’histoire et l’entretien de la mémoire militante sont des clés pour nous armer intellectuellement et tactiquement face aux futurs enjeux de notre classe.

En France, des groupes se revendiquant de l’action antifasciste développent une stratégie différente, plus autonome, plus active sur le terrain de l’anti-impérialisme : comment vous positionnez-vous par rapport aux autres organisations ou collectifs antifascistes, notamment à Montpellier ?
La différence de stratégie est en effet constitutive de notre organisation. Nous portons un antifascisme à visage découvert, nous allons à la rencontre des gens. On part toujours du principe qu’être antifasciste n’est pas une identité : notre voisine qui fait les ménages et élève ses enfants seule, ou l’épicier du quartier, sont tout autant antifascistes que nous, la seule différence c’est qu’on s’organise au quotidien pour lutter contre l’extrême droite. On préfère rester loin d’un certain folklore pour démocratiser notre lutte qui est celle de tous, sans créer de sous-culture dans laquelle certains ne se reconnaîtraient pas.

Concernant la question de l’anti-impérialisme, nous sommes assez impliqués dans les luttes des peuples à l’international. Nous avons des liens forts avec la Mensa Occupata à Naples, un centre de lutte central pour les napolitains qui s’organisent et créent la solidarité par le sport populaire, les distributions alimentaires, l’aide administrative etc, dans un contexte de gouvernement d’extrême droite.
Nous avons également une attention particulière sur la souffrance et la lutte du peuple Kurde. Nos premières implications à Lyon se sont faites notamment campagnes de solidarité avec les forces kurdes dans la défense d’Afrin et du Rojava contre l’État turc et l’impérialisme de notre propre pays. Nos premiers communiqués ont été écrits en solidarité avec Diren Coksun, femme trans turque prisonnière politique et en hommage au combattant internationaliste Olivier (Kendal Breizh) mort à Afrin. Nous avons par ailleurs eu des camarades qui sont partis combattre la barbarie de Daech sur le terrain, et nous nous inspirons des enseignement de leurs organisations, notamment concernant la place centrale des femmes dans notre organisation.

Ces derniers mois, la lutte du peuple Palestinien est centrale et nous ne cessons de tenter de réinventer des manières d’afficher un soutien au peuple qui subit à l’heure actuelle un génocide.

La lutte antifasciste est résolument internationaliste, et c’est en soutenant les peuples en lutte contre l’extrême droite partout dans le monde que nous saurons nous nourrir, apprendre des différentes expériences et être plus forts dans nos luttes locales et nationales.

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