Le tribunal de Montpellier encombré de dossiers à teneur politique

Le Poing Publié le 26 septembre 2024 à 10:34 (mis à jour le 26 septembre 2024 à 14:18)
Image d'illustration. "Le Poing"

Manifestants accompagnant un “Drapeau de la libération” du peuple palestinien. Participants à la Pride LGBTQI + accusés de porter une tenue politiquement inadéquate. Ce mercredi 25 septembre, le Tribunal de Montpellier vivait au rythme de la criminalisation banalisée des mouvements sociaux

Même l’appariteur chargé du portail électronique de vérification sécuritaire s’étonne, ce mercredi 25 septembre à 8h30, pour l’ouverture du Palais de Justice, place Gaston Flotte à Montpellier : « Non, mais je trouve qu’il y a bien du monde anormalement ce matin. Il se passe quoi ? » demande-t-il à l’un des visiteurs qui se présente (l’auteur de ces lignes, en l’occurrence).

Auteur qui est donc journaliste bénévole pour Le Poing, media indépendant sans aucun soutien d’aucun milliardaire, en train d’évaluer la situation dans sa tête : c’est qu’il y a bien deux convocations en justice, pour cinq personnes incriminées, dans deux affaires différentes à teneur politique, ce même jour à Montpellier. Cela à la même heure. Comment pouvoir suivre les deux ? Bousculade d’agenda !

Et le journaliste de se dire : est-ce que ça ne tournerait pas au scénario à la turque, à l’algérienne, ou autres régimes autoritaires ? Est-ce qu’il ne faudrait pas prévoir des postes de journalistes permanents détachés au tribunal, face à la multiplication des dossiers d’intimidation politique, de répression, d’interdiction de manifester, et autres entraves à la liberté d’expression ?

Tel est donc le parfum typique de la vie politique et sociale montpeliéraine en 2024, sous le régime du maire Michaël Delafosse (qui se dit socialiste), main dans la main avec le préfet François Xavier Lauch ; cela en parfaite concordance avec l’emballement sécuritaire des Macron et Darmanin ; et encore un cran supplémentaire, désormais avec les Barnier et Retailleau.

D’un côté donc, sur le parvis du Plais de Justice, quelques dizaines de sympathisant.es de la cause palestinienne accompagnent trois d’entre elleux, qui avaient été verbalisé.es le vendredi 30 août, coupables d’assister à la tentative de déroulement dans la ville du grand “Drapeau de la Libération” du peuple palestinien. Lequel effectuait une halte, dans sa tournée à travers tout l’Hexagone, comme en écho aux passages de la flamme olympique.

Mais à Montpellier encore plus qu’ailleurs, la répression s’abattait. Cette action purement symbolique était frappée d’interdiction, dans le contexte faisant suite au détestable attentat récemment survenu contre la synagogue de La Grande-Motte. Pratiquant tous les amalgames, le préfet de l’Hérault traquait la moindre expression de solidarité avec la population martyre gazaouie. D’où une rafale d’interdictions de rassemblements, de mises en instances en urgence au Tribunal administratif, et recours formés devant le Conseil d’État, etc.

Finalement, ce mercredi 25 septembre 2024, les pro-Palestiniens incriminés, convoqués devant le Tribunal de police, ont obtenu un renvoi du procès dans un mois (le 23 octobre), compte tenu de compléments à apporter au dossier les concernant. Mais la question palestinienne n’était peut-être pas tellement absente de l’autre convocation en justice ce même jour, alors qu’elle traite en apparence de tout autre chose : soit la tenue de la Pride LGBTQI+, le samedi 17 juin 2024.

Cette fois, deux participants à ce cortège sont incriminés. L’évènement est essentiellement festif, et tellement aseptisé dans la stratégie social-démocrate de la Ville de Montpellier, que Michaël Delafosse et son staff ont pris coutume de s’imposer à sa tête, pratiquant une O.P.A. de pink-washing, contre quelques clopinettes accordées aux organisateurs, à grand renfort de campagne de com sous le slogan Montpellier t’aime, complètement creux.

C’est cette dérive que le Pink Block vient dénoncer chaque année, avec radicalité, en s’imposant en cortège de tête, sur une gamme de mots d’ordre clairement anti-autoritaires et anti-capitalistes, sur une ligne de rupture avec l’ordre hétéro-patriarcal. Ça ne signifie pas rien, quand trois mois plus tard on voit les héritiers de la Manif pour tous, Retailleau en tête, occuper en masse les ministères du nouveau gouvernement Barnier.

Du côté du Pink Block, on se souvient que les Prides du monde entier célèbrent en fait la mémoire de plusieurs nuits d’émeutes : celles de Stonewall. En 1969 à New-York, la clientèle jusque là brimée d’un bar gay à peine toléré, s’était vaillamment insurgée contre une descente d’intimidation par la police.

Or en 2024, plusieurs participants du Pink Block montpelliérain ont tenu à afficher aussi leur soutien à la cause palestinienne. Cela non sans rappeler que l’État israélien est passé maître en matière de pink washing : si radicalement homophobes que soient plusieurs de ses ministres d’extrême-droite, le discours officiel y est que Tel-Aviv serait un havre gay-friendly, au cœur d’un océan de menace islamique. On se souvient de ces images nauséabondes de soldats de Tsahal occupés à leurs selfies en brandissant des drapeaux gays arc-en-ciel sur les ruines de demeures de familles palestiniennes anéanties par les bombardements.

Cette teneur pro-palestinienne au sein du Pink Block n’a pas manqué de provoquer la rage de Michaël Delafosse et son entourage. D’où toute une phase de grande tension au début de cette Pride du 17 juin. La police comme le premier magistrat montpelliérain, prennent le risque de bloquer longuement le départ du défilé, depuis le Peyrou, sous l’Arc de Triomphe. C’est un gros danger pour l’écoulement des quinze mille participants, bloqués longuement.

A bout d’exaspération, le maire et ses proches se retirent, furieux. C’est une victoire pour le Pink Block. Mais les policier.es qui encadrent la manifestation, si gay friendly soient-ielles officiellement, brûlent de l’envie d’en découdre. Ielles le font sentir. A Montpellier, gare aux gays qui ne seraient pas écervelés politiquement. Tout est dit sur ce que le pouvoir veut bien accepter d’une supposée libération gay.

Pleins de bon sens, les organisateurs officiels de la Pride jouent les médiateurs. Comment pourraient-ils justifier que leur discours, qui se veut toujours assez politique, soit contredit par une répression policière brutale ? Cela alors que le Rassemblement national semble aux portes du pouvoir. Les policiers radicalisés peuvent patienter un peu. Et comment prendre le risque d’un déchaînement de violence policière ensauvagée, dans un cortège dont bon nombre de participant.es et spectateur.ices présentent un profil juste sympa, voire familial ?

Au bout du compte, le cortège peut donc finalement s’ébranler. Au bout de l’Esplanade, où se situe la Maison des relations internationales – tiens donc – des drag-queens aux couleurs palestiniennes font voler au vent leurs immenses robes vert-blanc-rouge-noir au-dessus du cortège. C’est un peu plus loin sur le trajet, dans une épicerie où ils font leurs emplettes, que deux participants du cortège sont interpelés, comme sournoisement, par mesure de punition discrétionnaire.

Ils sont incriminés d’avoir commis l’infraction de dissimulation volontaire du visage sans motif légitime, lors d’une manifestation sur la voie publique, accompagnée de troubles ou de risques manifestes de troubles à l’ordre public”. De quoi parle-t-on ? Les organisateurs de la Pride ne sont-ils pas les premiers à conseiller le port de masque sanitaires ? De quelle manifestation porteuse de troubles à l’ordre public s’agit-il, dans ce cortège où les autorités montpelliéraines tiennent à s’afficher en tête, ceintes de leurs écharpes ?

Des deux personnes incriminées, ensuite retenues en garde-à-vue pendant quarante-huit heures, le journaliste du Poing avait pu en remarquer une, forcément : son masque était une sorte de fine cotte de mailles. On pouvait lui conférer quelque chose de presque sexy, sur le versant de pratiques juste un peu fétichistes. En plein dans le sujet du jour.

Mais à Montpellier, l’ordre doit régner. A fond pink-washé. Et puisqu’on parle d’un Pink Block, notons que l’article de loi ici manipulé fait partie d’une batterie judiciaire anti Black Block. Célébration pour célébration on rappellera au maire de Montpellier que, lorsqu’il préside un mois plus tard les cérémonies du 14 juillet, tout en tricolore entouré de corps d’État majoritairement acquis à l’extrême-droite (la police, l’armée), il ne fait qu’exalter la mémoire de la prise de la Bastille, cette émeute populaire où le black Block de l’époque avait réussi son coup.

En attendant, c’est bien l’obsession anti-palestinienne qui donne le ton de la vie politique montpelliéraine. On reparlera de toutes ces choses, lorsqu’un vrai procès permettra de revenir sur le faits du 17 juin à la Pride. Pour l’heure, les deux prévenus du rendez-vous de ce mercredi ont refusé l’arrangement sans audience, qui leur était proposé (500 euros d’amende et six mois d’interdiction de paraître à Montpellier, tout de même).

Comment passer à la trappe le sens profond de la dérive politique en cours jusque dans les tribunaux ?

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