Les conditions de prise en charge du CRA de Sète, “gravement attentatoires à la dignité et aux droits fondamentaux”

Elian Barascud Publié le 14 mai 2024 à 19:46 (mis à jour le 14 mai 2024 à 19:50)
Barreaux des cellules du Centre de Rétention Administrative (CRA) de Sète. (Photo d'archive "Le Poing")

En début de semaine, la presse locale relatait l’évasion le week-end dernier de dix personnes du centre de rétention administrative de Sète. Deux rapports, l’un du contrôleur général des lieux de privation de libertés, l’autre d’un ensemble d’associations œuvrant pour les exilés et migrants, dressent des constats alarmants quant aux conditions de vie des personnes dans ces centres

On l’apprenait ce lundi 13 mai dans la presse : dans la nuit du 10 au 11 mai, dix personnes se sont évadées du centre de rétention administrative (CRA) de Sète, deux d’entre elles ont depuis été arrêtées par la police. En juin 2023, huit personnes s’étaient déjà échappées de ce lieu de privation de liberté utilisé pour retenir les étrangers auxquels l’administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français et a décidé de procéder à leur éloignement forcé.

Auraient-ils fui des conditions de détention désastreuses ? En tout cas, deux rapports font état de diverses problématiques au centre de rétention administratives de Sète. L’un, du contrôleur général des lieux de privations des libertés, publié en juin 2023 sans avoir fait de bruit, parle de “conditions de prise en charge gravement attentatoires à la dignité et aux droits fondamentaux” à propos des CRA de Lyon, Mesnil-Amelot, Metz et Sète. L’autre, publié fin avril par différentes associations comme La Cimade, France terre d’asile ou Forum Réfugiés, évoque des pannes d’eau chaude et des absences de chauffage. Le Poing avait déjà chroniqué les conditions de vie des personnes retenus dans cet établissement. (Voir ci-dessous).

Des logements délabrés et sans intimité

Dans son rapport de juin 2023, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) souligne à propos du CRA de Sète que “les hébergements y sont, comme ailleurs, inadaptés ou sous-dimensionnés, anxiogènes, dégradés et mal entretenus. Les retenus y sont privés d’intimité, d’activité, de perspectives et, dans l’ensemble, largement livrés à eux-mêmes“, et que les locaux “présentent un caractère vétuste ou dégradé, insuffisamment entretenu, dénoncé à chaque visite des contrôleurs”.

Les contrôleurs notent également que “les espaces communs sont également dégradés, les salles collectives mal équipées et peu aménagées. Au CRA de Sète cet espace extérieur ne mérite guère la qualification de « cour de promenade » : d’une superficie de 45 m2, l’espace est enclos par trois murs et une grille. Couvert d’un grillage, il n’évoque qu’une cage. Les retenus y fument, immobiles, ou y tournent en rond sans but.”

Ils ajoutent que “ni l’organisation ni l’agencement des locaux en ces lieux ne permettent de garantir aux personnes retenues la moindre intimité, même lorsqu’il s’agit de l’utilisation des sanitaires et des salles d’eau.” En effet, “les portes des toilettes ou des douches ne peuvent être fermées de l’intérieur, faute de verrou. Le risque d’atteinte à l’intimité et d’intrusion est partout accentué par l’impossibilité de fermer les portes des chambres.”

Ennui et violences

Selon le rapport, les personnes retenues sont livrées à elles-mêmes et vivent dans l’ennui. “Au CRA de Sète, policiers et intervenants entrent le moins possible en zone d’hébergement. Les personnes retenues sont supposées s’auto-gérer, y compris pour accueillir et informer les nouveaux arrivants.[…] la « salle de détente » – un peu moins de 60 m2 – est lugubre et inconfortable, équipée d’un baby-foot (le deuxième a été retiré), d’une fontaine à eau, de deux tables et de chaises fixées au sol. Deux distributeurs de snacks automatiques y sont hors service depuis septembre 2022. Le téléviseur est toujours allumé mais la télécommande – « pour des raisons de sécurité » – n’est pas librement accessible ; ce sont les agents de la PAF qui, à la demande des retenus, changent de chaîne. La plupart du temps, les retenus sont confinés dans leur zone d’hébergement, d’où ils ne sortent, à leur demande et sur accord des agents, que pour se rendre dans le couloir où se situent les bureaux des partenaires institutionnels, dans le local de fouille ou la salle de restauration.”

Plus alarmant encore, le rapport fait état d’une “atmosphère de tensions et de violences à laquelle cèdent parfois les membres du personnel de police” : “Au CRA de Sète, un policier a utilisé son Taser sur un retenu qui venait de s’entailler le corps avec une lame de rasoir et de l’avaler, sans qu’aucune menace ou violence de sa part ne soit relevée dans le compte-rendu de l’incident en cause, qui se borne à indiquer : « voyant son état d’excitation et pour sa sécurité, il est fait usage du pistolet à impulsion électrique ».”

Mais surtout, le rapport souligne que “les visites successives du CGLPL donnent lieu à des recommandations récurrentes laissées sans suite face à l’inertie des autorités compétentes.” En effet, ce n’est pas la première fois que le contrôleur venait au CRA de Sète, qui a été visité trois fois en moins d’un an.

Dans sa réponse à ce rapport, rédigée le 11 décembre 2023, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, nie les observations du contrôleur et renvoie la faute sur les personnes retenues. “Ces constats ne peuvent être partagés en l’état. Concernant les locaux, il convient en effet de rappeler que les dégradations des murs et des sanitaires sont le résultats d’actions humaines, qui, malgré des prestations de nettoyage assurées quotidiennement, restent fréquentes voire quotidiennes. Elles ont par ailleurs un impact sur le matériel dédié au volet occupationnel, ce qui a pour effet direct de renforcer le risque d’inactivité et de violence.”

Concernant l’enfermement, Gérald Darmanin le justifie par le fait que certaines personnes sont “des profils évocateurs de troubles à l’ordre public” et que certains sortent tout juste de prison. Il affirme également que “les droits des étrangers placés dans les centres de rétention administrative sont effectivement garantis”. Et que les personnes retenues se réjouissent, selon le ministre, un smartphone est désormais distribué à tous, et la hauteur de plafond de trois mètres “donne un sentiment d’espace” dans les logements !

“Double peine”

Mais le second rapport, publié par différentes associations comme La Cimade, France terre d’asile ou Forum Réfugiés et qui couvre toute la période 2023, semble donner tord à Gérald Darmanin à propos du respect des droits des personnes retenues. Si le document note de légères améliorations des conditions de vie des personnes par rapport aux constats du CGLPL (notamment par le biais de travaux et de visites d’associations extérieures), il souligne de sérieux manquements aux droits des étrangers.

“Cette année, afin de pallier le manque d’effectif policier, l’administration a eu recours aux présentations en visioconférence pour les audiences devant le Juge des libertés et de la Détention. Ainsi, début janvier, des audiences ont été organisées dans la salle habituellement réservée aux entretiens avec l’OFPRA mettant à mal les droits de la défense notamment la publicité des débats. De plus, l’absence d’information préalable des personnes a empêché la production de documents devant le juge”, écrivent les associations, qui ajoutent : “Une forte proportion des personnes est placée à l’issue d’une peine de prison. Elles ne sont pas toujours informées de leur possible placement à la levée d’écrou et peuvent subir un second choc carcéral. Les droits des personnes se trouvent impactés notamment lorsqu’elles sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire notifiée en prison. En effet, dans la majeure partie des cas, au moment du placement en rétention,le délai pour contester la mesure est expiré. Dès leur arrivée en rétention,les personnes tentent de faire un recours en faisant valoir le fait qu’elles n’ont pas été en mesure de contester la décision dans les délais impartis faute d’information suffisante ou d’accès à un accompagnement juridique immédiat en détention.”

Le rapport constate également que “le nombre d’actes auto-agressifs en rétention est en constante augmentation (scarifications, tentatives de suicide, ingestions de lames, coups de tête contre les murs, etc.). Ces comportements conduisent parfois au placement à l’isolement voire à des transferts vers un autre centre, souvent utilisés comme levier de gestion des tensions.”

Problématique nationale

Le rapport produit par La Cimade, France terre d’asile et Forum Réfugiés pointe le fait que le nombre de personnes enfermées dans les 25 CRA de France est en constante augmentation. “46 955 personnes en 2023, contre 43 565 en 2022”. En Languedoc, 983 personnes ont été retenues à Nîmes (+ 16 %) et 308 à Sète (+ 12,8 %). La durée moyenne en rétention était de 28,5 jours, soit une semaine de plus que l’année précédente. Mais selon le rapport, “cela ne permet pas l’organisation de davantage d’expulsions puisque ce chiffre-là a largement diminué”.

En effet, 35,9 % des personnes ont été expulsées de France depuis ces centres en 2023, contre 44,6 % en 2022, avec un taux de 17,9 % à Sète. Le rapport condamne “l’utilisation détournée et disproportionnée de ces lieux à des fins sécuritaires. Des personnes font ainsi l’objet de décisions d’éloignement et sont enfermées en raison de suspicions ou de faits pour lesquels elles n’ont pas été condamnées.”

Dans l’Hérault, un nouveau CRA de 120 places devrait voir le jour à Béziers en 2027, ce qui réjouit Robert Ménard, maire d’extrême-droite, ainsi que les syndicats policiers les plus réactionnaires, comme Alliance Police Nationale 34, qui demande la création de 200 postes de policiers pour cette infrastructure.

En attendant, François-Xavier Lauch, préfet de l’Hérault, est attendu au CRA de Sète ce mercredi 15 mai pour évoquer ce sujet qu’il juge “essentiel”.

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