Les Jeux olympiques ne sont pas une fatalité
En région parisienne, la résistance perdure contre un événement caricatural du monde d’avant, écocide, abrutissant et sécuritaire. Un nouveau front apparaît beaucoup plus près de Montpellier : la candidature Barcelone-Pyrénées pour les Jeux d’hiver 2030
« 20 000 journalistes. 13 millions de billets. 15 à 20 millions de visiteurs. 4 milliards de téléspectateurs » : ils ne peuvent pas se retenir. C’est dans leur (anti)nature. Les organisateurs des Jeux olympiques assènent les chiffres de la démesure. Toujours plus grands. Toujours plus destructeurs. Toujours plus caricaturaux du “monde d’avant”; bref, de notre monde, écrasé par le capitalisme.
Il n’y manque certes pas la touche de green-washing. Comme tous leurs prédécesseurs depuis une vingtaine d’années, les Jeux olympiques de Paris 2024 sont annoncés « les plus verts » de l’histoire de l’olympisme moderne. Mais on se pince, en relevant les chiffres délirants mentionnés ci-dessus (en ouverture de cet article). On se pince, car on les découvre sur un grand panneau de communication institutionnelle, en plein dans l’enceinte du parc départemental de Seine-Saint-Denis, à La Courneuve.
Dans cette fabuleuse zone verte urbaine, héritage vert du communisme de la ceinture rouge, quinze grues de chantier, derrière une palissade géante, criblent les sept hectares de l’Aire des vents, bien qu’elle soit officiellement classée “zone naturelle sensible” . Là commence à s’élever un village des medias, dont les capacités d’hébergement n’auront d’utilité olympique – fort discutable – que pour un mois à l’été 2024. Après quoi les appartements seront reversés au marché spéculatif de l’immobilier privé.
Et le panneau planté par le conseil départemental – “socialiste” – de Seine Saint-Denis, a oublié de mentionner un chiffre : le secteur est réputé si peu constructible, que le terrain à bâtir à été cédé aux promoteurs au chiffre bradé, ahurissant, de 70€ du mètre carré. Si on refaisait un panneau ces jours-ci, il faudrait encore préciser qu’Amélie Oudéa-Castera, ministre des sports et des jeux olympiques dans le nouveau gouvernement Macron, est l’épouse de Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale. Une banque dont la branche immobilière, la Sogeprom, est justement l’opératrice du bétonnage de l’Aire des vents pour les J.O. 2024. En famille, tout va mieux.
Le journaliste du Poing s’intéresse à toutes ces choses, le dimanche 22 mai 2022, où ce Toxic tour est programmé pour la délégation internationale Anti-olympique. Après l’Aire des Vents, on se rendra sur le « Terrain des essences”. Comme son nom l’indique, c’est une zone complètement pourrie après que l’armée y a traité pendant des décennies sa logistique des carburants. A présent pour les J.O., on prétend la réhabiliter à une vitesse suspecte. Et c’est ainsi que ces hectares habilement green-washés sont censés compenser la destruction, à deux pas, de l’Aire des vents. Aberrant système de tiroirs. Tout autour, les panneaux d’opérations immobilières ont déjà poussé, vantant « la ville-jardin de demain », et les délices exceptionnels d’un appartement neuf « face à 460 hectares de nature ». Au milieu des fourrés, une gare du Grand Paris Express vient d’émerger : cap sur La Défense et autres quartiers d’affaires.
La machine est-elle imparable ? La veille du Toxic Tour, à la fac Paris 8 de Saint-Denis, une journée entière de rencontres militantes a permis d’évoquer des succès, comme cela se produit de plus en plus souvent dans les luttes contre les projets écocides (cf. l’abandon d’Oxylane ou d’Amazon dans notre région). Ainsi les défenseurs des Jardins ouvriers d’Aubervilliers – une lutte bien relayée par nos confrères et amis de La mule du pape – ont finalement vu les décisions de justice pencher en leur faveur. Le chantier de la piscine d’entraînement olympique s’en trouve sévèrement amputé. Mais les lieux d’origine n’en sont pas moins déjà dévastés. Comme dans le cas du L.I.E.N. à Montpellier, les aménageurs-destructeurs passent en force, montre en main, avant que tous les recours réglementaires soient épuisés.
Les jeux olympiques de Paris auront donc bien lieu – hors l’hypothèse de nouveaux confinements, et autres varioles ou catastrophes. Mais l’histoire a connu plusieurs cas d’arrêt des candidatures de villes olympiques, devant l’opposition des populations. Un activiste allemand a raconté comment le référendum pour les J.O. d’Hambourg (candidature concurrente de Paris 2024), réputé imperdable aux yeux de la mafia olympique trop confiante, a finalement été remporté par les opposants. Candidature retirée.
Dans la Tokyo de 2020, les jeux censés atténuer les cicatrices de la monstrueuse catastrophe nucléaire de Fukushima et son tsunami, ont progressivement été perçus comme une inexplicable gabegie, par la population. Face à ce revirement très net de l’opinion, les politiciens locaux ont cherché à se défiler, arguant qu’ils n’y pouvaient rien, que toute décision relevait du seul Comité international olympique. Ce déni de souveraineté et de démocratie a fini d’exaspérer la population. In fine confinés par temps de Covid, on n’a jamais vu une édition des J.O. se dérouler dans un tel contexte d’hostilité.
Un argument assez nouveau est alors apparu au Pays du soleil levant. Il a consisté à désigner ces jeux comme une affaire coloniale imposée par une caste dominante blanche occidentale. Aux rencontres du dernier weeek-end à Saint-Denis, des experts, et des témoins activistes de terrain, sont venus expliquer comment « les populations les plus marginalisées sont les plus durement impactées – déplacées, réprimées – par les modèles d’aménagement urbain spéculatifs et ségrégationnistes » par quoi se traduisent les Jeux olympiques.
Au nom d’un idéal supposé universaliste, le Comité International Olympique est une bande qui brasse des centaines de milliards de dollars, sous statut totalement privé, n’ayant aucune obligation de rendre ses comptes publics (bien que l’argent des impôts citoyens y soient engloutis à bourse déliée). La manifestation elle-même provoque le déplacement inutile et écocidaire de millions de gens, mais encore de milliers de stars du sports, figures des médias, politiciens de tous les pays.
Des membres de la Quadrature du net sont venus nous avertir : « les J.O. parisiens de 2024 seront la vitrine de l’expertise sécuritaire française », l’occasion du grand déploiement du Livre blanc de la sécurité (déjà inspirateur de la Loi Sécurité globale). L’argument terroriste, le chantage du pouvoir policier, permettent toutes les dérogations à une réglementation déjà destructrice des droits, en justifiant l’expérimentation des prototypes encore peu cadrés. Les technologies issues des start-ups israéliennes y trouveront un terrain de jeu à l’échelle d’une grande métropole mondialisée, après s’être fait la main sur les Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie. L’accélération de la reconnaissance faciale sera au menu. Un slogan cherche déjà à nous manipuler : pour l’entrée dans les stades, le jour est proche où « ton billet d’entrée sera ton propre visage ».
Les volets plus directement idéologiques, culturels, de l’olympisme auront été négligés dans cette journée de débats, dominés par la préoccupation écologique. C’est à peine si on a évoqué que pareil événement constitue aussi une overdose d’opium du peuple. Les politiciens y redorent leur blason. La manipulation nationaliste parfois, chauvine toujours, domine le discours qui retransmet les épreuves. Et que dire de la large domination des figures virilistes sur tout cet univers.
Ces arguments, pourtant essentiels comme on l’a vu dans l’histoire – cf les Jeux Olympiques complaisamment nazis à Berlin en 1936, tandis que la République espagnole était contrainte de renoncer à ceux de Barcelone – n’ont que très peu, ou pas du tout été évoqués au cours de ces rencontres. Est-ce significatif d’une limite de la visée écologique ? Et comment trouver la voie d’un anti-olympisme populaire ?
Bernat, militant montagnard catalan contre la candidature Pyrénées-Barcelone pour les Jeux d’hiver 2030, a justement rappelé : « ce projet va encore plus engager nos régions défavorisées dans la mono-économie du tourisme ». Outre de n’être plus écologiquement soutenable – même la neige se fait rare, pour commencer – outre de provoquer l’enchérissement insupportable du logement des autochtones, ce modèle économique « ne fournit que des emplois de faible qualité aux populations les plus opprimées : les jeunes en quête de trois sous pour survivre en fac, les femmes cantonnées au nettoyage, les travailleurs migrants ».
Les Pyréénes catalanes ne sont guère éloignées de Montpellier. Des connexions seront-elles possibles, pour convaincre que l’Olympisme n’est qu’une survivance insoutenable d’un monde à l’opposé de celui-ci souhaité pour après ? C’est-à-dire maintenant.
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