Les profs déconfinent leurs colères

Le Poing Publié le 25 juin 2020 à 13:20

Après le personnel soignant, l’Éducation nationale va-t-elle déconfiner ses revendications ? Plusieurs rassemblements ont eu lieu ce mercredi devant des rectorats partout en France à l’appel de plusieurs organisations syndicales (FNEC FP-FO, Sud Éducation et CGT Éduc’Action). À Montpellier, c’est une grosse cinquantaine de personnes – majoritairement des profs syndiqués, et quelques gilets jaunes venus en soutien – qui ont protesté contre le projet de loi de création d’un statut de directeur d’école, discuté ce mercredi 24 juin à l’assemblée nationale.

Depuis le début du quinquennat de Macron, les personnels de l’Éducation nationale a lutté à plusieurs reprises contre les attaques du gouvernement et de Jean Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale : la réforme du bac et Parcoursup, la réforme des retraites, les E3C… Le confinement n’a fait qu’accentuer la colère des profs : dématérialisation forcée de l’enseignement, « continuité pédagogique » gérée de manière désastreuse et flou total quant à la potentielle réouverture des écoles. Le texte présenté aujourd’hui à l’assemblée nationale semble donc être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et ce n’est pas la seule raison de la colère des enseignants au vu de la longue liste de revendications communes  formulées par les trois syndicats cités plus haut, qui dénoncent une « casse de l’école publique émancipatrice ».

« Pas de chef.fe, tous.tes collègues ! »

Le projet de loi sur la création d’un statut de directeur d’école primaire a été préparé pendant le confinement par la députée LREM Cécile Rilhac, également membre de la commissions des affaires culturelles et de l’éducation. « Aujourd’hui, le statut de directeur d’école n’est pas réglementé par un statut particulier, pour nous, enseignant, c’est un collègue qui doit être un peu déchargé de sa classe pour faire des tâches administratives. » nous explique un instituteur présent devant le rectorat. Sur son vêtement, un sticker Sud Éducation « Pas de chef.fe, tous.tes collègues ». « Avec cette loi c’est différent, ça va devenir un supérieur hiérarchique ». continue-t-il.

En effet, le texte prévoit de reconnaître la spécificité de la profession via les titres « d’emploi fonctionnel » (utilisé pour parler de postes de direction) et de « délégataire de l’autorité académique ».

Un coup de pression supplémentaire qui inquiète les enseignant autant qu’il les agace : ils accusent le gouvernement d’instrumentaliser le suicide de Christine Renon – directrice d’école maternelle de Pantin qui expliquait dans une lettre être « épuisée » et « seule » dans sa fonction – pour faire passer cette loi, avec l’argument d’une « reconnaissance » de la profession. Une rhétorique qui enrage les membres des organisations syndicales, qui avaient été consultées via des concertations avec le gouvernement à la suite de ce suicide. Aucun résultat n’est sorti de ces concertations à ce jour.

L’idée de ce projet de loi est donc de « revaloriser », « simplifier » et « soutenir » les directeurs et directrices d’écoles. Et pour se faire, le texte permet aux collectivités territoriales de mettre à disposition une aide de conciergerie ou administrative. Dans le même ordre de nouveautés promues par Blanquer, le dispositif « 2S2C » fait lui aussi grincer des dents au sein de l’éducation nationale.

« 2S2C », la fin du « cadrage national de l’école ? »

Pendant qu’une délégation intersyndicale rentre dans le rectorat pour y être reçu, une enseignante nous décrit la nouveauté pédagogique qui accompagne la reprise progressive des cours post-confinement, le dispositif « 2C2S »  (Sport-Santé-Culture-Civisme) : « Vu que les cours reprennent progressivement et qu’on doit être moins nombreux en classe, il  y aura des intervenants embauchés via une convention avec les collectivités territoriales pour venir proposer des activités en lien avec le sport, la santé, la culture, et le civisme, SUR LE TEMPS SCOLAIRE !  Nous on passe moins de temps avec nos élèves on finira jamais les programmes ! On a peur qu’à terme ça remplace les profs d’EPS, de musique, d’art plastiques, etc. » Le site du ministère de l’Éducation nationale précise cependant que ces activités « peuvent être assurées en priorité par des professeurs, en complément de service, avec des échanges de service ou en inter-degrés (école /collège), et en heures supplémentaires. » en soulignant le fait que ces interventions ne se substituent pas aux enseignements véhiculés par les profs. De plus, ces activités ne sont pas obligatoires.

« Une destruction du cadre national de l’école dans la lignée des réformes précédentes » selon une autre enseignante retraitée interrogée sur la question. Elle réclame de son côté l’embauche massive d’enseignants et un aménagement des salles de classe pour pouvoir accueillir tous les élèves en même temps et pas « par roulement. » entre l’instituteur et un intervenant. Près de 70 communes de l’académie de Montpellier ont signé la convention 2S2C et appliquent déjà ce dispositif au sein de leurs écoles.

Sureffectifs, précarisation, répression syndicale…

Les autres raisons de se révolter sont nombreuses : précarisation de la profession via l’embauche de contractuels, un manque de reconnaissance du statut d’AESH – assistant d’élève en situation de handicap – (voir une interview ici) et une répression administrative féroce à ceux qui oseraient s’opposer aux réformes de Blanquer. Dans un communiqué intersyndical daté du 20 janvier dernier, les différents signataires dénoncent des pressions de la part de recteurs d’académies.

« Ainsi le recteur d’Aix-Marseille dans un courrier envoyé aux chefs d’établissement parle de « faute professionnelle avec toutes les conséquences disciplinaires qui en découlent » en cas de refus de participer aux E3C. De la même façon, et le recteur d’Aix-Marseille et celui de Toulouse menacent d’avoir recours au Code pénal, c’est-à-dire de porter plainte contre les professeur·es. »

Autre exemple, dans le Jura, où un professeur en lycée a été suspendu pour avoir contesté les E3C avec ses élèves dans son lycée. Tous ces malaises se transforment aujourd’hui en revendications, formulées et signées par la main de trois organisations syndicales (FO, Sud éducation et la CGT educ’action).

Des mots d’ordres communs pour continuer la lutte

« On a été écouté, et puis ils nous ont dit que le ministre avait été clair » raconte un représentant syndical à la sortie du rectorat. Une provocation de plus qui a déclenché un rire jaune chez l’auditoire.  Ils ont donc appelé à maintenir « l’unité syndicale » sur une liste de revendications précises :

– Abandon des 2S2C ;
– Abandon de la proposition de loi sur la direction d’école ;
– L’arrêt des suppressions de postes et la création des postes nécessaires dans l’éducation nationale ;
– La création d’un vrai statut pour les AESH ;
– L’abrogation de la réforme du baccalauréat et du lycée, des E3C et de Parcoursup ;
– L’augmentation des salaires et du point d’indice ;
– L’arrêt total des mesures et procédures engagées contre tous les personnels ayant participé à des actions syndicales contre les réformes et le bac Blanquer.

Plusieurs actions sont déjà annoncées. Une grève est prévue au collège de Saint-Clément-de-Rivière le 30 juin, date de la prochaine manifestation du personnel hospitalier. Avec un flou total sur ce qui est prévu à la rentrée dans les établissements scolaires, la frustration du personnel de l’éducation nationale ne peut qu’augmenter encore. Va-t-on vers un regain du mouvement social post- confinement ? En guise de semblant de réponse, on se contentera du slogan gilet jaune détourné version Blanquer, repris en cœur à la dispersion du cortège : « On est là, même si Blanquer ne le veut pas nous on est là, pour l’honneur des professeurs, et pour un monde meilleur ! »

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