MNA : mentir pour aller à l’école !

Le Poing Publié le 9 septembre 2022 à 17:01 (mis à jour le 11 septembre 2022 à 18:04)

Même la scolarisation des mineurs non accompagnés (MNA) se heurte à des barrages. L’Éducation est pourtant un domaine où enseignants et jeunes trouvent leur compte, à l’inverse des clichés.

Article publié en mars 2022 dans le n°35 du Poing
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« Vous n’avez pas le droit d’être scolarisé ! » : sur ordre de sa hiérarchie, voilà ce qu’une éducatrice indique avoir été obligée de déclarer à un jeune parvenu en France dans des conditions périlleuses. Un rapport sénatorial note que « la scolarisation des MNA n’est pas à la hauteur des enjeux dans beaucoup de départements. Beaucoup de mineurs sont non scolarisés parce qu’en phase d’évaluation [administrative initiale]… » C’est-à-dire qu’ils sont bloqués dans une attente interminable.

Une évaluation scolaire des MNA est effectuée au collège montpelliérain des Aiguerelles, à l’espace Senghor. Il y a peu de places. « Des gens pour qui des études supérieures seraient envisageables vont être rabattus vers des formations professionnelles » déplore Thierry Lerch, militant du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF). Ce choix s’expliquant par le souci de pousser le jeune le plus vite possible vers l’indépendance financière et l’obtention de papiers.

MAJIE, comme Montpellier Accueil Jeunes Isolés Étran- gers, est l’une des associations qui intervient sur ce terrain de la scolarité. On y fonctionne avec très peu de subven- tions (mairie et Fondation de France), des bénévoles, et un local offert par le Secours Catholique pour deux matinées d’accueil public par semaine. Aide dans le parcours administratif, alphabétisation et soutien scolaire en français et en mathématiques : une vingtaine de jeunes viennent à chaque permanence, informés par le bouche-à-oreille le plus souvent. Ils sont originaires d’Afrique essentielle- ment (Mali, Congo, Guinée), et avant la prise de Kaboul, quelques Afghans. Aucune fille ; que des garçons.
Dans le local, des chaises vertes, des tables blanches. Trouver le bon mot pour « addition » et « soustraction », ajouter et enlever : voilà qui débloque, comme un déclic, le problème sur lequel buttait Ibrahim, qui est originaire de Guinée Conakry. À 14 ans, il est en France depuis trois mois, logé au foyer l’Estanque à Montpellier. Son rêve était de devenir footballeur. Sa réalité sera une formation en électricité. « Je suis bien en France car on a été colonisé donc je parle la langue, c’est plus facile et je m’y sens bien » assure-t-il.
Béatrice Harvouet, responsable de MAJIE, souligne les difficultés les plus importantes : « Quand les jeunes sont éjectés de leur prise en charge par l’ASE [aide sociale à l’enfance] pour suspicion de majorité, ils deviennent des passagers clandestins, ils vivent parfois dehors… Des liens se sont tissés avec la mairie pour leur trou- ver des hébergements transitoires. Mais à leur âge, il faudrait qu’ils soient accompagnés ! Quant à leur scolarité, pour laquelle plus rien n’est prévu dans ce cas, MAJIE cherche quand même des places dans des lycées professionnels et signe comme responsable légal, alors que ce devrait être la mission du département… »

Tout est cloisonné, les différents intervenants – du conseil départemental à la préfecture en passant par les lieux d’hébergement – ne se voient pas, ne se parlent pas. « Les éducateurs de l’ASE voient d’un mauvais œil que des jeunes fréquentent MAJIE, comme si cela risquait de les éveiller à leurs droits. Les logiques réglementaires se développent en cultivant le sens de la rigidité excluante, chacun de son côté » constate Béatrice.
À chaque démarche, un MNA aura à répéter, revivre son parcours, son histoire, souvent très douloureuse, parfois traumatisante, sans trouver d’écoute globale. Pourtant, le contact avec les enseignants, est souvent de très bonne qualité. Même l’administration y a trouvé les moyens d’assurer la gratuité des cantines ou des assurances. Il ne manque pas de chef·fes d’établissements, de professeur·es, de conseiller·es d’orientation pour s’engager dans leur pratique.

L’un de ces fonctionnaires assure au Poing que « c’est une ouverture de notre métier et sur le monde que nous apportent ces jeunes que nous soutenons dans leurs démarches. Ils sont très accrochés à leur projet de scolarisation. Un jeune qui demande une place à l’école, ça a du sens ! » Notre interlocuteur décrit deux types de prises en charge dans son établissement : l’une très officielle, pour les élèves qui ne maîtrisent pas le français, dans les unités pédagogiques pour élèves pris en charge par le conseil départemental, avec à la clé la possibilité de certifier un niveau troisième. L’autre prise en charge, non officielle, répond à la sol- licitation d’associations : « Dans la mesure de nos possibilités, on essaie d’accueillir ces jeunes dans une formation adaptée, en lien avec leurs intérêts. Les jeunes francophones ne peuvent pas disposer du premier dispositif, alors on travaille au cas par cas, pour trouver des solutions et des formations courtes professionnalisantes. Pendant le confine- ment, un réseau de lycéens citoyens s’était mis en place et les MNA ont été un vrai sujet d’attention et de mise en lien pour eux ». Sur le terrain, c’est la vie qui entre en mouvement.


L’individu criblé par sa grille d’évaluation

Une modification lourde de sens est apportée dans les appels à projet auxquels postulent les associations concernées par les mineurs non accompagnés. Pour l’évaluation de la situation des jeunes, il n’y aura plus que des cases à cocher, exclusive- ment des réponses « oui » ou « non », à une grille de questions imposées. Impossible dorénavant de développer une information, une problématique, un point de vue, en rédigeant de vraies phrases. « Ce jeune parle-t-il français ? » Oui ou non. « A-t-il traversé la Méditerranée seul ou avec d’autres ? » Oui ou non. De quoi réduire un parcours personnel, toujours singulier, souvent complexe, parfois très douloureux, à une simple grille de critères préformatés. Obstination absurde, dans une compréhension impossible, vide de respect. Dans ces conditions, comment donner du sens à « ce travail colossal qui consiste à réintroduire l’homme dans le monde comme un homme total » (Frantz Fanon – Les damnés de la terre).

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