Montpellier : 150€ requis contre l’observatrice de la Ligue des droits de l’Homme accusée « d’entrave »

Le Poing Publié le 1 octobre 2019 à 19:14 (mis à jour le 1 octobre 2019 à 19:23)
Rassemblement de soutien à Camille (non floutée sur la photo) devant le tribunal de grande instance de Montpellier, le 1er octobre 2019.
Ce matin, Camille, observatrice de la Ligue des droits l’Homme, était jugée au tribunal de grande instance de Montpellier. Insultée par la brigade anticriminalité (BAC), placée en garde à vue lors du G7 à Biarritz et lors de l’acte 45 à Montpellier, malmenée samedi dernier… : la jeune femme subit les foudres des autorités. Ce matin, elle était poursuivie pour « entrave à la circulation ». Le dossier est vide. Explications.

Le 6 avril à Montpellier, lors de l’acte 21 des gilets jaunes, une portion de l’autoroute A9 est brièvement occupée. Sur les trois cent manifestant·e·s, la justice cible Camille. Convoquée le 29 avril pour une audition libre, elle finit en garde à vue. Qui voudrait y lire une volonté de la part du gouvernement de faire pression sur les observateurs et les observatrices indépendant·e·s… aurait bien raison !

Entraves policières

L’audience a démarré sur un rappel du contexte par le juge, qui a égrené la liste des nombreuses intimidations policières subies par Camille – d’abord des insultes, des obstacles à sa mission avec contrôles abusifs et des entraves, véritables pour le coup, à sa liberté de circuler, puis des coups, le tout sur fond de harcèlement crasse de la part, principalement, des agents de la BAC et de la compagnie départementale d’intervention (CDI), notamment des hauts gradés. Comme ces agissements ne semblaient pas la dissuader d’accomplir sa mission, les interpellations sur motifs farfelus et abusifs ont pris le relais, culminant avec l’audience de ce mardi, et une autre qui se tiendra en décembre prochain pour des faits d’outrage et de rébellion, que l’intéressée conteste bien évidemment – preuves à l’appui.

Après ce rappel rendu laborieux par la syntaxe apparemment douteuse des rapports policiers que le juge devait péniblement déchiffrer – ce qui n’a pas manqué de susciter son agacement –, le débat s’est porté sur les faits reprochés. Camille a-t-elle délibérément et activement entravé la circulation ? La procureure a tenté de cloisonner le débat sur le positionnement physique de Camille durant l’action : était-elle sur le terre-plein central entre les deux voies d’autoroute, ou avait-elle encore les pieds sur la voie tout en se maintenant contre la glissière qui en marquait l’extrémité ? Un débat ô combien pertinent. Il est apparu clairement que ces arguties étaient une façon pour le parquet de sauver la face, dans un dossier vide.

« Notre rôle est d’être des emmerdeurs »

Le vice-président de la Ligue des droits de l’Homme de Montpellier, Jean-Jacques Gandini, après avoir rappelé le rôle historique de l’association dans la République française, et évoqué quelques moments-clés où ses membres ont été entravés dans leur mission (par le redoutable Clémenceau, par exemple), ou même assassinés (sous le régime de Vichy), a tenu à souligner le rôle crucial, pour la défense de nos libertés fondamentales, de la société civile en général et de cette association en particulier.

Rappelant que les forces de l’ordre détiennent le monopole de la violence légale, la défense à réaffirmer notre droit, et même notre devoir, à toutes et à tous, de vigilance vis-à-vis de l’utilisation de cette violence par la police. Faisant référence à l’attitude indigne de l’actuel ministre de l’intérieur et de son secrétaire d’état, qui déchaînent leurs casqués contre les manifestants et promettent de les couvrir en cas de condamnations, Me Tubiana, ancien président de la Ligue des droits de l’Homme, a lâché sentencieusement : « Les ministres passent, les présidents passent. Nous, nous serons toujours là », avant de pousser le raisonnement aux limites de la bienséance feutrée qui a habituellement cours en ces solennelles enceintes : « Notre rôle est d’être des emmerdeurs », a-t-il développé, expliquant en substance que la démocratie ne pouvait fonctionner qu’avec de véritables contre-pouvoirs.

Agglutinés du côté de l’entrée, plusieurs membres de la CDI, mines fermées et armes apparentes (les mêmes qui se sont livrés pas plus tard que samedi dernier à de nombreuses violences sur les gilets jaunes et, encore une fois, sur Camille – qui a reçu plusieurs coups de boucliers dans la tête en l’espace de quelques secondes, après avoir été plusieurs fois malmenée au cours de la journée), grimaçaient sous les arguments de la défense. Les grands principes républicains qu’ils sont prétendument censés défendre, voire incarner (aux yeux bien embués des certain·e·s), semblaient leur passer légèrement au-dessus.

Déroute judiciaire

Le malaise du parquet était palpable, tant l’entreprise d’intimidation politico-policière à l’encontre des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme, et de Camille en l’espèce, est non seulement très voyante, mais en plus assez mal ficelée d’un point de vue judiciaire. C’est sans doute pour cela que la peine plus symbolique qu’autre chose de 150€ d’amende a été requise, histoire de ne pas totalement perdre la face.

La défense a contre-attaqué sous deux angles. D’abord, judiciairement, le délit d’entrave à la circulation ne peut être caractérisé que s’il y a une volonté délibérée de bloquer la voie en question. Or, le parquet ne s’est même pas aventuré sur ce terrain, tentant vaguement de faire entendre que la position de Camille était « ambiguë », qu’elle aurait pu s’installer plus loin et éviter de bavarder avec des manifestants – ce qui donnerait l’impression qu’elle est solidaire du groupe et, donc, qu’elle participe pleinement à l’action.

Mais le véritable cœur de l’argumentation a été délivré par Me Ottan, qui a appelé le président du tribunal à prendre ses responsabilités, au-devant des principes républicains. Rappelant le contexte de recul de l’état de droit en France qui s’est considérablement accéléré depuis quelques mois, il a réclamé une relaxe claire, et non un « compromis tordu », pour envoyer un message politique à l’ensemble de la population et des autorités. « Cette affaire est un test, a-t-il martelé. Elle est primordiale pour l’avenir démocratique de ce pays ». Délibéré jeudi prochain.

Par ailleurs, deux gilets jaunes, interpellés le 7 septembre, sont passés au tribunal aujourd’hui. L’une a été condamnée à trois mois de sursis simple ainsi qu’à une interdiction de paraître à Montpellier pendant un an pour avoir transporté des pétards, et l’autre à 400€ d’amende pour « dissimulation du visage ».

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