Montpellier, 29 septembre : une large colère qui se cherche des perspectives
Avec 250 000 manifestants revendiqués par la CGT, et des grèves importantes dans certains secteurs, la journée de grève et de manifestation interprofessionnelle du 29 septembre aura été plutôt encourageante, en tout cas sur Montpellier. Le Poing s’est entretenu avec quelques manifestants dans le cortège montpelliérain, fort de 3500 personnes, entre témoignages sur une dégradation historique des conditions de vie et de travail et perspectives de résistances à venir.
Une colère profonde et large
Appelée par la CGT, la FSU, Solidaires, les syndicats étudiants et lycéens UNEF et FIDL, et localement par le Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (SCUM), la journée de mobilisation interpro du 29 septembre peut être qualifiée de succès relatif, en tout cas à Montpellier. Si les salaires étaient cette fois-ci au cœur des préoccupations syndicales, personne n’oublie que se préparent d’autres grands reculs sociaux, dans la droite ligne du premier mandat Macron et de plusieurs décennies néo-libérales. Dans les rangs des manifestants, la colère est grande, le constat est fait d’une société laminée par les offensives capitalistes et réactionnaires.
Valérie, ancienne employée de l’hôtellerie aujourd’hui en invalidité à 56 ans, arbore un badge de la coalition de gauche NUPES dont elle est sympathisante. « Je suis écœurée. », commence-t-elle. « Écœurée par l’injustice de la réforme des retraites qui vient [NDLR : pour des explications sur la communication dont le gouvernement enrobe son projet antisocial, lire cet article du média Rapports de Force], écœurée par l’évasion fiscale, par l’absence de barrage au Rassemblement National de la part des macronistes aux élections législatives, pour éviter la NUPES. Écœurée aussi des reculs en matière de droit à l’IVG, aux USA, peut-être bientôt en Italie : il nous faut inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française. »
Laurence, psychologue syndiquée à la CGT du CHU de Montpellier, a participé à un rassemblement en préambule de la manif du jour avec une cinquantaine de collègues, devant l’Opéra Comédie, pour rendre plus visible les revendications de sa profession. Elle s’indigne que les salaires ne suivent pas l’inflation, avec tout ce que la chose inclut de recul du niveau de vie : « Ces dernières années nous les psys ont a été moins revalorisés que les aides-soignants, alors que notre niveau de diplôme est supérieur. »
Dans le cortège, des salariés de l’Éducation Nationale, bastion syndical qui voit de plus se multiplier les luttes de personnels précaires ces dernières années, témoignent de l’état de délabrement du service public. « C’est une catastrophe, le service public est en lambeaux. », constate Mylène, syndiquée à la CGT, et qui tient la banderole de tête du cortège des ATSEM. [NDLR : l’Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles, qualifié par l’obtention d’un CAP Petite Enfance est en théorie chargé de seconder les enseignants dans les classes maternelles, de préparer les activités scolaires, de veiller au bien-être des enfants, d’animer certains ateliers. Le métier, largement féminin, est aussi l’un des postes les plus mal payés et les plus précaires de l’Éducation Nationale. D’importants mouvements sociaux des ATSEM ont eu lieu récemment dans les écoles de Montpellier contre le passage aux 1607 heures de travail par an, soit 70 de plus qu’avant la loi de transformation de la Fonction Publique du 6 août 2019. ] « On se retrouve avec une multitude de casquettes qu’on ne devrait pas avoir. Les ATSEM servent à absorber le manque de postes, le manque d’AESH [NDLR : Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap] et d’AVS [NDLR : Auxiliaires de Vie Scolaire]. Encore plus depuis que l’école a été rendue obligatoire dès l’âge de trois ans. Si on s’en tenait aux missions incluses en théorie sur la fiche de poste des ATSEM, le service ne tournerait plus. En plus de ça on a toujours pas été incluses au Ségur. Alors la grève aujourd’hui a été,assez,bien suivie : sur les 400 ATSEM de Montpellier, 20% sont en grève. »
Et il n’y a pas que chez les précaires des écoles que la coupe est pleine. Même si la mobilisation dans l’Éducation Nationale reste bien plus faible que celle du 13 janvier 2022 (75% de grévistes dans le primaire), Magalie, instit syndiquée au SNUIPP-FSU, témoigne de la lassitude de nombre de ses collègues : « La rentrée a été difficile, la colère est grande dans les écoles avec en plus l’inflation et la réforme des retraites qui arrive… »
Et la résignation semble un obstacle plus grand que la communication libérale de la majorité au pouvoir, qui a de moins en moins de prise. « L’argent, on le trouve. », résume Valérie. Lucide, quand on sait que la fraude fiscale représente environ 100 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État chaque année, et que des records historiques ont été battus ces dernières années dans le montant des dividendes distribués aux actionnaires des grandes entreprises.
Marche de la NUPES contre la vie chère du 16 octobre : les syndicats à priori absents, avec des bases peu au courant
Sur une proposition de la France Insoumise au mois de juillet, la coalition de gauche NUPES organise le 16 octobre une marche contre la vie chère et l’inaction climatique dans les rues de Paris. Si la thématique de cette mobilisation est ostensiblement liée à cette journée d’action du 29 septembre, les organisations syndicales se montrent réticentes à y appeler clairement. L’Union Syndicale Solidaires a refusé de signer l’appel de la NUPES, après un vote de ses fédérations adhérentes favorable à une participation, mais sur une majorité jugée trop courte pour ne pas diviser les troupes. Mi-septembre le secrétaire général de la FSU Benoît Teste décrivait son organisation syndicale comme peu encline à signer un appel à rejoindre la marche. Quant à la CGT, elle déclarait dans le même temps attendre de voir le succès de la mobilisation du 29 septembre avant de prendre une décision. Au cours des réunions préparatoires de l’été, l’attitude et les déclarations des leaders de la NUPES, et notamment de Jean-Luc Mélenchon, ont confirmé les craintes de nombreux syndicalistes, à savoir une inféodation de l’agenda social à un agenda politique. Il est en fait probable que l’objectif de la NUPES en cas de crise sociale importante soit de pousser à la dissolution de l ‘Assemblée Nationale et à l’organisation de nouvelles élections législatives.
Un tel mélange des genres contrarie les tendances à l’indépendance syndicale. Bien que des pans entiers de la CGT aient clairement appelé à envoyer des députés progressistes à l’Assemblée lors des dernières législatives, Mylène nous rappelle dans le cortège montpelliéraine que « la CGT est assez méfiante par rapport à la politique ». Ce sur quoi renchérit Magalie de la FSU : « la situation entre syndicats et partis politiques est actuellement assez tendue. »
Les enjeux autour de la participation syndicale à cette marche ne semblent pas avoir été débattus largement dans la base militante. Laurence n’est même pas au courant qu’une manif est organisée par la gauche le 16 octobre. « En ce qui concerne le 16 octobre, l’info n’est pas arrivée aux syndicats de base. Certains syndicats, certaines fédérations, certaines unions locales appelleront néanmoins à y participer », diagnostique Lénaïc, éducateur dans la protection de l’enfance syndiqué à la CGT, pour laquelle il exerce un mandat, et qui se décrit lui-même comme « radicalisé parce qu’épuisé. »
Dans le cortège on croise Richard, inspecteur du travail à la retraite passé par à peu près toutes les organisations syndicales possibles et imaginables. Aujourd’hui il participe à l’animation du groupe de gilets jaunes du rond-point du Près d’Arènes, qui continue des diffusions de tracts tous les mardis et les tous les samedis. « On a quelques copains du rond-point qui monteront à Paris pour la marche du 16 octobre. », annonce-t-il. Un positionnement qui ne fait pas l’unanimité au sein de ce qu’il reste du mouvement entamé à l’automne 2018, tant celui-ci se retrouve tiraillé entre l’évidente préoccupation des fins de mois de plus en plus dures à boucler, et les profondes méfiances qu’on lui connaît envers les politiciens de tous bords…
Comment mettre fin à cette « dégradation inédite des conditions de vie et de travail » ?
Mais alors comment mettre fin à cette « dégradation inédite des conditions de vie et de travail» pointée du doigt par la CGT à la fin du cortège montpelliérain de ce jeudi 29 septembre ?
Même pour Valérie, la sympathisante NUPES, c’est la lutte sociale qui semble primer sur l’agenda de la politique institutionnalisée. « Il ne nous reste que la rue », nous lance-t-elle dans le défilé. Même son de cloche chez Mylène, pour qui il faudrait se mettre à « bloquer le pays pour de bon. » Néanmoins chacun reste bien conscient des difficultés rencontrées. Ce sont les échecs du passé, et le poids d’une répression de plus en plus brutale, qui freine l’émergence d’une véritable révolte sociale pour Valérie. «Beaucoup de gens ne veulent plus descendre en manif à cause de la peur des violences policières », analyse-t-elle, « surtout avec les proportions que ça a pris depuis le mouvement des gilets jaunes. »
Mylène voit un autre aspect du problème : « Trop de personnes vivent encore dans trop de confort pour réellement s’engager dans une lutte dure et accepter les sacrifices qui vont avec. » Dans l’univers de syndicaliste de Lénaïc, la thèse de Mylène a un certain succès. « De nombreux camarades du syndicat pensent que les choses vont s’accélérer dès la fin du bouclier tarifaire mis en place sur l’énergie, prévue pour le mois de novembre. », nous confie-il. Dans la foulée, le voilà qui nuance la perception qu’on peut avoir du syndicalisme actuel comme une force capable à elle seule de renverser la vapeur : « La CGT en ce moment est traversée par beaucoup de courants contradictoires. Beaucoup de syndiqués sont excédés par les journées d’action isolées, mais dès qu’il s’agit de se mettre d’accord sur d’autres modalités d’action les divergences ressortent. Là on est face à une difficulté supplémentaire pour la mobilisation des syndicats sur des bases efficaces : les élections professionnelles arrivent, ce qui brouille les pistes dans la mobilisation par une superposition d’enjeux différents… Ça ressemble à un concours de quéquettes parfois… »
Au milieu de ce mélange de colère, d’inconfort, d’inquiétudes et de manque de perspectives nettes, grandit aussi le spectre du ressentiment. Amanda*, 70 ans, porte son drapeau de la FSU fièrement, « pour les enfants et les petits-enfants, parce que pour moi c’est déjà un peu fini. » Après avoir accueillie par de chaleureux encouragements notre présentation de la dernière version papier du Poing, elle concède : « Moi je fais toutes les manifs depuis plusieurs décennies. Et je vais continuer. Mais sincèrement, je ne crois plus en leur efficacité. A lors j’ai réfléchis ces dernières années, et je me suis choisis d’autres options politiques que les vôtres. Ce qu’il faudrait c’est que tous les pays de l’Union Européenne restent soudés, mais qu’on ferme les frontières. Ça ça emmerderait bien nos dirigeants. Il faut se réjouir de la victoire de Giorgia Meloni en Italie !» [Giorgia Méloni est la cheffe de file de la coalition dite de centre droit, en fait coalition d’extrême-droite regroupant l’ancien président Silvio Berlusconi, Salvini de la Ligue du Nord et le parti Fratelli d’Italie, que dirige Georgia Meloni et qui ne cache que depuis quelques mois sa sympathie pour l’ère fasciste de Benito Mussolini. Elle a été élue avec le soutien d’une part importante du patronat italien, sur la base d’un programme conservateur et ultra-libéral proche de celui d’un Zemmour et très hostile aux salariés, auxquels elle promet des lendemains qui chantent par la privation de droits pour les étrangers.]
*Prénom modifié
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