Montpellier : et maintenant, comment continuer la lutte contre l’extrême-droite ?
L’arrivée inattendue du Nouveau Front Populaire en première position aux élections législatives a permis de repousser momentanément l’éventualité du Rassemblement National au pouvoir, pourtant, il continue de progresser partout. Quel bilan tirer de la période, et que faire pour continuer de se mobiliser contre l’extrême-droite ? Le Poing a posé la question à divers acteurs du mouvement social montpelliérain
“On voyait venir le RN au pouvoir en 2027, on a été un peu désemparé par la dissolution”, confie un militant de l’Union Communiste Libertaire Montpellier (UCL). “Les résultats des élections nous laissent un peu de répit, mais la situation reste délicate. On voit qu’on arrive au bout de la logique du “vote pour le moins pire”, la peur du déclassement sur fond de racisme dans les territoires péri-urbains a fait progresser le RN. On est dans une impasse, d’où la nécessité d’une rupture révolutionnaire.”
Pour la cellule Montpelliéraine de l’organisation trotskyste Révolution Permanente, l’arrivée en tête de la gauche aux législatives du 7 juin n’est pas synonyme de victoire pour autant : “La défaite du RN est due à l’union des forces dites “républicaines”. Cette stratégie, bien que produisant des résultats électoraux à court terme, est dangereuse car elle brouille les lignes politiques et s’appuie sur des forces politiques réactionnaires pour lutter contre l’extrême-droite. La notion d’arc républicain réhabilite des forces politiques qui n’ont rien fait d’autre que mener la guerre aux travailleurs et aux classes populaires du pays et mettre au premier plan des questions de sécurité et d’islamophobie, qui ont poussé des millions d’ouvriers et de travailleurs dans les bras du RN. Il faut décortiquer le NFP pour s’intéresser aux rapports de force au sein de la gauche et mesurer pour qui les résultats électoraux sont réellement une victoire. Alors que LFI conserve sensiblement le même nombre de députés, c’est le PS qui est le grand gagnant de cette élection, en passant d’une position marginale en 2022 (26 députés) à un groupe conséquent (64 aujourd’hui) qui lui permet de peser beaucoup plus dans les débats politiques au sein de la gauche, comme en témoignent aujourd’hui les discussions sur le choix d’un premier ministre. A Montpellier, on est bien placés pour voir très concrètement ce danger et la réhabilitation d’un PS qui est pourtant le premier ennemi du mouvement social. Du harcèlement des militants BDS à la célébration de la journée coloniale de Jérusalem, de l’obsession sécuritaire à la politique des bulldozers contre les bidonvilles, comment se réjouir de l’élection de Fanny Dombre-Coste comme députée ? Michaël Delafosse est-il devenu un allié ?”
Côté antifascisme, le GARAM (Groupe autonome révolutionnaire antifasciste montpelliérain) se réjouit du score du nouveau front populaire et de la mobilisation au sein de la société, y compris par des gens pas forcément militants d’habitude. “Nous pensons qu’il y a urgence à garder l’oreille de celleux qui se sont mobilisé.es pour la première fois et qui s’intéressent aujourd’hui un peu plus à l’antifascisme de sorte à permettre la diffusion des idées antifascistes mais aussi de toutes les autres luttes.”
Cependant, le collectif reste vigilant : “Nous voyons dans ce résultat, qui met en avant trois blocs forts sans majorité dont un bloc d’extrême droite ayant doublé son nombre de sièges et une gauche unie sur le papier, qu’un simple sursis. Il semble intéressant de ne pas oublier que ces moments de tremblements de l’appareil institutionnel avec une dissolution de l’assemblée, une absence de majorité, la potentialité d’un gouvernement technique, le refus de démission de premier ministre, sont des dysfonctionnements ouvrant une brèche à la prise du pouvoir par l’extrême droite. Cela peut conforter certain.es de nos concitoyen.es dans l’idée que si rien ne marche pourquoi ne pas essayer le RN ? Cette situation tend à rappeler le gouvernement technique italien de 2021-2022 et l’arrivée au pouvoir de Giorga Meloni la même année. De plus, ces élections ne changent rien à l’augmentation des violences racistes, transphobes, sexistes, homophobes et antisémites que l’on observe depuis les résultats des européennes, et ne freinent en rien la décomplexion totale de l’extrême droite autant par ses mots que par ses actions violentes dans nos rues, sur nos lieux de travail, nos vies quotidiennes.”
Soutenir le Nouveau Front Populaire ?
Chez la CGT, on se félicite “d’avoir pris ses responsabilités durant la campagne”, dixit Myriam Rivoire, secrétaire de l’Union locale de l’aire urbaine de Montpellier. Le syndicat, qui avait appelé à voter pour le Nouveau Front Populaire, entend continuer le combat “en se mobilisant dans les entreprises pour rappeler que le RN, c’est la casse des services publics et des mesures contre les travailleurs. On compte bien décrypter le programme de l’extrême-droite pour montrer qu’ils votent contre la hausse des salaires et expliquer qu’une baisse des cotisations n’est pas une hausse de salaire contrairement à ce qu’ils disent.”
De plus, la CGT de l’Hérault a appelé à rejoindre le mouvement de grève national initié par ses cheminots le 18 juillet prochain pour « exiger » qu’un gouvernement issu de l’alliance de gauche voie le jour. A Montpellier, le rassemblement aura lieu à midi devant la préfecture.
Montpellier préfecture à midi
— serge Ragazzacci (@SergeRagazzacci) July 12, 2024
Béziers sous préfecture 18h
Bedarieux mairie 18h d’autres initiatives en préparation @lacgtcommunique @CGT34herault https://t.co/ar8yOlmhRm
Dans le Clapas, d’autres sont dans la même logique d’impulser une dynamique autour du Nouveau Front Populaire. Rue Haguenot, dans le local associatif et militant de la Carmagnole, la mobilisation a commencé dès cette semaine. Le 11 juillet, le lieu a réuni ses sympathisants pour “approfondir ce front populaire et de le transformer en un mouvement social, écologiste, citoyen et politique large, incluant les partis mais aussi d’autres forces collectives : syndicats, associations, collectifs (écologistes, féministes, antiracistes, ceux qui luttent contre l’antisémitisme, l’islamophobie, l’homophobie, etc.), lieux militants et tous ceux et celles qui, individuellement, souhaitent se joindre à ce combat.”
Autre local associatif montpelliérain très actif dans la mobilisation autour du nouveau Front Populaire : Le Quartier généreux. Le lieu tendance NUPES situé à Albert Premier a organisé et coordonné des militants pour faire campagne pour le Front Populaire pendant les législatives. “On a vu arriver beaucoup de gens de tout le département, politisés mais pas militants, qui voulaient se rendre utiles”, constate Cathy Aberdam, membre du QG. “On veut continuer d’être un lieu de politisation et de mise en action, un lieu qui joue un rôle dans la bataille culturelle contre l’extrême-droite via notre programmation, ou en le mettant à disposition d’associations et collectifs pour y faire des choses. Mais il nous faut créer du lien entre la métropole et la périphérie, décentrer le regard pour ne pas rester dans cet entre-soi ultra urbain.”
Aller vers la ruralité
Selon l’avocate Sophie Mazas, présidente de la section héraultaise de la Ligue des droits de l’Homme, “la question à se poser pour continuer de lutter contre l’extrême-droite, c’est celle du cadre. Les structures, les cadres d’organisation contre l’extrême-droite et les forces militantes sont concentrées à Montpellier, alors que dans l’arrière-pays et la ruralité héraultaise il y a un vote massif pour le RN. Cela s’explique entre autres par l’absence de services publics et le sentiment de mise en concurrence des gens de ces territoires avec le prolétariat urbain issu de l’immigration. Cette division Métropole/arrière-pays est déterminante si l’on veut se mobiliser efficacement. On a tout intérêt à tous se réunir autour de la table en prenant en compte à la fois les quartiers populaires de la Métropole, comme la Paillade, et des gens de Béziers, Bédarieux ou la Salvetat-sur-Agoût [village des hauts-cantons de l’Hérault connu pour être le fief de la secte d’extrême-droite La communauté de la rose et de l’épée et du groupe Les Brigandes, ndlr] . Il faut mener la lutte à l’échelle départementale plutôt que locale, ça parait être le bon échelon.”
La Ligue des Droits de l’Homme de l’Hérault a d’ailleurs organisé un rassemblement ce mercredi 9 juillet à l’arrêt de tram Louis Blanc pour “rendre hommage aux 80 parlementaires qui, malgré les menaces, ont refusé le 10 juillet 1940 de voter les pleins pouvoirs à Pétain et de livrer la République à la dictature, à la collaboration, à la misère et à la barbarie”. “La mémoire du 10 juillet est celle d’un jour funeste qui doit sonner comme une piqûre de rappel aux élu·es de la République, garant·es de l’État de droit et des libertés publiques, comme un appel à la vigilance citoyenne.”
Le Garam développe aussi la même analyse concernant la ruralité : “Nous pensons aussi qu’il est urgent, dans un pourtour méditerranéen ayant majoritairement voté RN de créer un tissu de solidarité entre collectifs, organisations politiques et individus autant dans les villes que dans les campagnes et de rendre nos lieux, nos espaces et nos pratiques accessibles.”
Investir toutes les luttes pour une rupture révolutionnaire
Et si la situation de blocage via l’absence de majorité était une fenêtre dans laquelle s’engouffrer ? C’est en tout cas ce que pense le militant de l’UCL avec qui Le Poing a discuté. “Le pouvoir risque d’être affaibli, c’est le moment de se saisir des problèmes sociaux en créant des contre-pouvoirs partout où c’est possible, dans des syndicats, des collectifs écolos, antiracistes ou anti-patriarcaux en y apportant des pratiques auto-gestionnaires et une volonté de rupture avec le capitalisme et les logiques étatistes.”
Le Garam voit également dans la situation actuelle un trou de souris dans lequel s’immiscer : “Bien que de nombreuses situations ouvrent des brèches pour l’extrême droite il y a aussi dans ce sursaut populaire et antifasciste une possibilité pour la construction d’une gauche nouvelle. Une gauche radicale et révolutionnaire qui saura profiter de cet élan mobilisateur autour du Nouveau Front Populaire pour faire passer ses messages, grossir ses rangs, s’organiser et poser les bases d’un projet de société révolutionnaire. Nous encourageons celleux qui le souhaitent à rejoindre les organisations et collectifs antifascistes près de chez elleux. Plus globalement, nous encourageons à rejoindre les collectifs et organisations de gauche, féministes, intersectionnelles, queer, et syndicales.”
Si localement, un collectif inter-organisation montpelliérain de lutte contre l’extrême-droite existe, les militants de Révolution Permanente réfléchissent également à l’échelle nationale et internationale : “Au-delà de ces aspects immédiats, nous pensons que la lutte contre l’extrême-droite passe par la déclinaison de nos perspectives nationales, notamment en appuyant toutes les mobilisations du mouvement ouvrier, à commencer par les grèves locales régulières comme à Sanofi en 2022 ou celle des salariés d’ONET du CHU à l’automne 2023. C’est en appuyant la mobilisation de notre classe sociale, en développant des réflexes d’auto-organisation et de combativité, en renforçant les organisations syndicales, que nous armerons le mieux notre camp pour faire face à l’extrême-droite.En effet, les groupuscules fascistes et violents qui se développent localement, comme c’est le cas à Montpellier, sont l’expression la plus violente de la montée de l’extrême-droite, mais cette dernière répond à des dynamiques économiques et sociales profondes liées à la situation politique internationale, marquée par les crises économiques, l’exacerbation du nationalisme et des tendances à la guerre, et les révoltes dans différents pays. Dans ce contexte-là, nous ne pouvons nous limiter à un combat local et immédiat, incapable d’enrayer les dynamiques à l’œuvre qui se jouent à un tout autre niveau.”
Bref, les perspectives ne manquent pas dans le combat à venir, et Le Poing, en tant que média indépendant, compte bien y prendre part, en continuant de documenter les luttes sociales et les agissements des fachos locaux. Comme on dit chez nous : “de défaites en défaites, jusqu’à la victoire !”
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