Montpellier : la lutte contre le pass sanitaire sur un point de bascule

Le Poing Publié le 14 août 2021 à 21:58

Des milliers de personnes dans la rue, un cortège scindé en deux, un « leader » avec un groupuscule d’extrême droite comme service d’ordre et une manif’ sauvage contrevenant aux ordres du préfet : récit d’une étrange manifestation.

Sous un soleil de plomb et une chaleur caniculaire, dix mille personnes convergent vers la place de la Comédie. Il est quatorze heure moins dix, et l’emblématique place montpelliéraine fourmille d’une faune variée : des jeunes, des vieux, des familles, des gilets jaunes, des militants anticapitalistes et antifascistes, beaucoup de primo-manifestants. Les discours aussi, y sont divers. Des syndicalistes de Solidaires tractent un appel à la grève de la fédération SUD-Santé-social contre le pass sanitaire, dénonçant une casse de l’hôpital public par les précédents gouvernements. « Rendre les tests PCR payants pour les non vacciné·e·s, c’est dégrader l’accès au dépistage pour les populations précarisées », peut-on y lire, ainsi qu’une dénonciation du contrôle et de la restriction des libertés individuelles.

Plus loin, un groupe de parents s’interrogent sur les effets des vaccins sur leurs enfants, et craignent une rentrée scolaire houleuse, même si pour l’instant, le gouvernement a annoncé qu’il ne serait pas obligatoire pour aller en classe. « On n’est pas à un retournement de veste près… » commente quelqu’un ironiquement. Une poignée d’illuminés antisémites essaient de convaincre qui veut bien les entendre que « le forum mondial de Davos et les sionistes sont en train de préparer le great reset », ou, plus délirant encore, que « les sionistes ont placé Hitler au pouvoir pour instaurer le nouvel ordre mondial » (beau kamoulox n’est-ce pas?). Quelques pèlerins perdus distribuant des tracts conspirationnistes à tendance antisémite tels que la Rose Blanche, ou RéinfoCovid, site tenu par le sulfureux Louis Fouché. Bref, une faune hétéroclite, un flou artistique étrange qui rappelle les premiers jours des gilets jaunes, y compris dans les chants : le « On est là même si Macron ne veut pas » raisonnera une bonne partie de l’après-midi, avec les désormais traditionnels « liberté ! », et « le pass sanitaire, on n’en veut pas ».

Au moment où la manifestation se met en branle en direction de la Préfecture, un cortège – plutôt fourni – , clairement antifasciste et anticapitaliste se forme, et commence à tambouriner ses slogans : « À Bas, l’État, les flics et les fachos », « anti, anti, anticapitalistes ! » On regrettera seulement l’image d’une seringue barrée sur la banderole, symbole ne faisant pas consensus au sein même dudit cortège.

Clarification politique au Peyrou

Un peu avant le début de la manifestation, des membres de la Ligue du Midi, groupe homophobe, raciste et violent, ont été aperçus devant l’office de tourisme, en train de serrer la main et de discuter avec un policier des renseignements territoriaux. Ces militants identitaires ont joué le rôle de « service d’ordre » et de « sécurisation » de la manifestation « officielle » et déclarée. Car il n’y a pas eu une, mais deux manifestations ce samedi 14 août à Montpellier.

Arrivé devant les grilles du parc du Peyrou, le « leader » du mouvement sur Montpellier, Christophe Derouch, dont on critiquait dans nos colonnes l’apolitisme à géométrie variable, tente une prise de parole, côte à côte avec la Ligue du Midi. Mais le cortège anti-capitaliste commence alors à le huer, et à s’approcher en criant « On ne veut pas de leader ! » Les militants de la Ligue du Midi interviennent aussitôt, et l’allocution de Derouch se transforme en face à fafs tendu, pendant lequel le gourou se carapate avec son mégaphone et sa troupe de fidèles direction Louis Blanc, bientôt rejoint par une partie de la manifestation.

Les militants de la Ligue du Midi (dont Olivier Roudier, notamment condamné pour saluts nazis, en polo noir), protégeant l’allocution de Christophe Derouch

Mais de l’autre côté du parc, direction boulevard du jeu de Paume, la police, qui bloquait le chemin, disparaît, et une autre partie de la manifestation, dont les militants anticapitalistes et antifascistes, s’y engouffre, refusant ainsi le parcours officiel délimité par le préfet Hugues Moutouh. Certains commencent à hurler à la « division du mouvement », d’autres expriment en réponse leur refus de manifester au nom de la liberté avec des gens « qui ne respectent pas celle des autres sous prétexte de leur religion, couleur de peau, appartenance sexuelle… »
Les deux bouts de manifestation se rejoindront place de L’Europe, fin du parcours de la manifestation déclarée.

Manif’ sauvage vers la Comédie

Une fois sur les pelouses face au Lez, les manifestants s’étalent sur toute la place. Christophe Derouch prend alors la parole, toujours accompagné de La Ligue du Midi devant quelques un d’entre eux et appelle à la dissolution en décrivant le cortège passé par la gare comme « une manif sauvage de cinquante personnes avec des barres de fer ». L’auteur de ces lignes a décompté plusieurs centaines de manifestants, et n’a vu aucune barre de fer. A ces mots, une énorme masse de personnes ignorent (peut-être involontairement) l’appel à dissolution en repartant en direction de la Comédie.
Sur place, une poignée de téméraires encore motivés à manifester tente un aller-retour à la gare, pendant qu’au moins un millier de personnes stagne encore devant l’Opéra en chantant « on est là ». Une sono diffuse de la techno, certains se mettent à danser pendant que la foule se disperse progressivement.

Force est de constater, que le « leadership » de Derouch et de ses nouveaux amis d’extrême droite est à relativiser, si bien que beaucoup n’ont pas écouté ses consignes de dispersion. Le rôle de « service d’ordre » de la Ligue du Midi reste néanmoins préoccupant. Aussi, il est utile de rappeler un fait : depuis longtemps dans l’histoire militante de Montpellier, les militants d’extrême droite et leurs idées nauséabondes ont toujours été empêchés de se propager dans la rue. Rompre avec ce principe ne serait pas seulement une régression pour le travail antifasciste montpelliérain, mais une régression pour tous les Montpelliérains et Montpelliéraines, dans leur diversité. Rappelons au passage qu’il est hypocrite d’accuser les antifascistes de briser une quelconque unité alors même que les militants d’extrême-droite cherchent précisément des noises à toutes celles et ceux qui ne conviennent pas à leurs critères racistes et sexistes…

Avec l’extension du pass sanitaire, le mouvement ne cesse de s’amplifier, mais semble prendre le biais gilet-jaunesque de ritualiser la manifestation du samedi. Si la gestion du maintien de l’ordre paraît beaucoup plus calme que pendant les gilets jaunes (il y avait très peu de présence policière ce samedi à Montpellier), c’est que contrairement aux gilets jaunes, ce mouvement ne tente pas de paralyser l’économie. Pour faire plier Macron, d’autres options sont possibles. A nous de discuter de quoi, et surtout, avec qui…

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