Montpellier : les Ziconofages arment les “gens ordinaires” de caméras pour documenter leur quotidien
Depuis 2001, l’association les Ziconophages travaille sur le lien qui unit les gens et leur territoire en les faisant créer des films pour améliorer leurs conditions de vie, à la campagne ou dans les quartiers populaires de Montpellier
Assis dans un fauteuil de la Tendresse, coopérative culturelle qui héberge le bureau des Ziconofages, Pascal Biston, le coordinateur de l’association, plonge ses yeux bleus dans le vague pour se rappeler de sa genèse : “L’association s’est créée pour donner la parole aux gens ordinaires en se penchant sur ce qui les lie à leur territoire. En 2001, je faisais de la photo, en milieu rural, j’enregistrais mes rencontres avec les gens et les photos étaient accompagnées par des textes.”
Au début, Pascal est accompagné par une journaliste, et travaille sur le milieu rural dans le pays de l’Orb, au nord de l’Hérault. Puis vient l’idée de stages vidéo avec des jeunes des quartiers populaires. De là, Pascal, enseignant à mi-temps, commence à travailler avec des habitants de quartiers populaires sur le thème des discriminations et du logement, et à documenter la vie des communautés Tsiganes de l’Hérault.
“On voit le film comme un outil participatif pour que les gens prennent confiance en eux, défendent une parole et construisent un support pour la valoriser afin de provoquer du débat et du changement dans leurs conditions de vie. Faire gagner les gens en autonomie pour ne plus qu’ils subissent les images”, explique Pascal. La construction des films se fait donc par séance d’ateliers, où les habitants sont devant et derrière la caméra, choisissent les plans à garder et construisent la trame avec l’association. “Après, ça dépend des publics”, précise le coordinateur.
Documenter les rénovations urbaines
Une grande partie du travail des Ziconofages se consacre au logement. En 2007-2008, l’association remporte un appel à projet pour travailler sur les rénovations urbaines des quartiers Mosson et Petit Bard. En naîtra un film, “Tomber les murs, 50 ans de grands ensembles”. “
“Ce film est un constat sur les problématiques autour des politiques de rénovations urbaines. Il y a les murs d’immeubles qui tombent en pleine crise du logement et puis ceux qu’il reste à abattre, ceux de l’indifférence et de l’incompréhension. Une population invisible aux yeux des décideurs revendique son mot à dire. 52 minutes où se croisent les paroles des habitants, chercheurs, acteurs associatifs et politiques.26 jeunes montpelliérains de 16 à 25 ans ont interviewé et tourné les images de ce film documentaire”, peut-on lire sur le synopsis.
“On faisait un film qui devait parler du passé pour archiver l’histoire de ces quartiers, mais paradoxalement, les gens voulaient surtout parler du présent et du futur, car beaucoup n’étaient pas forcément dans ces quartiers depuis longtemps, et c’était des précaires qui voulaient améliorer leurs conditions de vie”, se remémore Pascal Biston.
S’en suivront plusieurs films sur le logement et les rénovations urbaines, notamment avec des habitants de la tour d’Assas, promise à la destruction, où qui évoquent les récentes rénovations à la Mosson. “Pour les femmes de la tour d’Assas, selon elles, le film leur a permis de créer du collectif. Avant, elles faisaient une manifestation et c’est tout. Quand s’est posé la question du film, il a fallu réfléchir à des revendications pour obtenir des relogements dans des habitats décents et pour demander plus de mixité sociale, ça a permis de les formuler clairement pour elles. Une fois, il y en a une qui m’a dit qu’avec un micro, elle avait une arme pour porter sa parole et aller interroger les décideurs”, explique Pascal avec un sourire. “Le film leur a permis de construire un argumentaire pour lutter pour la mixité sociale.”
En 2020, l’association a également réalisé un documentaire avec et sur l’intercollectif de la Paillade, né pour unir les gens du quartier à travers des revendications communes.
Filmer les squats
Le travail de l’association, au croisement du logement, de la précarité et des discriminations, l’a naturellement amené à s’intéresser aux squats et à y tourner des films, co-construits avec ceux qui y vivaient, du CSA rue Bonnard aux différents locaux de Luttopia. Quelques projections ont également eu lieu au Royal Occupé, squat ouvert à deux pas de la Comédie après la loi travail en 2016.
Plus récemment, la structure s’est intéressée aux structures d’accueil de jour et à l’habitat intercalaire, et a réalisé un documentaire sur les conditions de vie à la rue.
Les Ziconofages, qui vivent essentiellement de subventions publiques, notamment locales, ont déjà eu quelques galères. “Nos films peuvent être qualifiés de militants, mais ce sont les gens qui les construisent. Des fois, on leur demandent si ils ne veulent pas tenir des propos plus neutres, mais si ils ne veulent pas, on laisse comme ça, c’est leur outil, leur parole.” Une démarche qui leur a valu le courroux de l’ancien maire de Montpellier, Philippe Saurel. “En 2015, on avait perdu les subventions de la Ville et le droit d’utiliser les maisons pour Tous parce que le maire n’était pas content”, précise Pascal. “On marche sur un fil, on nous laisse faire nos films, mais on est pas intégrés pour autant aux dispositifs de participation à la mairie.”
Côté perspectives, l’asso ne manque pas de projets : boucler un film d’animation sur les discriminations à la Paillade, des documentaires sur l’engagement d’allocataires du RSA dans diverses causes et sur une action du Département qui leur permet de découvrir le théâtre, et pourquoi pas refaire des films sur les rénovations à la Mosson… Bref, les marges du Clapas n’ont pas fini de se faire entendre.
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