Nouvelle-Calédonie : une histoire du peuple kanak, avec Daniel Wéa

Le Poing Publié le 25 avril 2024 à 21:52
Éloi Machoro, un des leader du FLNKS abattu en 1985 par le GIGN, représenté sur un drapeau de Kanaky. Photo empruntée à la page Facebook FLNKS Officiel.

D’importantes manifestations, indépendantistes et anti-indépendantistes, agitent la Nouvelle-Caledonie ces dernières semaines. Au coeur des débats, un projet de dégel du corps électoral pour les élections locales et pour ce qui a trait au processus d’autodétermination. Les accords de Nouméa avaient gelé ce corps électoral pour le centrer autour des autochtones kanaks et des descendants de colons et de déportés, les caldoches, souvent anti-indépendantistes, en le fixant autour des populations présentes sur l’île depuis 1988 et de leurs descendants.

Invités par l’association “Rencontres, Marx”, Robert Wienie Xowie, premier sénateur indépendantiste de Nouvelle-Calédonie fraîchement élu, membre du groupe apparenté communiste, Daniel Wéa, président du Mouvement des Jeunes Kanaks en France et François Roux, avocat au barreau de Montpellier, qui assure la défense du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS ; une coalition de partis indépendantistes), et anciennement de son leader Jean-Marie Tjibaou dans les années 80, ont tenu une conférence ce mercredi 24 avril à Montpellier.

Le Poing vous en propose une retranscription, en trois parties. Voici la première, qui traite de l’histoire des kanaks jusqu’aux accords de Nouméa, avec Daniel Wéa. Suivront deux autres articles, sur l’actualité politique en Kanaky, et sur les questions autour du droit international.

Daniel Wéa : Je prends la parole aujourd’hui pour faire un petit rappel historique de l’histoire de la Kanaky, pour pouvoir comprendre le contexte actuel, politique, économique et social, et les bouleversements qu’a subi le peuple kanak jusqu’à aujourd’hui.

Avant de prendre la parole, on voudrait rendre hommage à tous nos anciens, tous ceux qui ont donné leur vie pour la lutte du peuple kanak. Du 22 avril au 8 mai, on est dans la période de commémoration des événements d’Ouvéa. Le 22 avril 1988, une occupation d’une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa par les indépendantistes dégénère, trois gendarmes sont tués suite à un mouvement de panique. D’autres sont pris en otage. Le 5 mai, le gouvernement français, qui refuse la négociation, ordonne l’assaut de la grotte de Gossanah, où sont retenus les gendarmes. Deux militaires et dix-neuf indépendantistes sont tués. Une commission d’enquête de la Ligue des Droits de l’Homme conclura qu’au moins quatre d’entre eux ont été victimes d’exécutions sommaires après avoir été désarmés. Pour d’autres, morts pendant leur transfert par les militaires, des questions légitimes subsistent.

Rendre hommage aussi à nos deux papas, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, assassinés le 4 mai 1989 par un indépendantiste kanak qui leur reprochait la signature des accords de Matignon.

Le peuple kanak est un peuple autochtone qui a plus de 3000 ans d’histoire. Un peuple qui a été façonné par des voyages entre les gens de la Mélanésie et de la Polynésie, dans le bassin du Pacifique. 

Avant l’arrivée des missionnaires de la colonisation, le peuple kanak était déjà sur cette terre. En 1843, c’est l’arrivée des premiers missionnaires protestants, venus entre autres d’Angleterre. Ils sont venus s’installer dans nos Îles Loyauté. Ils sont suivis peu après par des missionnaires catholiques.

Mais en remontant l’histoire avant l’arrivée des missionnaires et de la civilisation occidentale, James Cook, dans ses voyages dans le Pacifique, en 1764, découvre une terre, habitée par des hommes et des femmes, la Kanaky.

En 1853, la France prend possession de la Kanaky, et l’appelle Nouvelle-Calédonie. Une prise de possession qui a pour but de répondre aux besoins du gouvernement de l’époque. La Kanaky servira de bagne, alors que la Guyane utilisée à cet effet rencontre des problèmes importants de maladies liées au climat et au contexte social.

Les premières déportations en Kanaky commencent avec une loi qui permet d’y envoyer n’importe quelle personne condamnée par la justice française. Les prisonniers de la Commune de Paris y sont envoyés, avec des populations déportées lors de la première vague de colonisation au Maghreb et des prisonniers de droit commun.

Avec l’arrivée des populations, les colons sont confrontés à des révoltes des grands chefs kanaks. En 1864, on peut noter la première grande révolte kanak, car les arrivants commencent à séparer les enfants kanak de leur famille lors de déplacements de population. Les kanaks en sont sortis meurtris, parce qu’il y a eu des condamnations, des exécutions.

La prise de possession de la Kanaky a été sacralisée, bénie par Dieu à travers les missionnaires de l’époque.

La plus grande révolte kanak du 19ème siècle a eu lieu en 1878, menée par Ataï, à cause du vol des terres par les colons. La révolte d’Ataï a marqué l’histoire du pays parce que c’est une révolte qui a eu lieu à une époque où les kanaks étaient parqués dans des réserves où ils ne pouvaient cultiver ni ignames ni bananes, et soumis au Code de l’Indigénat.

La légende veut qu’Atai soit allé voir un jour le gouverneur de Nouvelle-Calédonie de l’époque en disant : « Monsieur le gouverneur, le bétail des colons mange nos bananiers, nos taros, nos ignames. Il faut faire une clôture.” Le gouverneur lui dit « C’est à vous de mettre des barrières autour de vos champs. » Ce à quoi Ataï répond : « Le jour où nos ignames et nos taros mangeront le bétail, on fera des clôtures. Pour l’instant c’est à vous de le faire». Une autre fois Ataï déclare au gouverneur colonial, en déversant d’abord un sac de terre : « Voilà ce que nous avions », et ensuite déversant un sac de pierres : « Voici ce que tu nous as laissé » Le kanak à cette époque a une vie limitée, comme un animal.

En 1924 le bagne est fermé, mais la colonisation de peuplement s’accélère. L’État français fait venir des colons de métropole pour travailler en Kanaky, avec des populations asiatiques et océanniennes. Cette politique vise à noyer le peuple kanak.

Dans les années 60, il y a une prise de conscience des premiers kanaks qui ont pu accéder à l’école, qui leur est interdite jusque là. Une poignée de jeunes kanaks part en métropole pour étudier. Ces jeunes-là revenus au pays vont amener des réflexions politiques pour la libération de la Kanaky. C’est l’époque de la création du mouvement des Foulards-Rouges, qui se bat pour la reconnaissance du peuple autochtone.

C’est l’idée d’amener le kanak au centre des dispositifs dans la société, qu’il participe, soit reconnu dans cette construction de la société de l’époque.

Il y a aussi le boom du nickel des années 60, où les kanaks ne sont pas appelés à travailler, à participer à la démarche de développement économique et social de cette époque. Ils sont mis de côté, le gouvernement français va faire appel à des ménages venant d’ailleurs, de Wallis et Futuna ou d’autres îles du Pacifique.

Les années 70 voient la politique coloniale se durcir encore, c’est l’epoque de la circulaire Messmer.

Dans les années 80 l’État commence à voir qu’en face les kanaks commencent à réagir de plus en plus, à avoir une conception large et installée de leur situation politique en tant que peuple, à tisser des liens avec des nations et des peuples du monde.

Dans les années 80 l’action indépendantiste atteint son paroxysme, c’est ce qu’on appelle les Évènements.

L’action des kanaks indépendantistes de l’époque est souvent qualifiée comme un extrémisme. Mais aujourd’hui, avec beaucoup de recul, on voit que c’était une réaction existentielle. Une réaction de survie, sans ça c’était la disparition totale de notre peuple kanak.

On est rentrés dans cette phase de l’histoire où il y a vraiment des affrontements. En 1983 à Nainville les Roches, des négociations avec l’État sont ouvertes, avec les loyalistes et les indépendantistes. Mais rien n’abouti. Le mouvement kanak étend l’idée du corps électoral qu’il souhaite pour un référendum d’auto détermination, aux “Victimes de l’Histoire”, c’est à dire aux Caldoches descendants de colons et de déportés installés en Kanaky depuis longtemps, qui sont maintenant ici chez eux et n’ont plus de lien avec la métropole (à la différence des Zoreil ou des Métros, les Européens fraîchement arrivés).

Ce sont ces “Victimes de l’Histoire” qui ont une place aujourd’hui dans les accords de Matignon et d’Oudinot en 1988, et de Nouméa en 1998.

Retrouvez prochainement dans nos colonnes les deux autres parties de la conférence. Des conférences et événements de soutien à la lutte kanak sont organisés partout en France en ce moment. Des infos sont disponibles via le collectif Solidarité Kanaky. Des membres de la diaspora kanak de toute la France, avec leurs soutiens, proposeront un cortège dans la manifestation parisienne du 1er mai.

Signalons aussi que les autonomistes et indépendantistes corses organisent tous les ans au début du mois d’août les Journées Internationales de Corte, dans la ville du même nom, qui regroupent partis, associations et syndicats de peuples sans États. Des représentant.es kanaks y sont régulièrement présent.es, au côté d’antillais, de nombreux peuples sans États européens, voir extra européens (kabyles, kurdes). Le programme de l’edition 2024 n’est pas encore disponible.

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