Procès des inculpés de “l’attaque” de la gendarmerie de Quissac : de la prison et des amendes
A partir de la mi-juillet, les gendarmes ont interpellé une petite dizaine de personnes. Sept majeurs, âgés de 18 à 21 ans, étaient jugés par le tribunal d’Alès le 14 septembre. L’un d’eux, L., était prisonnier à la maison d’arrêt de Nîmes depuis son arrestation et la décision du Juge des libertés et de la détention, les autres étaient placés sous contrôle judiciaire
Dans la nuit du 30 juin 2023, pendant les quelques jours d’émeutes ayant suivi la mort de Nahel (tué par un policier à Nanterre), entre 20 et 30 personnes ont rendu visite à la gendarmerie de Quissac avec quelques feux d’artifices. La dénommée « attaque », qui a eu lieu aux alentours de 23 h 30, a duré deux minutes. Pas de blessé, quelques dégradations mineures.
Le procès, qui devait débuter à 14 heures selon Midi Libre, a en fait commencé à 9 heures. Les sept prévenus comparaissaient pour violences et dégradations ou pour participation à un attroupement en vue de commettre des violences ou des dégradations. Dans ses réquisitions, le procureur a demandé jusqu’à quatre ans de prison ferme.
Du côté des plaidoiries des avocats de la défense, la plupart insistaient sur les « summums de bêtise » des inculpés, « des moutons de Panurge », des « abrutis » atteints d’une « crétinerie, certes moralement condamnable, mais pas judiciairement ». Oui, oui : il s’agit bien des propos des avocats de la… défense.
Tous s’accordaient sur l’incohérence des chefs d’inculpation, arguant qu’on ne peut être jugés pour à la fois avoir préparé un délit et pour l’avoir commis. Prévisibles, les avocats ont plus ou moins longuement dressé des éloges des forces de l’ordre, ne mentionnant Nahel que pour déplorer que l’on génère des émeutes « sous prétexte qu’un jeune de banlieue a connu quelques difficultés… qui ont conduit à sa mort », ou pour accuser les médias d’avoir attisé les flammes en osant parler de fracture sociale et d’injustices liées à l’origine raciale. L’un des avocats s’est cependant démarqué, insistant sur la spontanéité et le manque d’organisation, et rappelant avec justesse que les tirs de mortiers auxquels ont été confrontés les militaires ne sont pas des armes de guerre mais de simples feux d’artifice en vente libre à l’épicerie du coin.
Globalement, il est ressorti qu’il n’y a pas réellement de preuves de la présence et des agissements de l’un ou l’autre des accusés. Ils ont été identifiés sans réelle précision par les images de vidéosurveillance et par un délateur anonyme qui a témoigné après avoir vu une vidéo sur le réseau social Snapchat, où il pense avoir reconnu quelques uns des jeunes quissacois interpellés.
Seul L., depuis le box, a totalement nié avoir participé à l’attroupement ou à sa préparation. C’est pourtant lui que l’accusation désigne comme meneur. Les autres inculpés, dont certains ont avoué avoir été présents mais en retrait, se sont excusé auprès des gendarmes…
Après de longues heures de délibéré, le verdict est finalement tombé.
Reconnus coupables de violences et dégradations, En. a été condamné à trois ans de prison dont deux ans avec sursis probatoire, avec obligations de travail et de soin et à 135 heures de Travaux d’intérêt général (TIG) ; B. à deux ans de prison dont un an en sursis simple. Pour les autres, seule la participation à un attroupement en vu de commettre des violences et la préparation a été retenue. Em., dont l’avocat a prouvé qu’il était au téléphone avec sa mère au moment de « l’attaque », a été condamné à six mois de sursis et M. à 70 heures de TIG (avec la menace de trois mois de prison s’il ne les effectue pas dans le délai imparti).
L., qui a déjà passé deux mois derrière les barreaux, et dont la présence sur les lieux ou en amont n’est pas attestée, a été condamné à six mois de prison ferme, sans que le tribunal n’ordonne son maintien en détention.
La juge a précisé que toutes les peines sont aménageables en placement sous surveillance électronique, mais ne s’est pas prononcée sur l’aménagement, le laissant à l’appréciation du juge d’application des peines, arguant que c’est « pour voir si l’on peut vous faire confiance ». Elle a conclu par un laïus sur le fait que d’aussi jeunes gens soient ainsi devant le tribunal pose forcément des questions sur le lien social dans notre pays…
Outre les frais de justice (les leurs + 430€ par gendarme), les accusés devront verser entre 1000 et 1500€ à chacun des sept gendarmes, apparemment traumatisés par le show pyrotechnique. Il a été précisé que les sept jeunes sont solidairement responsables des préjudices. En clair, si l’un paye les autres lui seront redevables et inversement.
Quissac est une des seules gendarmeries a avoir reçu la visite d’émeutiers cet été, et l’on est relativement loin de ce qui s’est passé en ville lors des procès expéditifs en comparutions immédiates avec des distributions de peines d’incarcération dites « exemplaires ». Ce procès au tribunal d’Alès montre ceci dit une fois de plus le caractère arbitraire des interpellations, le paternalisme indécrottable de la justice, la dépolitisation et la délégitimation des révoltes, et la possibilité pour les forces de l’ordre d’obtenir facilement des rallonges sur salaire.
Correspondant du Vigan
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