Réquisitions dans les raffineries : des mobilisations lancées en soutien, vers une généralisation de la grève ?

Le Poing Publié le 13 octobre 2022 à 19:50
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Alors qu’un tiers des stations-services françaises manquaient au moins d’un produit ce jeudi 13 octobre, le gouvernement a lancé des procédures pour réquisitionner certains salariés en grève pour des augmentations de salaire chez Esso et TotalEnergies. Ce qui semble mettre le feu aux poudres. Une nouvelle journée interprofessionnelle vient d’être annoncée par la CGT pour le 18 octobre, alors que les appels à soutenir les grévistes de la pétrochimie se multiplient et que les salariés d’autres secteurs comme la SNCF pensent eux aussi à entamer des grèves reconductibles. Vers une généralisation des grèves et des blocages ?

Le mouvement continue dans la pétrochimie

Face à une grève qui dure depuis trois semaines chez ExxonMobil/Esso, depuis deux semaines chez TotalEnergies, la première Ministre Élisabeth Borne a annoncé mardi avoir recours à des réquisitions préfectorales de personnels pour assurer le réapprovisionnement des stations-essences. Jeudi 13 octobre au matin, environ un tiers d’entre elles manquaient d’un produit au moins.

La réquisition de salariés dans certains secteurs pour maintenir un service minimum et briser les grèves est parfois utilisée dans certains secteurs-clé, comme dans la santé, ou à la raffinerie de Grandpuits qui avait été un bastion important du mouvement social contre la réforme des retraites de 2010. Si le gréviste refuse de reprendre le boulot, il peut être arrêté, poursuivi, finir en garde à vue, passer en procès…

Pour le moment, quatre salariés du dépôt de carburants de la raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) ont ainsi été sommés de rouvrir les vannes, sans que la remise en route de la raffinerie ne soit encore envisagée. Un référé déposé par la CGT pour s’opposer à la réquisition de quatre salariés du dépôt de carburant Port-Jérôme-sur-Seine va être examiné cet après-midi, à partir de 14h30, par le tribunal administratif de Rouen.  Dans le même temps une autre réquisition a été lancée pour mobiliser de force dès l’après-midi de ce jeudi 13 octobre six salariés sur le site TotalEnergies de Dunkerque. 

Loin d’intimider le mouvement social, l’annonce de ces réquisitions et l’immense force de frappe des grévistes de la pétrochimie semble plutôt mettre le feu aux poudres, faire appel d’air.

La reconduction de la grève a été assez timide sur le site de Port-Jérôme-Gravenchon, avec un tiers des salariés qui ont repris le travail ce jeudi matin d’après les syndicats. Chez ExxonMobil, la CFDT et la CFE CGC ont signé quelques jours auparavant un accord avec la direction (5,5% d’augmentation générale des salaires avec un plancher de 125€, 0,5% d’augmentation individuelle, 3000€ de prime Macron et 750€ de prime transport), jusqu’ici jugé insuffisant par les salariés de l’entreprise réunis en assemblée générale. L’autre raffinerie Esso/ExxonMobil, celle de Fos-sur-Mer, a voté en début d’après-midi ce jeudi 13 octobre la suspension du mouvement.

A l’inverse, le site de Donges, deuxième plus grosse raffinerie de France exploitée par Total, a rejoint le mouvement après les annonces de réquisition faîtes par Mme Borne. Mercredi 12 octobre, près de 80% des salariés du site étaient en grève.

Pourquoi faut-il soutenir les grèves dans la pétrochimie (et ailleurs ) ?

Face à ce puissant mouvement de grève qui impacte incontestablement beaucoup de français, le déchaînement médiatique ne s’est pas fait attendre bien longtemps. Après une opération de communication mensongère réussie pour le groupe Total, voilà étalés dans la plupart des médias mainstream les salaires soit disant mirobolants des grévistes de la pétrochimie, qui seraient en moyenne de plus de 4000 euros par mois, 5000 avec les primes. L’intox lancée par le grand groupe pétrolier n’aura pas été longuement vérifiées par les différentes rédactions. Et pourtant, il semblerait que le groupe inclut dans cette moyenne de salaires la rémunération des cadres supérieurs, qui ne participent qu’assez peu au mouvement de grève en cours. Et même du PDG de l’entreprise¨Patrick Pouyanné, lequel a touché en 2021 plus de 5,9 millions d’euros, après s’être généreusement augmenté de 52% par rapport à l ‘année 2020 !

En réalité, et selon l’Union française des industries pétrolières énergies et mobilités (Ufipem), le salaire de base d’un salarié en début de carrière dans une société de raffinage est proche de 2 200 euros brut par mois, auxquels s’ajoute une prime de quart d’environ 540 euros. Soit 2 740 euros brut par mois en début de carrière.

Plus que la moyenne des travailleurs français en tout cas. Ce qui n’empêche pas les revendications des salariés de Total d’être parfaitement légitimes, à l’heure où le groupe pétrolier enregistre des bénéfices records.

Il ne faut surtout pas oublier que la grève dans la pétrochimie n’est qu’un moment fort dans une séquence sociale plus large, commencée au bas mot depuis plusieurs mois, et qui voit se multiplier d’une manière tout à fait inédite les grèves et les luttes pour des augmentations de salaires, dans un contexte où la forte inflation rabote le niveau de vie de la plupart. Déjà à la fin du mois de juin, Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT en charge de la question des salaires depuis une dizaine d’années, témoignait du phénomène dans un article du média Rapports de Force : « On a un niveau de conflictualité sur les salaires jamais atteint auparavant […] je n’ai jamais vu ça, sur une période aussi longue ».

Avec leurs capacités de blocage impressionnantes, et face à la colère que suscite l’atteinte au droit de grève par des réquisitions de salariés, les grévistes de la pétrochimie pourraient entraîner une nouvelle multiplication de ces luttes. Certains secteurs, comme on le verra plus tard dans l’article, ontdéjà annoncé être intéressés par une grève reconductible, et la CGT appelle à une nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle dès le 18 octobre. La situation paraît donc particulièrement intéressante pour une augmentation générale des salaires, des pensions et des minimas sociaux, alors que le ralentissement du pays pointe déjà le bout de son nez.

Rappelons aussi que si les grèves du moment sont focalisées sur la question des salaires, un autre gros dossier se cache juste derrière : la réforme des retraites, que le gouvernement entend faire passer en force, qui suscite beaucoup d’oppositions et qui concerne très directement l’ensemble des salariés. Les travailleurs de la pétrochimie seront, et ont déjà été pendant le mouvement social de 2010, de précieux alliés dans la lutte qui s’annonce contre la réforme des retraites. Leur permettre de mener leur conflit social sur les salaires à la victoire avec le moins de casse possible, par l’action solidaire, la participation aux caisses de grève etc, c’est aussi leur permettre de repartir plus facilement pour contrer la réforme des retraites qui vient.

Vers une généralisation des grèves ?

La forte capacité de blocage des grévistes de la pétrochimie donne des idées à de nombreux salariés peu satisfaits de la fonte de leur pouvoir d’achat, alors que les luttes pour des augmentations de salaires se multiplient ces derniers mois. L’annonce d’un passage en force sur les retraites, puis ce mardi des réquisitions de certains salariés de la pétrochimie en grève, semble plutôt mettre le feu au poudre qu’intimider.

Dans le secteur du pétrole, les travailleurs de plusieurs stations-essence du réseau Argedis, filiale du groupe Total, ont annoncé rejoindre le mouvement pour la hausse des salaires à partir de mardi. Dans le nucléaire, la maintenance de cinq réacteurs nucléaires est actuellement à l’arrêt, et de nombreux messages de soutien aux raffineurs se sont fait entendre. La grève accentue la pression de manière significative, puisqu’ EDF pourrait avoir encore plus de mal à éviter les coupures d’électricité dans certaines entreprises cet hiver. À Rennes, des salariés de l’usine automobile Stellantis ont à nouveau débrayé ce mardi 11 octobre, pour une augmentation des salaires, après deux débrayages réussis les mardi 27 et mercredi 28 septembre et la participation massive à la journée interpro du 29 septembre.

À Toulouse, des salariés du sous-traitant aéronautique Daher sont entrés en grève pour exiger 10% d’augmentation de salaires et une prime de 1000€.

Les dockers du port de Marseille soutiennent la lutte des raffineurs. Dans un appel, les dockers exigent «la satisfaction totale des revendications» dans les raffineries, tout en prévenant l’État et le patron d’Exxon qu’ils seraient «solidaires et réactifs» si des réquisitions avaient lieu. Les dockers marseillais ont déjà annoncé mettre leurs forces dans la journée de grève du 18 octobre. Au Havre, l’Union Locale de la CGT a publié un communiqué appelant «toute ses bases, tous ses militants» à venir directement sur le piquet de grève pour montrer leur soutien aux grévistes d’Exxon.

Le théâtre de l’Odéon à Paris est paralysé par une grève depuis plus de dix jours, toujours pour des hausses de salaire. Le Centre d’action sociale de Paris est aussi en grève, pour les même raisons.

A la SNCF et à la RATP, les salariés s’agitent également : les syndicats de la RATP préparent la journée du 18 octobre, et des assemblées générales de cheminots se tiennent un peu partout ce jeudi 13 octobre avec le soutien de la CGT et de Sud Rail, avec dans l’idée de poser la question d’une grève reconductible. Déjà au technicentre du Landy, un des cinq du pays, qui s’occupe de la maintenance des trains SNCF, l’équipe de nuit a voté mercredi soir dans une assemblée générale de cheminots a voté hier soir la grève reconductible à partir du 17 octobre pour rejoindre le mouvement initié par les raffineurs.

Côté CGT, la Fédération des Mines et de l’Energie a lancé un appel à amplifier la mobilisation dans le nucléaire et les industries électriques et gazières, et aimerait que la grève se généralise. Même son de cloche pour la fédération du commerce et des services, qui appelle à multiplier les actions et à se mettre en grève partout où il est possible de le faire, et ce au moins jusqu’à la journée interpro du 18 octobre.

Cette dernière journée pourrait donc finir de catalyser une vaste colère face à la dégradation des conditions de vie et de travail d’une majorité. D’autant qu’elle vient se greffer à d’autres mobilisations déjà prévues le 18, comme dans l’éducation contre la réforme de l’enseignement professionnel, à l’appel de l’ensemble des syndicats et organisations lycéennes, ou dans la santé, ou des grèves de certains personnels soignants pour des hausses de salaires sont prévues depuis le mois de septembre.

Des mobilisations en soutien aux grèves pour les salaires

Depuis les annonces de réquisition de personnel faites par Mme Borne, de nombreuses initiatives se mettent en place pour soutenir la grève pour les salaires. Les gilets jaunes de Loire-Atlantique ont ainsi appelé à un rassemblement devant la raffinerie de Donges le 12 octobre. Le collectif « Le Printemps du CARE » appelle à multiplier tous types d’actions contre la vie chère, la dégradation des services publics et pour des augmentations de salaire.

Si les réquisitions de salariés dans la pétrochimie sont bien une attaque conséquente du gouvernement contre la grève, elles ne sont pas imparables. Pour empêcher les réquisitions, il suffirait que des personnes extérieures à l’entreprise viennent bloquer les raffineries pour empêcher le personnel réquisitionné d’accéder au site.

Rejoindre les salariés de la pétrochimie sur leurs piquets de grève est aussi un acte de soutien important, comme le rappellent de nombreuses Unions Locales. On trouvera ici une carte des mobilisations en cours.

Une caisse de grève en ligne a été ouverte pour les salariés d’ExxonMobil/Esso par FO et la CGT.

Dans l’Hérault, deux rassemblements de solidarité ont déjà été annoncés pour ce jeudi 13 octobre par la CGT, à 17h30, devant la préfecture de Montpellier et la sous-préfecture de Béziers.

Une initiative contre la vie chère est proposée par le collectif « Montpellier contre la vie chère » le samedi 22 octobre, sous la forme d’un rassemblement place de la Comédie à 13h30, suivi d’une assemblée pour discuter des formes à donner à un mouvement contre l’inflation.

Rappelons aussi que le dépôt de pétrole de Frontignan, un des plus importants de France, à vingt kilomètres seulement de Montpellier, n’a toujours pas été bloqué depuis le début de ce mouvement social.

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