Selon que vous serez préfet ou … « rien », les jugements de cour vous feront blanc ou noir

Le Poing Publié le 13 février 2023 à 22:38 (mis à jour le 13 février 2023 à 22:49)
Caricature de l'ancien préfet de Paris Didier Lallement dessinée par Azco. Lallement avait sorti cette phrase à une gilet jaune l'interpellant sur les pratiques policières pendant la crise sociale. Plus de dessins d'Azco sur son site actualitéabsurde.wordpress

Un jeune montpelliérain s’est vu condamné à quatre mois de prison avec sursis et à verser plusieurs milliers d’euros pour avoir partagé sur les réseaux sociaux une page comparant l’ancien préfet de Paris, Didier Lallement, aux nazis.

Où est la violence condamnable : dans les mutilations infligées aux manifestants ou dans le partage d’une page facebook qui les dénonce crûment ?

Le jugement prononcé à Montpellier le 2 février dernier prend clairement parti : Didier Lallement, l’ancien préfet de Paris, surnommé « Le Nazi » dans la préfectorale ( Politis du 02/02/23 ), est intouchable. En revanche un Montpelliérain, qui a partagé une page Facebook le mettant en cause, doit lui verser 3 000 € au titre d’un supposé préjudice moral. Et la condamnation ne s’arrête pas là.

Faisant suite à une plainte déposée par Didier Lallement alors en fonction, le jeune Montpelliérain a été jugé le 1er décembre 2022, soit 3 ans après les faits incriminés, par le tribunal correctionnel de Montpellier pour ” provocation non suivie d’effet au crime ou délit” et “injure publique”. Et ce jeudi 2 février, le lourd verdict est tombé : 4 mois de prison avec sursis pour les faits d’incitation à la violence et à 800 € d’amende pour injure publique. Le préfet demandait 11000 euros pour préjudice moral, le tribunal lui en a accordé 3000.

Quel était donc le contenu de cette page si outrageante pour un préfet qui incitait les troupes du maintien de l’ordre à « aller au contact », c’est-à-dire à créer des affrontements, à enfermer dans une nasse et à gazer les manifestants, les mettant à la merci de tirs qui en ont blessé voire mutilé à vie ? Une représentation du préfet en uniforme nazi, assortie de commentaires l’assimilant à un « chef SS » d’après ce qui s’est dit à l’audience.

Une caricature, certes, mais faut-il rappeler les faits d’armes de Didier Lallement à la préfecture de Paris pour comprendre une dénonciation aussi vigoureuse ?

Le 20 mars 2019, Didier Lallement a été nommé préfet de police de Paris, avec le soutien de l’Élysée. Et avec une nouvelle doctrine définie par le ministre de l’intérieur lui-même, Christophe Castaner, dans son discours d’intronisation : « Une stratégie de mobilité, de réactivité, de contact, d’interpellations » tout « en assumant (…) les risques que cela comporte ». Appliquée avec zèle par le nouveau préfet de Paris, cette doctrine, faisant la part belle à la violence répressive, a heurté. Selon Médiapart, dans des notes de septembre 2019, de hauts responsables de la gendarmerie en charge du maintien de l’ordre jugent les pratiques du préfet Lallement, invitant ses troupes à « impacter » les manifestants, « légalement douteuses et aux conséquences politiques potentiellement néfastes ».

Le document de la gendarmerie nationale précise : « il convient dans toute opération de maintien de l’ordre de laisser une échappatoire à l’adversaire ». Or, selon le modus operandi du préfet, les manifestants sont parqués, « encagés » sans issue de sortie et les grenades de gaz lacrymogène y sont souvent massivement utilisées. Les gendarmes responsables du maintien de l’ordre sont catégoriques : « De telles pratiques sont contraires à la législation ainsi qu’à la réglementation en vigueur », citant non seulement le code de la sécurité intérieure mais également le code pénal. »

Conséquence de ses excès : le préfet de police de Paris est lui-même visé par une plainte pour « atteinte à la liberté individuelle » et « complicité de violences volontaires aggravées», déposée le 20 novembre 2019 par un gilet jaune qu’une grenade lacrymogène (MP7) a éborgné le 16 novembre à Paris. Et son avocat de préciser : « la nasse telle qu’elle est ordonnée par le préfet Lallement constitue une infraction pénale. Elle est d’une gravité extrême en particulier lorsqu’elle est suivie de gazage et de tirs de lanceur de balles de défense sur les manifestants piégés. » Et c’est bien ce qui s’est passé le jour où ce manifestant a été mutilé. Comme il le raconte : « Les policiers avaient bloqué toute la place [d’Italie]. On tentait d’en sortir mais on s’épuisait parce que dès qu’on se rapprochait d’une issue, ils nous envoyaient des gaz lacrymogènes » . Priscillia Ludosky et Faouzi Lellouche ont aussi déposé plainte en juin 2020 contre Didier Lallement et contre X pour «  atteinte arbitraire à la liberté individuelle, entrave à la liberté de manifester ou mise en danger ». Une autre plainte a été déposée par Maxime Nicolle pour « détention arbitraire ». Ces plaintes ont-elles conduit le préfet devant la justice ? Nous n’en avons pas connaissance.

Maintenu en fonction jusqu’au 20 juillet 2022, le préfet a bénéficié d’une promotion avec une nomination au secrétariat général de la mer.

Le citoyen révolté par ses pratiques, ayant partagé une page facebook qui le comparait à un général SS, lui, a été condamné et doit réparer financièrement un préjudice moral. Mais le préjudice, Didier Lallement ne se l’est-il pas causé à lui-même par ses ordres, son attitude et la réputation qu’il s’est faite dans le pays ? Quant aux autres personnes qui sont à l’origine de cette page ou qui l’ont partagée, ont-elles fait aussi l’objet d’une instruction judiciaire ? Ou bien les institutions policière et judiciaire ont-elles concentré leurs poursuites sur un seul, repéré pour ses engagements, qui devait être neutralisé ? Cueilli chez lui de bon matin et traité comme un grand délinquant, il a été conduit en garde à vue, dans des conditions de brutalité et de précipitation telles que l’avocate du prévenu a pu faire annuler la garde- à-vue pour vice de forme. Mais l’instruction s’est poursuivie pour aboutir à cette condamnation exagérée.

Une décision de justice qui apparaît donc comme une réduction au silence, une censure. Subir la répression aveugle d’un régime autoritaire ne saurait être vigoureusement dénoncé. Certain.e.s ont déjà payé lourdement dans leur chair, en prison ou sous les amendes, d’avoir fait trembler le pouvoir en 2018/19. Dans la crainte d’une nouvelle explosion sociale, le pouvoir semble vouloir en poursuivre encore quelques un.e.s de sa vindicte. Pour l’exemple et la dissuasion.

La justice, à Montpellier, comme ailleurs en France, paraît donc bonnement instrumentalisée pour contraindre « un pays (à se tenir) sage » dans un contexte de manifestations massives et de blocages.

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