Shen Yun au Corum de Montpellier : derrière un spectacle de danse, un mouvement religieux
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Du 4 au 30 mars, le Corum de Montpellier accueille le spectacle de danse Shen Yun, qui met en scène la Chine d’avant le communisme. Mais ce spectacle est en réalité la vitrine du Falun Gong, un mouvement spirituel international chinois très conservateur qui diffuse des théories complotistes
Vous avez forcément vu passer la publicité sur YouTube ou dans des arrêts de tram pour ce fameux spectacle « époustouflant » de danses chinoises. La représentation Shen Yun (littéralement « les êtres divins qui dansent »), qui tourne à l’international depuis des années, fera donc étape à Montpellier. Mais au milieu des performances vertigineuses d’artistes qui semblent planer dans le ciel, se cache une intense propagande pour le Falun Gong.
Du Qi-Qong au discours religieux
En 1992, en Chine, Li Hongzhi, professeur de Qi-Qong (gymnastique traditionnelle chinoise basée sur la respiration), commence à donner des séminaires pour ressusciter cette pratique, réprimée par la révolution culturelle maoïste. Il s’agit de remettre au goût du jour les « traditions ancestrales millénaires de développement personnel » pour sortir de l’égoïsme et « s’assimiler à la nature de l’univers, abandonner les mauvaises pensées et actions et rembourser le karma ». La montée en popularité du mouvement inquiète le gouvernement chinois, qui commence alors une intense campagne de dénigrement du Falun Gong, avant de mener une grande campagne d’arrestation de ses adeptes en 1999. Amnesty International évoque alors des enlèvements et des tortures quasi-systématiques sur les membres du Falun Gong. Une répression mise en scène dans le spectacle, où des étudiants communistes sont représentés en train de molester des partisans de Hongzhi.
À ce moment-là, le discours de Li Hongzhi commence à changer : la pratique du Falun Gong apporterait des pouvoirs surnaturels (guérison, rallongement de la vie), la fin du monde serait proche et des aliens seraient déjà présents sur terre. L’ambiance devient plus politique : Hongzhi prône une forme de vie « traditionnelle » où l’homosexualité devrait être réprouvée. Selon lui, la mixité raciale empêcherait l’humanité d’atteindre la « vérité » et de s’élever. Les métis, issus d’un complot fomenté par les extraterrestres, seraient dépeints comme « intellectuellement et corporellement incomplets » et ne pourraient pas être sauvés.
“Pas une secte”, même si ça en a tout l’air
Si le gouvernement chinois qualifie le Falun Gong de secte, d’autres pays, comme les États-Unis ou le Canada, le qualifient de « mouvement religieux ». Le chercheur David Ownby précise que le Falun Gong ne crée pas de rupture des adeptes avec leur environnement familial et qu’on ne leur soutire pas des sommes exorbitantes. Le mouvement n’a pas vraiment d’organisation formelle, si ce n’est des associations locales qui promeuvent la pratique. Les liens entre les adeptes et Li Hongzhi se font essentiellement par des vidéos, des livres, voire de la télékinésie ».
En France, la Mission interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires ne qualifie pas le Falun Gong comme une secte, mais l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) indique que le mouvement en a les pratiques, notamment en termes d’embrigadement, de culte du chef et de prosélytisme intensif. Sur son site Internet, l’Unadfi tient une revue de presse régulière sur ce mouvement. On y apprend notamment qu’une ancienne interprète de Shen Yun a récemment porté plainte, dans l’État de New-York, contre des dirigeants de la troupe pour « travaux forcés »
Un empire médiatique au service d’un projet réactionnaire
Pour marteler sa propagande anti-communiste, nourrie de ressentiments bien compréhensibles envers le régime chinois, le Falun Gong a carrément fondé des médias, comme New Tang Dynasty Television et The Epoch Times, présent dans de nombreux pays. Pendant la pandémie de Covid-19, The Epoch Times a relayé de fausses informations et a repris la théorie conspirationniste du « Great Reset » (un plan mondial de contrôle, de manipulation et de destruction de la population via le Covid-19) et des théories proches du mouvement QAnon, qui affirment que Donald Trump serait le sauveur de l’humanité face à des élites pédo-satanistes corrompues. Depuis 2016, The Epoch Times suit d’ailleurs une ligne pro-Trump. En 2019, le journal est même banni de Facebook pour avoir investi plusieurs millions de dollars dans des annonces, notamment pro-Trump, violant ainsi les règles de transparence politique.
Sa version française a allègrement donné la parole au médecin antivax Louis Fouché pendant la crise sanitaire, et a servi de crachoir à la famille Le Pen pour distiller son idéologie. En Allemagne, The Epoch Times fait également la part belle à l’extrême-droite et à ses narratifs islamophobes. En 2017, le média a publié un article intitulé : « Réfugié avec deux femmes en Allemagne : les deux peuvent obtenir des aides », avec une photo de deux femmes en hijab noir, alors que l’affaire datait de treize ans…
Bref, Shen Yun n’est que la vitrine d’une organisation réactionnaire. Après la présence d’un médecin se réclamant de la doctrine anthroposophique à un congrès organisé au Corum de Montpellier en décembre 2023, plus grand chose ne nous étonne quant à la bienveillance de nos politiques face à la propagande conspirationniste teintée de new-age…
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