“Vous pouvez m’envoyer des cartes de paysage ?” | Ces kanak de Montpellier écrivent aux leurs en prison

Le Poing Publié le 15 janvier 2025 à 21:09
Dessin envoyé à Ceini Hnyei par un jeune kanak enfermé en Métropole

À Montpellier, l’association kanak Ceini Hnyei organise toutes les deux semaines des ateliers pour écrire des lettres aux prisonniers-ères détenu-es en Métropole après le soulèvement entamé le 13 mai en Kanaky/Nouvelle-Calédonie.

Rue du Pont de Lattes, le vendredi 10 janvier. Assis autour des tables de la boulangerie de ce Petit Casino montpelliérain, une poignée de kanak partage boissons et viennoiseries, au milieu d’enveloppes et de lettres éparpillées.

Ces personnes ont répondu à l’appel de l’association Ceini Hnyei, implantée aussi bien en Kanaky/Nouvelle-Calédonie qu’en Métropole. Objectif : échanger des lettres avec les prisonniers-ères politiques kanak incarcéré-es en France, à 17 000 km de leurs proches, depuis le soulèvement contre le dégel du corps électoral commencé le 13 mai, après plusieurs mois de mouvement pacifique.

Le 19 juin, 11 militant-es de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT), qui coordonnait les actions du mouvement contre le dégel, étaient arrêté-es par les forces de l’ordre françaises. Sept d’entre eux-elles sont aujourd’hui emprisonné-es en France, comme des dizaines de manifestant-es.

Claude, président de l’association Ceini Hnyei, a rejoint Montpellier récemment. « C’est pour communiquer avec les prisonniers-ères qui sont éparpillé-es partout en France, parfois sans contact avec leur famille. On a des réponses. Nous tenons à continuer un échange, mais aussi à connaître les besoins qu’ils ont. », nous explique-t-il.

Yvannick est venu à Montpellier pour ses études. « Les prisonniers-ères sont face à un nouvel environnement. Au début pas mal de prisonniers-ères ont fait l’objet d’un isolement qui les a coupé-es des contacts humains auxquels ils et elles étaient habitué-es. », constate-t-il. « J’ai écrit à un grand frère sur un souvenir partagé en particulier. Évoquer les bons moments du passé ça permet de se réchauffer le cœur. Et puis on a une culture basée sur l’oralité, l’avantage d’échanger par lettres c’est que ça permet de poser notre pensée. »

« On cherche aussi des renseignements sur la manière dont ils ont été déporté-es en Métropole. », complète Claude. « Certain-es ont accepté en échange de réductions de peine, de la possibilité d’être dans des prisons où les conditions sont meilleures que là-bas et de travailler et de se former, ce qui n’est pas possible au Camp Est. [NDLR : nom donné à la prison de Nouméa]. »

Murs poussiéreux et amiantés, eaux insalubres, maladies et douleurs liées à l’insalubrité qui atteignent les détenu-es, à plus de 90% kanak, rats, cafards, difficultés pour accéder à l’infirmerie ou aux parloirs où l’on peut voir les proches : le Camp Est est connu pour être un enfer.

« Cette prison est absolument immonde, tout le monde le sait et le dit », indiquait à Mediapart Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), dans un article publié le 19 décembre. Des témoignages récoltés dans le même article font état de cellules de 10 mètres carrés partagées à quatre, et d’un enfermement quasi-permanent, avec pour certain-es, une heure de promenade par jour, pour 23h en cellule. Darewa Dianou, fils d’Alphonse Dianou, leader indépendantiste tué à Ouvéa en 1988, confiait au même média que le Camp Est « fabrique des générations prêtes à se sacrifier. »

C’est donc depuis « l’Eldorado » des prisons françaises (la défenseure des droits Claire Hédon dressait pourtant le 7 novembre 2024 « un constat alarmant » sur « les atteintes aux droits graves et répétées » subies par les détenu-es en Métropole ») que certains jeunes kanak enfermé-es répondent au petit groupe de kanak montpelliérain-es, entre banalité du quotidien et témoignages sur les manques et besoins.

« Le premier étage est ouvert le matin et fermé l’après-midi, à part pour la promenade. Le deuxième est ouvert toute la journée, c’est l’étage pour l’insertion, la formation et le travail. », raconte l’un d’entre eux.

« Ça fait plus de six mois que je suis arrivé, je n’ai toujours pas vu ma famille depuis ce temps. », témoigne un jeune emprisonné à Bourg-en-Bresse. « Sinon toujours la pêche. Si vous pouvez m’envoyer des petites cartes de paysage si c’est possible. »

Les ateliers d’écriture sont organisés une fois toutes les deux semaines sur Montpellier, avec des renseignements sur les pages Facebook et Instagram de Ceini Hnyei. L’association a aussi mis en place une cagnotte en ligne pour les sept prisonniers-ères de la CCAT arrêté-es le 19 juin et incarcéré-es ou assigné-es à résidence en France en attente de leur procès. Des commémorations de moments et figures historiques de la lutte d’indépendance sont aussi régulièrement proposées (lire cet article du Poing sur la commémoration du massacre de Hienghène), la prochaine sera celle des 40 ans des assassinats d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro, militant-es indépendantistes kanak abattu-es en Kanaky/Nouvelle-Calédonie par le GIGN, le vendredi 17 janvier au tiers lieu Le Carrousel, 5 rue Saint Barthélémy (arrêt de tram Saint-Denis). Dès 16h, un espace d’exposition et de solidarité avec les prisonniers-ères politiques kanak sera ouvert. Puis à 18h30 la soirée commencera, avec d’abord la projection du film « la Nouvelle-Calédonie, l’invraisemblable verdict », sur le massacre de Hienghène (10 militant-es assassiné-es et les tueurs acquittés au titre de la « légitime défense préventive »). Ensuite viendra une conférence sur le thème « De 1984 à 2024 : comment des hommes politiques indépendantistes kanak se retrouvent catégorisés de “radicaux” du fait même de la dérive d’un état colonial ? », en présence de François Roux, avocat du FLNKS, Carole Machoro, sœur d’Éloi et élue UC/FLNKS, Gaston Nedenon, militant UC/FLNKS de Canala et Éric Soriano, maître de conférence et docteur en sociologie politique à l’université Montpellier 3.

Un rassemblement statique sur la place de la Comédie aura aussi lieu le mardi 21 janvier à 18h30, pour la libération des prisonniers-ères politiques kanak.

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