“Des goûts de lutte”, un film montpelliérain sur l’après gilets jaunes, en projection au Diagonal le 30 avril

Elian Barascud Publié le 19 avril 2024 à 12:39
Image issue du documentaire "Des goûts de lutte". (DR)

Deux universitaires montpelliérain·es signent un documentaire sur le processus de politisation à travers les luttes sociales, en se focalisant sur les effets du mouvement des gilets jaunes à Montpellier sur des trajectoires individuelles, et finalement collectives. Iels présenteront leur film au cinéma le Diagonal le 30 avril à 18 h 30. Entretien

Emmanuelle Reungoat est maîtresse de conférence en sciences politiques à l’université de Montpellier. Elle a beaucoup travaillé sur le mouvement des gilets jaunes. En 2021, elle s’associe à Pierre-Olivier Gaumin, vidéaste travaillant pour L’UMR 5267 Praxiling, un laboratoire de recherche en sciences du langage sous la double tutelle du CNRS et de l’Université Paul Valéry Montpellier 3. pour créer le documentaire “Des goûts de lutte”, un film sur les parcours post-mouvement social de personnes qui ont participé au mouvement des gilets jaunes à Montpellier. Plusieurs gilets jaunes témoignent face caméra de leur expérience, et le tout est entrecoupé de moments collectifs de débats, d’activités conviviales, militantes, ou de leur nouveau quotidien post-lutte sociale.

Il sera projeté le 30 avril au cinéma le Diagonal à Montpellier, et sera suivi d’un débat animé par Cécile Hautefeuille, journaliste à Mediapart, en partenariat avec La Ligue des Droits de l’Homme, Les Amis du Monde Diplomatique et la librairie La Cavale.

Le Poing : Pourquoi s’être intéressé, non pas au mouvement des gilets jaunes en lui-même, mais à ce qu’il s’est passé après ?

Emmanuelle Reungoat : Il y a déjà eu beaucoup de productions sur le mouvement en lui-même. L’idée était de poser le regard sur ce qui passe sous les radars, notamment médiatiques, c’est à dire l’après. On a voulu se demander comment une lutte peut infuser dans les mémoires collectives et les transformations personnelles. Dans le documentaire, il y a des personnages qui ont acquis une conscience de classe à la suite de ce mouvement, c’est ce genre de choses que l’on a voulu saisir.

Pierre-Olivier Gaumin : D’un point de vue purement cinématographique, c’est délicat de filmer l’après et de montrer ce qui ne se voit pas, c’était un vrai challenge. On n’était plus dans le mouvement, les seules images du mouvement qu’on a dans le film sont des images d’archives, parce que l’idée, c’était cet entre deux. On s’est demandé comment ce goût de la lutte se propageait entre chaque mouvement social.

Mme Reungoat, vous avez collaboré à des études sociologiques en réalisant des questionnaires et des entretiens avec des gilets jaunes pendant le mouvement, en quoi ces études ont influencé le contenu du film ?

Emmanuelle Reungoat : L’un des axes de ces enquêtes était la politisation des primo-contestataires, c’est ça qui m’a intéressée et que j’ai eu envie de montrer. L’envie de faire un film, je l’avais depuis longtemps, je voulais que le savoir sorte des amphis et des supports académiques comme les articles ou les livres. L’idée m’est venue à l’été 2021. J’avais déjà fait des entretiens avec des gilets jaunes de Montpellier, et ils m’avaient touchée, ils étaient déjà “castés” en quelques sorte. J’avais les contacts, et aussi leur confiance. Puis on a eu envie de produire un contre-discours pour dire que les milieux populaires et les gilets jaunes ne sont pas des abrutis violents apathiques et déconnectés de la politique, comme on a pu l’entendre pendant le mouvement. Ensuite, on est allé voir des chercheuses en sciences sociales, pour ne pas faire un film uniquement sur les gilets jaunes, mais plus largement sur les luttes sociales et ce qui s’y joue en terme de politisation, pour donner un peu de hauteur au propos.

Justement, dans le film, les chercheuses ont droit à un bandeau avec leur nom, mais pas les gilets jaunes. Pourquoi ?

Emmanuelle Reungoat : Les chercheuses parlent d’un point de vue d’expert, qu’il faut situer. Pour les gilets jaunes, on en a beaucoup discuté avec eux. Ils ne voulaient pas forcément que leur nom de famille apparaisse, et on n’avait pas envie qu’il n’y ait que leur prénom, par rapport aux chercheuses, donc on a décidé ensemble de faire comme cela. Mais leurs noms sont dans le générique. Et puis, c’est du documentaire, donc on incarne des personnages, ce n’est pas eux, mais une image de leur vie à un moment T.

Pierre-Olivier Gaumin : On les a vrillé à l’image en les tirant à gros traits, c’est devenu des personnages de film. Avec toute la matière qu’on avait ,on aurait pu faire un film sur chaque personne. On en a beaucoup discuté avec eux, on a eu leur validation. Ils se sont rendu compte qu’en 58 minutes, il faut choisir, trier, des moments et des traits de personnalité qui illustrent le propos. Les chercheuses, on ne les a tournées qu’à la fin, pour apporter un éclairage analytique.

Emmanuelle Reungoat : Nous n’avions pas envie qu’il y ait un discours de sachant plein de hauteur. Déjà, on a choisi des femmes, et qui ne travaillent pas spécifiquement sur les gilets jaunes mais sur les luttes sociales en général, pour mettre leur propos à la même hauteur que ceux des gilets jaunes, qui produisent parfois une analyse très en hauteur aussi sur ce qu’ils ont vécu.

Comment s’est déroulé le tournage et la production du documentaire ?

Emmanuelle Reungoat : On a commencé à tourner le 17 novembre 2021, pour les trois ans du mouvement sur le rond-point de Près-D’arènes, à Montpellier. Puis on est allé chez les gens, plusieurs fois, d’abord sans caméra, puis après avec une caméras. On a fait sept entretiens de deux heures à chaque fois, où on leur posait les mêmes questions, pour qu’ils prennent confiance et qu’ils soient à l’aise avec la caméras, et aussi pour qu’ils précisent leur pensée.

Pierre-Olivier Gaumin : Quand on travaille sur le temps long, les gens finissent par oublier la présence de la caméra, et on réussit à capter des moments très forts en émotions, comme la séquence de la découverte des résultats du premier tour de la présidentielle à la télévision.

Outre le fait que cette scène capte des émotions fortes, elle saisit aussi une discussion politique de fond sur la conduite à mener au second tour. Est-ce pour illustrer l’hétérogénéité partisane de ce mouvement ?

Emmanuelle Reungoat : On a beaucoup écrit pendant le montage. Notre but était en effet de donner à voir un mouvement hétérogène, autant en terme partisan que de trajectoires personnelles. Toute la question était : qu’est-ce qui fait qu’on peut bouger ou pas ? Comment ça bouge, par l’affinitaire ? par l’expérience de la lutte ? Ce qu’on a vu, c’est que cette lutte a construit un “nous” plus social que national, et ça peut en faire bouger certains le temps du mouvement. Le soir d’élection vient re-cliver ça. En tout cas, cette scène fait écho à notre travail universitaire mené en amont : ce qui a fait le succès du mouvement des gilets jaunes, c’est que les gens parlaient d’échanges d’expériences et de vécu mais pas de préférences politiques.

Dans votre film, vous filmez beaucoup le rond-point de Près d’Arènes, qui, à tord ou à raison, a pu être très critiqué par d’autres gilets jaunes pour ses manœuvres jugées politiciennes et l’implication de militants extrêmement formés politiquement qui auraient pris un leadership sur les autres gilets-jaunes. Dans le film, on voit l’un d’eux, dans une position de leader. Pourquoi à aucun moment vous précisez qu’il n’est pas un primo-contestataire mais un militant politique formé ? Est-ce que ça ne biaise pas le propos du documentaire ?

Emmanuelle Reungoat : C’est vrai qu’on ne le présente pas, mais on voit que c’est lui qui porte la parole, qui anime diverses activités. Dans ce documentaire, on a voulu travailler sur la question de ce qui est implicite et explicite, là, on est plutôt dans l’implicite. On a souhaité l’incarner, et on voit très bien qu’il n’a pas la même parole que les autres. De toute façon, ce n’est pas un film représentatif sur le mouvement des gilets jaunes en tant que tel, il y a des ronds-points ailleurs ou ça s’est passé de la même manière ailleurs, certains où ça s’est politisé à gauche, d’autres à droite…

Pierre-olivier Gaumin : Pour moi, ce n’est pas un personnage en tant que tel, c’est un lien qui unit les autres.

Quelles sont les perspectives du film maintenant qu’il est sorti, qu’allez-vous en faire ?

Emmanuelle Reungoat : Personnellement, c’est mon premier film, donc je découvre un peu l’étape de diffusion. Il se trouve qu’on n’a pas de diffuseur télé. Donc le 30 avril, on fait une projection-débat au Diagonal, puis on va faire une tournée nationale. L’idée, c’est de l’accompagner pour créer du débat partout où l’on passe, soutenus par nos partenaires, La Ligue des Droits de l’Homme et le journal Politis. On l’a déjà projeté devant des étudiants en sciences politiques, notamment celles et ceux qui ont suivi mon cours sur les mouvements sociaux à la faculté de Montpellier, et on a bien vu qu’il pouvait servir de matériel pédagogique pour incarner cet enseignement. C’est aussi une piste.

Pour plus d’informations sur les prochaines dates de projections, rendez-vous sur le site du film : https://www.desgoutsdelutte.fr/




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