La Cour des comptes interroge la stratégie de Montpellier contre le changement climatique

Elian Barascud Publié le 24 avril 2024 à 16:50
La place du nombre d'Or, à Montpellier. (Image d'illustration Wolfgang Staudt/ Flickr)

Dans son rapport publié le 24 avril, la Chambre Régionale des Comptes souligne que “la mise en place des documents stratégiques en matière de lutte contre le changement climatique est retardée voire inaboutie et [que] leur suivi est incomplet” et pointe un manque de connaissance concernant “les îlots de chaleur urbains” dans la Métropole de Montpellier

Voilà un rapport, publié ce mercredi 24 avril, qui risque de faire monter la température dans les bureaux de la Métropole. Celui-ci dresse un constat alarmant : “En fonction des scénarios plus ou moins optimistes du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les températures annuelles moyennes pourraient augmenter de 1,3 à 4,2 degrés en 2100, projections établies à partir des données de Météo France. Les jours de fortes chaleurs, dépassant de 5 degrés la normale pendant cinq jours consécutifs pourraient passer d’une fourchette comprise de 5 à 14 jours à horizon 2020-2050 à une fourchette exponentielle de 55 à 85 jours à horizon 2071-2100 selon le scénario pessimiste.”

Plus alarmant encore, selon la cour des comptes : ” la Métropole et la ville de Montpellier ne disposent pas de comptabilité analytique qui identifierait les dépenses liées à la transition écologique ni celles spécifiquement liées à l’adaptation au changement climatique.”

Une planification tardive

La Chambre régionale des Comptes reproche notamment à la Métropole d’avoir tardé à mettre en place un plan de lutte contre le changement climatique. Dans le cadre de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010, un Plan Climat Énergie Territorial (PCET) , qui détermine la stratégie d’un territoire face au changement climatique, doit être mis en place. A Montpellier, cela a commencé en 2014, pour la période 2013-2018 (donc avec déjà un an de retard). Puis, selon la Chambre régionale des comptes, la Métropole a abandonné son Plan Climat Énergie Territorial, au profit de la démarche et la labellisation européenne Cit’Ergie proposée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui comprend des indicateurs différents. L’évaluation finale de ce premier PCET n’a pas été formalisée.

Le 20 juin 2018, le Conseil Métropolitain définit les objectifs et les règles de concertations centre les différents acteurs (communes, partenaires instituionnels, organismes techniques, grand public) pour le Plan Climat Air Energie Territorial solidaire (PCAETs), où le précédent plan est intégré, en ajoutant une conception sociale : l’action climatique serait vue comme un facteur d’inclusion sociale et de solidarité entre les habitants. Le changement de majorité et la crise sanitaire ont encore provoqué du retard dans l’élaboration de ce plan.

Concernant la participation citoyenne, c’est faible. Entre 2019 et 2022, date où le projet est présenté au grand public, seulement 96 personnes ont réalisé des contributions citoyennes. Et pour cause : “La mission régionale d’autorité environnementale a relevé dans son avis du 13 juillet 2022, que l’ensemble des documents constituant le PCAETs et en particulier le résumé non technique n’étaient pas suffisamment didactiques, ne permettant pas une appropriation aisée du grand public.”

Le PCAETs a finalement été adopté en février 2023, cinq années après le lancement de la procédure de révision, alors que le plan porte sur la période 2021-2026 et qu’il doit faire l’objet d’une évaluation à mi-parcours en 2024.

Le contenu du plan

Le Plan vise entre autres “à préserver les espaces agricoles, les espaces naturels et les parcelles urbaines de l’artificialisation des sols tout en travaillant sur la végétalisation de zones urbanisées ou minérales afin de limiter l’effet îlot de chaleur urbain.” Le plan prévoit aussi un schéma directeur de désimperméabilisation des sols et une stratégie de gestion des eaux pluviales. Mais si ces actions devaient être mises en place dès 2021, la Cour des comptes souligne que “le suivi des indicateurs et du calendrier de mise en œuvre des sous-actions n’est toujours pas effectif en 2023. La collectivité indique assurer un suivi annuel à travers sa labellisation Cit’Ergie alors même que ces indicateurs diffèrent du PCAETs. Les deux principaux indicateurs de ce dernier relatif à la végétalisation et à la désimperméabilisation ne se retrouvent pas dans le label Cit’Ergie axé sur des mesures de consommation énergétique, d’émission de gaz à effet de serre, de mobilité.”

A noter que le PCAETs doit également s’adapter aux différents schémas de planifications urbains, et notamment le schéma de cohérence territoriale (SCoT). Celui de la Métropole date de 2006 et a été révisé en 2019 pour intégrer une stratégie de modération des îlots de chaleur urbains et la protection contre les risques d’inondations. Problème : le développement foncier (1 500 hectares d’extensions urbaines entre 2019 et 2040, insuffisant pour respecter la norme du “Zéro artificialisation nette”, introduite dans la loi Climat et Résilience de 2021) pourrait « potentiellement entrainer une augmentation de l’imperméabilisation des sols, qui, sans mesures limitatives, pourrait accroitre le volume d’eau de ruissellement ».

Mais la Métropole n’a révisé à nouveau le SCoT pour répondre à ces enjeux, préférant d’abord réviser le Plan local d’uranisme intercommunal climat (PLUIc), en débat depuis 2015. sa réalisation devrait avoir lieu en fin d’année.

Pour la cour des comptes, “la métropole n’a pas révisé le schéma de cohérence territorial afin de le mettre en cohérence avec les objectifs légaux de réduction du rythme d’artificialisation des sols. Les orientations du futur plan local d’urbanisme intercommunal, dont la procédure d’adoption débutée en 2015 n’est toujours pas achevée, ne mentionnent quant à elles qu’une baisse de 25 % de ce rythme. La métropole estime que le travail en cours permettra d’aboutir à une convergence de l’ensemble de ces objectifs. La chambre constate qu’il existe, à ce stade, un décalage important entre les documents de planification stratégiques et d’urbanisme locaux et les intentions affichées dans le plan climat air énergie territoire solidaire qui pour sa part reprend les objectifs de la région de zéro artificialisation nette d’ici 2040.”

De plus, toujours selon la Cour, le suivi opérationnel du PCAETs, assuré par la Mission Transition Énergétique et Climatique (MTEC), était sous-dimensionné par rapport à ses missions, avec seulement deux postes en 2022. Des recrutements ont été faits en 2023.

Végétalisation et îlots de chaleur : encore du boulot

La Cour des Comptes souligne une “connaissance encore imparfaite du patrimoine végétal” de la Métropole. Pour avoir une cartographie et un recensement exact de son patrimoine végétal, celle-ci a mené de études avec deux prestataires différents, utilisant l’aide de l’intelligence artificielle. Mais pour la Cour des comptes, ces études présentent un taux de fiabilité insuffisant.

Concernant les îlots de chaleur urbains, la Métropole a réalisé une carte permettant de corréler leur présence avec l’absence de végétalisation. Pour la Cour, “le PCAETs a identifié un plan de végétalisation pour lutter contre ces ilots de chaleur mais en pratique les opérations de végétalisation reposent sur une logique d’opportunité domaniale en fonction du foncier disponible, il n’existe pas de stratégie d’ensemble.Menée sur un seul jour d’un été 2019 particulièrement chaud, la connaissance des ilots dec haleur urbain doit être mieux approfondie par la collectivité.”

Concernant l’Opération “50 000 arbres” lancée par la Métropole en 2020, là encore, la Cour se montre sévère : si l’opération a déjà permis d’en planter 13 000, la Chambre régionale des comptes affirme que “le plan « 50 000 arbres » s’est déployé sans stratégie définie en amont, s’appuyant sur les opportunités disponibles connues, basées sur le déficit végétal de certains parcs et écoles. L’ampleur du programme a conduit la Ville en 2022 à faire appel à un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) lui permettant de mettre en œuvre la stratégie de « Montpellier Ville Nature » .Ce marché de prestations de services a été attribué en février 2022 pour un coût annuel de 100 k€,reconductible trois fois.

Composé d’une équipe pluridisciplinaire, l’AMO retenu a d’abord mené une phase de diagnostic dans laquelle il a identifié les potentiels sites de végétalisation à partir d’une approche multifactorielle.Le prestataire a remis en avril 2023 ses travaux visant l’objectif quantitatif de 50 000 arbres mais également un objectif qualitatif de repenser les modalités de plantations afin d’assurer leur pérennité. À partir d’orientations stratégiques concertées avec la collectivité, 11 sites géographiques ont été proposés. Les premières estimations effectuées par les services montrent qu’il serait possible de réaliser de l’ordre de 16 000 plantations sur ces sites hors régénération naturelle et parcelles privées. Hors abattages, remplacements et régénération naturelle15 000 arbres ont été déjà plantés entre 2020 et le premier trimestre 2023.Selon les conclusions de cette étude stratégique, l’éventualité de raccourcir l’objecti f quantitatif de plantations à 2026 n’est pas réalisable et la collectivité doit plutôt prioriser une approche qualitative.”

De plus, la Chambre régionale des comptes souligne que “les sites proposés ne sont pas les zones les plus impactées par les îlots de chaleur urbains.Ils sont plutôt situés dans des zones agricoles ou naturelles (Thomassy, Grammont, Coteau,Agriparc des Bouisses, vallée du Lez et de la Mosson) ou sur des espaces de mobilités (Liberté,route de Ganges, Ligne 5 du tram) dans lesquels l’arbre occupe une place insuffisante. Ils ont ainsi plus vocation à créer un maillage d’espaces naturels et forestiers en périphérie qu’à s’adapter au changement climatique en centre urbain.”

Enfin, elle s’interroge quant à la planification du budget alloué à l’entretien de ces arbres et reproche à la Ville de Montpellier et a la Métropole de ne pas avoir une stratégie d’entretien des arbres après l’identification des coûts associés à cette démarche.

Delafosse répond

Concernant le SCoT, Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de la Métropole a répondu que “Le PLUi est un préalable à la révision du SCOT. Au terme de la procédure du PLUi, les objectifs de planification convergeront. La rédaction du rapport qui évoque un décalage important entre les documents de planification stratégiques et les intentions affichées dans le plan climat air énergie territoire solidaire porte une affirmation qui ne reflète en rien la démarche actuelle. En effet ces deux documents ont vocation à porter une planification cohérente pour notre territoire.”

Sur l’absence de comptabilité analytique identifié par la cour, Michaël Delafosse assure que qu’elle existe pour certaine compétences comme “les actions en faveur de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations” ou “la collecte et traitement des ordures ménagères, les espaces verts et la politique agro-écologique et alimentaire”.

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