C’est urgent, il faut briser l’isolement du squat de réfugiés d’Euromédecine, à Montpellier

Le Poing Publié le 11 décembre 2019 à 17:06 (mis à jour le 11 décembre 2019 à 17:07)
Mobilisation des réfugiés de squat d'Euromédecine, le 10 décembre 2019 à Montpellier lors de la manifestation pour le retrait du projet de loi sur les retraites
Plus de 200 migrants d’Afrique noire connaissent des conditions de vie correctes dans un centre d’hébergement réquisitionné autogéré à Montpellier, dont l’expulsion aurait un sens hyper politique

Ça y est. L’hiver s’est fait méchant, le froid mordant sous le crachin, ce mercredi midi sur la place des Martyrs de la Résistance, à Montpellier. Pour les quelques dizaines de migrants africains qui s’y sont rassemblés, comme chaque jour depuis la fin de semaine dernière, l’ambiance tranche brusquement avec celle de la veille. Leur cortège était alors intégré, sous les applaudissements, à la belle manif sauvage qui continuait de sillonner l’Écusson à l’issue de la manifestation des syndicats contre la réforme des retraites.

Ce bref intermède chaleureux a vite fait de laisser place à un triste isolement. C’est un peu le problème du squat installé depuis février dernier dans un bâtiment de l’institut Bouisson Bertrand – vide de toute activité depuis cinq ans – en plein parc Euromédecine. On a fini par l’oublier. Cela en partie par l’attitude de ses responsables, déterminés à passer résolument à l’acte, plutôt que tergiverser en palabres au sein de groupements plus collectifs.

En arrière-plan, un bâtiment du squat d’Euromédecine
Mais c’est surtout que ce lieu tient la route, on y a sa chambre, et même sa clé de chambre. Ces migrants, Africains (presque exclusivement), y trouvent enfin un contexte stabilisateur. Une hygiène. Des services. Ils s’en réjouissent quand on le leur demande. Les bénévoles français qui y prêtent la main confirment la bonne tenue de l’ensemble. À tous les sens du terme, on y est à cent lieues du Château, derrière la gare, infect quoiqu’en plein centre-ville, qu’il avait fallu fuir, pour finir vers Grabels.

C’en est au point que Samuel, instigateur de la réquisition, s’est entendu dire par un responsable administratif : « Attention, vous êtes tellement réputés que vous allez finir par avoir autant de problèmes qu’un CADA ». Tout est dit dans cette phrase, qui marche sur la tête. Il est dit que ce squat pourrait être reconnu comme réalisant très valablement les tâches normalement dévolues à un Cada, service d’État, lequel est tenu, par la loi, de prendre en charge les demandeurs d’asile. Il est dit que les Cada, en capacité très insuffisante et délibérément sous-dotés en moyens par l’État, sont réduits à fonctionner dans des conditions déplorables.

Puis il faut lire entre les lignes : il est insupportable que soit ainsi démontré qu’un système d’accueil à peu près valable puisse fonctionner, de surcroît sur un fondement purement militant. Il faut démontrer qu’aucune solution n’est possible, que le problème réside dans l’existence des migrants en soi, aucunement dans la politique lamentable conduite à leur égard. L’existence du squat d’Euromédecine est un modèle, ou un contre-modèle, insolent, à rayer de la carte des possibles. Seul le pire est à prévoir. Du reste, Samuel s’entend dire que son lieu a le grave défaut de faire appel d’air.

« Il faudrait peut-être se demander pourquoi à Montpellier, on ne voit pas les images de migrants dormant sous des tentes dans la boue au milieu des rats ? » explose Samuel. « C’est l’image qu’on préfère donner, car c’est elle qu’on utilise pour justifier le rejet des migrants tout simplement ». Ainsi la Justice (on veut parler de l’Institution, pas du concept) a-t-elle conclu, la semaine dernière, que le squat d’Euromédecine est expulsable. Là, en plein hiver.

« La justice ou la rue » est l’une des banderoles que brandissent tous les jours les résidents concernés. Ils sont plus de deux cents. Il faut refuser cette expulsion. Sinon, au strict minima, dans l’hypothèse où Bouisson Bertrand rentre dans la jouissance de ce bâtiment, qu’une solution alternative viable soit proposée par l’État. L’opinion ne doit pas regarder cette expulsion de squat comme un cas parmi d’autres après tant d’autres, genre de fatalité. « Il faut que tous les autres réfugiés en difficulté nous rejoignent, que tous les gens qui se sentent concernés par ces politiques inhumaines qui sont conduites, imposent cette question au cœur de l’actualité » implore Samuel.

Sans quoi la machine continue, qui n’a pas d’autre sens que laminer, broyer, dévitaliser les plus faibles. « D’ailleurs, la question n’est pas différente de celle des deux cent mille Français qui eux aussi se retrouvent à la rue » estime Samuel. Il indique : « en plus de garantir une stabilité, nous sommes devenus un vrai centre d’urgence. De leur côté, les services d’État saucissonnent, sans le moindre complexe : le cas des enfants est traité en premier. Les femmes enceintes peuvent attendre à la rue. Puis viendront les femmes avec enfants. Puis les femmes seules. Mais une femme seule peut avoir dix-huit ans. Et la rue, quand on y tombe une semaine, c’est vite fait que ce soit pour toujours. Alors les hommes seuls, même pas la peine d’en parler. On en a qui au bout de neuf mois n’ont pas obtenu le moindre rendez-vous à l’Ofpra, ce qui défie toutes les règles ».

Tout autour, les réfugiés eux-mêmes rentrent dans la conversation, pour vite élargir le sens du débat : « C’est la France qui gouverne l’Afrique, y maintient ses sous-préfets déguisés en présidents du cru, dictateurs qui laissent leur pays dans l’état qui nous oblige à migrer » explique l’un d’eux. « D’une certaine manière c’est partout la France. Avec des liens pareils, elle devrait nous connaître assez bien, ne pas faire semblant de nous découvrir comme un problème ! ». Or, poursuit ce Gabonais, « je suis passé par l’Allemagne, et là-bas, jamais je n’ai vu un fonctionnaire, même policier, qui trouve normal de me laisser dormir dans la rue.

Il est possible de poursuivre ces échanges tous les jours à midi devant la préfecture, et aussi se renseigner sur la page Facebook « Solidarité partagée ».

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