Contre les armes mutilantes, une nouvelle campagne lancée à Montpellier
Le Poing
Publié le 19 décembre 2019 à 15:28 (mis à jour le 20 décembre 2019 à 09:41)
Après une année d’apathie devant un niveau de
répression ahurissant, un large éventail d’organisations montpelliéraines
espère un sursaut en se concentrant sur la seule interdiction des armes
destructrices utilisées par la police.
Le 5 décembre dernier, un nouveau collectif apparaissait dans la rue. On était en pleine manifestation géante contre la réforme des retraites. Un grand nombre des vingt-cinq mille manifestants avaient leur attention attirée par une installation militante très efficace, autour d’un seul slogan, sur une seule banderole : http://www.stoparmesmutilantes.org. En bordure du parcours, contre les murs aveugles du collège Clémence Royer boulevard Louis Blanc, on ne voyait que ça, complété par les portraits monstrueux de victimes d’armes de guerre, avec leurs blessures, au cours de l’année écoulée.
Les lectrices et lecteurs du Poing
sont déjà massivement sensibilisés à cette situation ahurissante, qu’on
pourrait résumer en deux chiffres : vingt-neuf énucléations oculaires dues
à des tirs de LBD pour la seule année 2019, contre soixante-cinq sur les vingt
années antérieures. On ne peut qu’encourager à se reporter vers les sites
mentionné ci-dessus, pour consulter un dossier statistique autant que
technique, extrêmement complet et précis sur les dégâts humains, les arsenaux
d’armes, et protocoles (on veut dire : dérives gravissimes) du maintien de
l’ordre désormais observables en France.
Précisément, l’usage de trois armes
font lourdement problème : le lanceur de balles de défense LBD 40, les
grenades de désencerclement (« dispositifs manuels de protection DMP, ou
DBD »), et les grenades assourdissantes lacrymogènes (particulièrement
GLI-F4). StopArmesMutilantes est un appel (on va y revenir). Dans cet
appel on lit : « cet arsenal fourni aux forces policières
françaises est sans équivalent en Europe. La dangerosité de ces armes est
reconnue. Certaines sont classifiées comme armes de guerre, d’autres
étant interdites par la Convention de Genève. En décembre 2017, le Défenseur
des droits recommandait l’interdiction de l’usage du LBD en raison de sa
dangerosité. En janvier 2019, il demandait sa suspension. Or, à ce jour, cette
arme est toujours utilisée ».
Le collectif initiateur de StopArmesMutilantes
tenait une conférence de presse mercredi à Montpellier. Celle-ci a débuté
par les témoignages d’Yvan et Kaïna, qui figurent parmi les cinq blessés de
l’hallucinant acte
7 des gilets jaunes à Montpellier. Ce 29 décembre 2018, la manifestation a
entrepris de bloquer la circulation des trains en gare Saint-Roch. Combien de
milliers d’infirmières, de viticulteurs, de lycéens, de commerçants et artisans
en colère, n’ont-ils déjà usé de ce même mode d’action dans ce même lieu ?
Mais les LBD claquent de partout, d’ailleurs pas sur les plus déterminés qui, eux, savent user de banderoles renforcées. On en tire même sur Yvan au sol, déjà blessé au visage, et ses soigneurs dans le même acharnement barbare (et il recevra encore une grenade). Midi Libre ne vit ce jour là que des « blessés légers ». Il faut alors écouter Kaïna, fondant en sanglots quand elle en parle (ou écoute les autres) un an après : « C’est une vie complètement changée. C’est une expérience que les autres n’ont jamais connue. Même soutenue, c’est rester seule. C’est perdre son emploi. Perdre son domicile. Ne pas être vraiment accompagnée par sa famille, non politisée, qui ne comprend pas et donc désapprouve. C’est ma fille qui fait des cauchemars. Qui me dit : “maman tu as vieilli de dix ans ”. Pleurer est devenu fréquent, alors que c’était rarissime. Manger est devenu compliqué. Effectuer une démarche, remplir un papier est compliqué. Dormir. C’est, en plus, être traînée au tribunal, être intimidée et menacée couramment par les policiers dans la rue qui m’appellent de mon prénom. L’autre jour devant le lycée que fréquente ma fille, où des jeunes faisaient un blocage, l’un me dit : “s’il se passe quelque chose, ce sera de votre faute !” »
On voit là des comportements de
bandes inciviques, sans rapport avec un quelconque Etat de droit. La dérive est
totale. Y compris morale. Cet Etat vise sciemment à terroriser, affliger,
laisser à la déploration des victimes. Kaïna l’indique bien : la seule
solution est de « témoigner, continuer de se battre ». Kaïna,
Yvan et les autres organiseront le 12 janvier prochain l’accueil à Montpellier
de la quatrième marche des Mutilés pour l’exemple (après Bordeaux et
deux fois à Paris). Ils sont une cinquantaine des blessés de l’année à
porter cet événement. On y reviendra.
Ce collectif n’est que l’un qui se démène sur ce terrain, aux côtés de Désarmons-les, l’Assemblée de Montpellier contre les violences d’État, la Ligue des Droits de l’Homme, etc. Pourquoi donc a-t-on besoin à présent de StopArmesMutilantes ? N’y a-t-il pas risque de dispersion ? Les responsables de cette nouvelle action s’en sont expliqués : « Nous tentons de fédérer sur un objectif extrêmement précis, resserré, sur lequel on peut donc espérer déclencher un mouvement d’opinion, et gagner : l’interdiction de ces armes. Nous n’empiétons sur aucune autre organisation, chacune a ses compétences, ses objectifs plus divers, les modes d’action de son choix ».
Corinne, qui est membre d’Action
Non-Violente COP 21 (connue par exemple pour ses décrochages de portraits
présidentiels), voit des signes prometteurs : « Dans la mouvance
qui se bat contre le changement climatique, beaucoup ont pris grand soin de se
démarquer des gilets jaunes, manifester ailleurs, manifester un autre jour, par
crainte des violences. Mais GreenPeace, Extinction Rébellion, l’ANV, ont
rejoint l’appel ». Il y a aussi des groupements qui usent de
méthodologies plus discrètes, Association des Chrétiens pour l’Abolition de la
Torture, Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté. Des assemblées
de gilets jaunes (Prés d’Arènes…), la Libre pensée, des partis de gauche (EELV,
NPA, PCF, etc), un bon nombre d’unions sectorielles de Sud-Solidaires, et encore
très rares de la CGT ou FSU, contribuent à ce vaste nuancier.
Sur ce dernier point, on reste loin
de cette page d’histoire trop oubliée : c’est la répression policière
brutale des manifestations dans le seul Quartier latin aux premiers jours de
mai 68, qui provoqua une journée syndicale de protestation précisément pour
contrer ces violences policières. Ce fut un succès tel, que sentant sa force,
le monde ouvrier s’emballa ensuite, de la manière qu’on sait.
Au regard de ce mouvement
historique, plus d’un an après le 17 novembre 2018, on n’en est encore qu’aux
petits pas. Mais les Montpelliérains de StopArmesMutilantes croient en
leur chance, même nationale : « Dans la plupart de nos
organisations respectives, nous avons l’habitude d’attendre des initiatives
nationales, pour les répercuter localement. Là, on sent que notre initiative
est en train d’accrocher à notre échelle. Et alors nous pourrons faire que le
mouvement remonte en national. Nous tentons le modèle inverse ».
Très pragmatiquement, Kaïna remarque :
« Beaucoup de choses se font depuis Paris, et à Paris, donc difficiles
à suivre. C’est très important qu’il y ait de l’initiative et de la capacité
d’organisation ailleurs, dans le sud ».
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