Loin des micros officiels, discussions avec des manifestants anti-pass | 3ème entretien
Le Poing a décidé de produire dans les jours qui viennent une série de discussions avec certains de ces manifestants anti-pass. De ceux qu’on entend pas, loin des micros officiels et des tribunes, et des questions trop brèves du micro-trottoir journalistique aboutissant à de la caricature. 3ème entretien. Nous nous sommes entretenus avec des personnes variées, avec donc du contenu et des thèmes divers. Retrouvez notre quatrième entretien dès ce soir 20 heures.
Si vous avez déjà lu notre premier ou notre second entretien, vous pouvez sauter l’introduction, qui est la même, pour passer directement à la discussion.
Lors de la manifestation montpelliéraine du samedi 28 août – sur laquelle Le Poing a déjà réalisé un article – un de nos journalistes est allé à la rencontre des personnes qui ne prennent pas la parole, loin des micros officiels et des tribunes. En essayant de se tourner vers des profils variés, et pour des discussions relativement approfondies. Un peu en deçà de l’entretien, un peu au-delà du micro-trottoir. Evidemment le temps nous a été compté, nous n’avons pas pu aborder tous les sujets auxquels on aurait aimé toucher avec tout le monde. Et nous ne prétendons pas avoir eu accès à un panel rigoureusement représentatif des participants à cette manifestation. Nous vous proposerons dans les jours à venir une série de discussions, publiées d’une manière relativement brute pour ne pas faire violence à tout ce qui se comprend dans les non-dits, les changements de sujets etc…
Avant de vous présenter le troisième entretien, petite mise au point méthodologique. On peut se dire que le journalisme a trois objets : les faits, l’expression d’opinions ou l’analyse, et l’être humain.
Le Poing vous a déjà, avec d’autres médias indépendants, proposées des vérifications de faits. Dans le cas des manifs anti pass, souvent sur l’extrême-droite, sur certaines théories sorties de sources non fiables, ou encore sur la nature du leadership du mouvement montpelliérain. Et nous continuerons à le faire. Nous avons, comme d’autres, exprimé notre point de vue de manière raisonnée et documentée, via des éditos ou des analyses. Et nous continuerons à la faire.
Vérifiez toujours vos sources, recoupez les pour voir si vous tombez sur la même chose ailleurs, ne cédez pas aux rumeurs de couloirs, c’est crucial dans une période où les vautours de toutes sortes manipulent les justes colères !
Mais cette fois-ci notre démarche sera différente. Nous nous intéresserons très directement aux gens présents, en silence. Aussi comprenez que si tout n’est pas sourcé, ça ne relève pas de la négligence. Une conviction humaine, contrairement à un fait, ne se source pas : elle se constate, se discute, évolue parfois. Comprenez aussi que l’absence de commentaires ne relève pas d’une volonté de permettre à n’importe quelle thèse de se répandre. Il s’agit plutôt, avec nos maigres moyens, de saisir une époque.
Nous n’entretenons aucunes illusions quant au fait que le mouvement anti-pass soit un mouvement entièrement ouvrier ou populaire. On y trouve de tout. Y compris des gens des classes populaires. Et dont certains souhaiteraient une révolution. Aussi nous citerons Rosa Luxembourg, une allemande qui a milité toute sa vie pour un communisme démocratique, radicalement différent de celui qui a pu être mis en œuvre en URSS ou ailleurs :
« Disons-le sans détours, les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur « Comité central ».
Précisons enfin qu’aucune des personnes interrogées n’ a souhaitée ni être prise en photo, ni donner son nom. Preuve certainement que la question du pass est clivante dans tous les cercles sociaux, familles comprises.
Samedi 28 août. Nouvelle manif contre le pass sanitaire. Après une discussion avec une dame à chignon, une seconde palabre m’a temporairement détournée du cortège. Je tente de le rattraper, en courant. Sprintant sur le boulevard Louis Blanc, et cherchant la discussion avec des personnes variées, je suis interpellé par un échange saisi au vol entre un homme et deux femmes, quittant la manifestation pour obligations familiales. « Les antifas, les fascistes, ils nous font bien chier quand même avec leur petite guéguerre » Je m’arrête. Me présente comme journaliste. Leur fait part de ma curiosité sur ce que je viens d’entendre. La rencontre se produit. C’est l’homme qui est le plus disposé à parler, les deux femmes paraissent lassées des débats.
Lui : Le mouvement c’est uniquement pour le pass sanitaire. Il y en a, les anars, les marxistes, la ligue du midi, qui sont là pour en découdre entre eux, qui ne comprennent pas qu’on doit s’unir. Le seul ennemi à combattre c’est le gouvernement, le pass sanitaire et leurs lois liberticides.
Le Poing : Alors j’ai une question. Je ne parle pas des gens tentés par le vote Rassemblement National. Mais dans ces manifs on a pu trouver des gens comme La Ligue du Midi, dont tu viens de me parler. Bon, c’est documenté, c’est des personnes ultra-violentes, dont certaines ont été condamnés pour des faits graves, comme des coups de couteau sur ce qu’ils considèrent comme opposants politiques. Dans les manifs liées au pass sanitaire ils ont parfois mis des gants coqués devant des gens en les traitant de bougnoules. C’est-à-dire que ça fait peur, c’est dissuasif pour certains. Alors est ce que dans ce cas précis on peut faire l’unité avec ces gens ?
Lui : Moi j’ai un adage, qui est connu depuis des siècles : « L’ennemi de mon ennemi est mon ennemi »
LP : Bon tu réponds pas vraiment à ma question en même temps…
Lui : Moi je débarque récemment dans le mouvement avec mes amis, c’est la deuxième manif que je fais. Après j’ai un certain âge, j’ai connu beaucoup de choses autour des syndicats, j’avais des amis communistes avec qui on avait parfois des débats houleux, parfois des points d’accord. Mais au final je me fais mon propre avis. Là on défend la liberté, faut pas défendre autre chose, c’est que la liberté. Moi je discute avec des gens qu’on disaient racistes et fascistes, et j’ai ressenti aucun racisme de la part de ces gens-là. J’ai ressenti des idées qu’ils défendent qui peuvent être proches des miennes, sur l’immigration par exemple. Mais il faut débattre de ça tranquillement, sans taxer les gens de fascistes. Pour moi le fascisme, c’est des gens qui cherchent à me dire ce qu’il faut penser. Je défends plutôt l’idée que tu penses ce que tu as envie de penser, tu peux pas empêcher les autres de penser comme ils le veulent. On peut discuter, être convaincus par certaines choses de l’autre, ou pas, et à la fin on va se serrer la main de bon cœur. Les gouvernements, les politiques ils jouent à empêcher ça. Pour le pouvoir. Tous confondus. Que ce soient les Le Pen, les Macron, les Hollande, les Sarkozy… Depuis trente ans, les politiques n’écoutent plus le peuple. Ils écoutent d’autres personnes. L’Union Européenne. Et notre adage, à nous le peuple, ça devrait être de se rassembler, de défendre nos droits, notre Constitution. C’est important, ça fait plus de dix ans que je dis qu’on vis dans une dictature. On l’étais bien avant en vrai. On a l’illusion de la liberté, mais en fait on travaille en se faisant exploiter, on se balade quand on veut bien nous laisser le temps de le faire. Et les politiques on a toujours les même : qu’on mette droite, gauche, qu’on mette Le Pen, Mélenchon, Les Verts. C’est tous les mêmes en fait. Ils font tous partie de la même caste. C’est des petits groupes politiques, mais en fait t’en fait vite le tour et tu te rends compte qu’ils n’ont rien à voir avec toi. C’est pour ça que quoi qu’ils fassent ils vont pas en prison, ils se protègent les uns les autres : l’évasion fiscale, ils trafiquent les mallettes de billets. Et dans les médias, parce que les grands médias leur appartiennent, aux grands de ce monde, on nous emmêle les pinceaux, on noie le poisson, on nous parle de tel ou tel groupe censé être ultra violent pour faire peur, pour détourner l’attention. Et y’a des gens qui restent focus là-dessus, parce qu’ils croient que le gouvernement est bienveillant. Mais il a jamais été bienveillant, et il est même de plus en plus malveillant. Son but on a de plus en plus l’impression que c’est de nous mettre en prison. Je veux pouvoir faire ce que je veux dans le respect des autres : m’assoir à tel endroit, boire un café, prendre ma voiture et aller à cent kilomètres. C’est eux les fascistes, le gouvernement.
LP : Sans rentrer dans le débat sur l’immigration, j’ai envie de te raconter un truc. Y’a un mec qui est dans ces manifs, qui s’appelle Olivier Roudier, affilié à cette fameuse Ligue du Midi. Quelques années auparavant, en 2013, il a donné un coup de poing américain dans la tempe d’une amie qui, avec d’autres, mettait une banderole sur le parking des Halles Laissac. La tempe. Tu vois ce que c’est ? A cet endroit et en contact violent avec du métal, la mort c’est une histoire de millimètres…
Lui : Je connais pas bien tout ça, habituellement je suis pas dans le truc de manifester. Alors je m’en tiens à ça : la seule façon de redonner le pays au peuple, c’est de les faire tous tomber.
LP : Comment tu verrais ça de ton côté, ça se passerait comment ?
Lui : Y’a une seule façon. Déjà quelque part le pass et son extension à de plus en plus de monde ça ramène des gens dans la rue contre le gouvernement. Nous faudrait plus de monde dans les rues, mais aussi plus d’organisation en France, pour pouvoir à un moment donné faire une révolution totale, se réunir tous près des institutions, on arrête les dirigeants, on les met en taule, et après on discute avec le peuple pour voir qui doit être jugé, comment. Et ceux qui vont en taule on ne les laisse plus sortir. Sinon ils vont recommencer. L’Union Européenne avec leur complicité contrôle tout : les banques etc… Ils peuvent tout te couper du jour au lendemain. D’ailleurs fait des réserves, à mon avis ça va pas tarder. Moi j’ai construit une cabane à la montagne, par sécurité, au moins quoi qu’il arrive je suis tranquille. Pas de supermarchés mais ça me dérange pas, j’y met pas les pieds.
L’endroit de montagne choisit par mon interlocuteur m’étant connu, et cher, s’ensuit une pause dans la discussion politique. Un petit échange d’émerveillements, au milieu de cette discussion plutôt sombre.
LP : Bon, assez parlé montagne. On reprend ?
Lui : Si on fait pas cette révolution dont je te parlais ça continuera toujours, peut-être qu’on les fera reculer sur quelques lois de temps en temps, mais y’en aura toujours de nouvelles pour réduire nos droits. Certains veulent passer par des institutions, des recours juridiques. Mais elles sont pour la plupart corrompues. Autant si tu te démènes à y faire appel, non seulement ça marchera pas, mais en plus c’est toi qu’on va venir harceler derrière.
Nous nous sommes entretenus avec des personnes variées, avec donc du contenu et des thèmes variés. Retrouvez notre quatrième entretien dès ce soir 20 heures.
Julien Servent
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