Loin des micros officiels, discussions avec des manifestants anti-pass | 2ème entretien

Le Poing Publié le 1 septembre 2021 à 20:14 (mis à jour le 1 septembre 2021 à 22:14)

Le Poing a décidé de produire dans les jours qui viennent une série de discussions avec certains de ces manifestants anti-pass. De ceux qu’on entend pas, loin des micros officiels et des tribunes, et des questions trop brèves du micro-trottoir journalistiques aboutissant à de la caricature. 2ème entretien.

Si vous avez déjà lu notre premier entretien, vous pouvez sauter l’introduction, qui est la même, pour passer directement à la discussion.

Lors de la manifestation montpelliéraine du samedi 28 août – sur laquelle Le Poing a déjà réalisé un article – un de nos journalistes est allé à la rencontre des personnes qui ne prennent pas la parole, loin des micros officiels et des tribunes. En essayant de se tourner vers des profils variés, et pour des discussions relativement approfondies. Un peu en deçà de l’entretien, un peu au-delà du micro-trottoir. Evidemment le temps nous a été compté, nous n’avons pas pu aborder tous les sujets auxquels on aurait aimé toucher avec tout le monde. Et nous ne prétendons pas avoir eu accès à un panel rigoureusement représentatif des participants à cette manifestation. Nous vous proposerons dans les jours à venir une série de discussions, publiées d’une manière relativement brute pour ne pas faire violence à tout ce qui se comprend dans les non-dits, les changements de sujets etc…

Avant de vous présenter le second entretien, petite mise au point méthodologique. On peut se dire que le journalisme a trois objets : les faits, l’expression d’opinions ou l’analyse, et l’être humain.

Le Poing vous a déjà, avec d’autres médias indépendants, proposées des vérifications de faits. Dans le cas des manifs anti pass, souvent sur l’extrême-droite, sur certaines théories sorties de sources non fiables, ou encore sur la nature du leadership du mouvement montpelliérain. Et nous continuerons à le faire. Nous avons, comme d’autres, exprimé notre point de vue de manière raisonnée et documentée, via des éditos ou des analyses. Et nous continuerons à la faire.

Vérifiez toujours vos sources, recoupez les pour voir si vous tombez sur la même chose ailleurs, ne cédez pas aux rumeurs de couloirs, c’est crucial dans une période où les vautours de toutes sortes manipulent les justes colères !

Mais cette fois-ci notre démarche sera différente. Nous nous intéresserons très directement aux gens présents, en silence. Aussi comprenez que si tout n’est pas sourcé, ça ne relève pas de la négligence. Une conviction humaine, contrairement à un fait, ne se source pas : elle se constate, se discute, évolue parfois. Comprenez aussi que l’absence de commentaires ne relève pas d’une volonté de permettre à n’importe quelle thèse de se répandre. Il s’agit plutôt, avec nos maigres moyens, de saisir une époque.

Nous n’entretenons aucune illusions quant au fait que le mouvement anti-pass soit un mouvement entièrement ouvrier ou populaire. On y trouve de tout. Y compris des gens des classes populaires. Et dont certains souhaiteraient une révolution. Aussi nous citerons Rosa Luxembourg, une allemande qui a milité toute sa vie pour un communisme démocratique, radicalement différent de celui qui a pu être mis en œuvre en URSS ou ailleurs :

« Disons-le sans détours, les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur « Comité central ».

Précisons enfin qu’aucune des personnes interrogées n’ a souhaitée ni être prise en photo, ni donner son nom. Preuve certainement que la question du pass est clivante dans tous les cercles sociaux, familles comprises.

Peu après ma discussion avec la dame au chignon, objet du premier entretien paru dans les colonnes du Poing, le cortège s’ébranle, direction la rue Foch. J’aborde cette fois-ci un grand gaillard, grand sourire aux lèvres, qui tient avec un de ses amis une banderole. Au message classique, contre le pass sanitaire.

Le Poing : Salut ! Dis-moi, je suis journaliste indépendant pour le Poing. Tu as un peu de temps pour qu’on discutes ?

Lui : Aller !

LP : Qu’est ce qui t’amènes dans cette manifestation ? Et essaie de parler fort s’il te plaît, y’a du boucan autour de nous !

Lui : T’inquiètes, c’est dans ma nature ( grand éclat de rire ). Pour être honnête au début j’avais du mal à venir. Et puis après plusieurs discussions avec mes amis on s’est dit que si on est pas d’accord, le mieux c’est d’assumer, de montrer par la voie pacifique que ça ne nous va pas. Ce qu’il se passe c’est une violation des droits humains. Si on est pas d’accord pour se faire vacciner, on ne peut pas nous l’imposer, ce n’est pas ça la république. Parce que ce que fait Macron est hypocrite, c’est de l’ordre de « si vous ne voulez pas vous vacciner, ok, mais on vous enlèvera tout ce qui vous permet de vivre ». Une façon d’imposer d’une manière indirecte.

LP : Qu’est-ce qui a fait que tu as hésité à venir manifester au début ?

Lui : Parce que franchement je ne pouvais pas venir manifester sans avoir la certitude de ce pourquoi je manifeste. On manifeste contre le vaccin imposé. Mais c’est pas ça la vérité à mon sens. On manifeste parce que les gens ont peur de se faire vacciner. Pourquoi les gens ont peur de se faire vacciner ? Je suis étudiant, et on m’a appris que pour qu’un vaccin soit mis sur le marché avec preuves d’efficacité et de non dangerosité, il faut au moins huit ans d’études. Et là après un ou deux ans d’études on nous trouve un vaccin. Et qui sait, après cinq ans, six ans, quelles seront les conséquences et les effets secondaires ? Alors je me suis posé la question : est-ce que ce vaccin existait bien avant la pandémie ? Mais si c’est le cas, ça veut dire aussi que la pandémie a été cuisinée. Moi je peux pas les accuser, je peux pas dire que oui c’est une volonté d’assassiner. Mais franchement je ne crois pas à l’efficacité du vaccin.

LP : Du coup tu penses que la pandémie a été créée, pour nous manipuler ? Ou alors que le vaccin est juste trouvé dans l’urgence, pour raisons sanitaires même si assez peu à l’écart des intérêts de l’industrie pharmaceutique ?

Lui : Ah non. Y’a deux possibilités. D’abord soit le vaccin existait bien avant mais donc la pandémie aussi. On voit des théories circuler comme quoi elle serait faite pour éliminer les personnes les moins importantes aux yeux des gouvernements, en partie pour régler des problèmes de surpopulation sur la terre. Alors que pour moi toutes les personnes sont uniques et importantes. On l’a vu, le virus a tué beaucoup plus chez les pauvres exclus du travail, les personnes âgées, les personnes non valides. Mais je ne peux pas les accuser parce que pour accuser des gens il ne faut pas seulement se fonder sur son esprit ou celui des autres, il faut avoir des preuves matérielles. Si le vaccin vient d’être inventé, c’est autre chose, c’est tous les scientifiques du monde qui se sont mis à bosser dessus. En termes de vaccin en général je peux être d’accord. Mais il faut laisser le temps de voir l’efficacité du vaccin, et s’il n’a pas d’effets secondaires. Tous les protocoles scientifiques préexistants vont dans ce sens avant qu’un vaccin ne soit mis sur le marché. Et on ne voit pas ça en deux mois, ou un ans ! Et c’est ce qui fait que je ne me fait pas vacciner. Parce qu’ils ont misé sur l’instant T, mais après 5 ou 10 ans, qu’est-ce qu’il va se passer ?

LP : Tu te sens hostile aux vaccinés ?

Lui : Ce serait fou de les haïr, de les ségréger, de leur en vouloir. Quand un vaccin est mis sur le marché après si peu de temps, au mépris des protocoles dont je t’ai parlé et qu’on m’a appris, et même si tous les scientifiques du monde y ont planché, on est pas dans l’ordre de la science. On est dans l’ordre de la peur, de la croyance, de la conviction. Donc chacun la sienne au final. Et d’ailleurs ce que j’aime aussi dans ce mouvement c’est qu’il y a beaucoup de gens vaccinés qui viennent pour soutenir, parce qu’ils ne trouvent pas normal ce qu’il se passe

LP : Dans ce mouvement, à Montpellier et dans d’autres villes, il y a des groupes d’extrême droite. Dont l’idéologie veut exclure, voire éradiquer une partie de la population. Certains ont commis des choses violentes, jusqu’à la tentative d’assassinat, sans aucun regrets. Qu’est-ce que tu en penses toi ?

Lui : Alors là c’est une question délicate. Et je me sens concerné au tout premier plan quelque part, regarde, je suis africain et on ne peut pas le rater. Je me suis un peu intéressé aux sciences politiques, et il y a ce qu’on appelle la manipulation des manifestants. Des fois il y a des groupes qui s’infiltrent pour des buts tout autres que ceux de la mobilisation, ou pour pousser les autres à la violence. Mais encore une fois là-dessus il ne faut pas se fonder sur son instinct, mais sur des preuves. Moi je ne peux pas dire un tel ou un tel manipule et n’a aucun respect pour les autres êtres vivants, sans preuves.

LP : Ce que j’ai envie de te dire c’est que il y en a des preuves. Et encore une fois je ne parle pas de personnes comme toi et moi plus ou moins tentée par le vote Rassemblement National, ça c’est un en partie un autre problème je pense. Des groupes très violents, comme le Ligue du Midi, ont pendant les manifs, ici, à Montpellier, eu des comportements graves, documentés par notre média : agressions d’autres manifestants, insultes racistes. Attaques de locaux qui déterminaient l’âge des jeunes étrangers par le passé.

Lui : Oui, c’est grave. Je ne sais pas pourquoi ils le font…C’est peut-être de la responsabilité individuelle de chacun d’intervenir dans ces cas-là. Je vais citer Rousseau par ailleurs, qui dit que quand il n’y a pas de manifestations dans un pays, que le peuple est calme, cela prouve qu’il y a une dictature imposée qui empêche tout système de révolte. Et que si le peuple se manifeste, cela montre qu’on est dans un pays démocratique. La démocratie nous dit quoi : que si on est pas d’accord avec une loi on a la liberté de sortir manifester de manière pacifique, en respectant les protocoles. Et si des gens dans les manifs se jettent sur les autres pour les agresser, ce ne sont pas des manifestants, ce sont des criminels.

LP : J’ai encore envie de te donner quelques exemples, documentés par notre média. Le 24 juillet, des militants de La Ligue du Midi dont je te parlais ont frappé des militants communistes opposés au pass sanitaire. Une semaine plus tard, ils ont enfilé leurs gants coqués avant de fixer quelqu’un dans la foule et de le traiter de bougnoule. Qu’est-ce qu’on fait de ça ? Est-ce qu’on peut leur permettre de rester en manif ?

Lui : Franchement si ça continue comme ça les gens auront peur, on ne manifeste pas pour se faire blesser ou tuer mais pour assurer notre survie. C’est sûr que ça va dissuader des gens, mais parmi les fascistes dont tu me parles j’ai l’impression que c’est sans fin : quand tu coupes une tête il y en a une autre qui repousse. Dans tous les cas il faut continuer le combat !

LP : Mais est ce qu’il ne faudrait pas s’arranger pour les exclure ?

Lui : C’est compliqué, franchement je ne sais pas quoi te répondre…

Nous avons interrogé des personnes variées. Retrouvez dès demain entre midi et deux notre troisième entretien, avec contenus et thèmes différents.

Julien Servent

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