Précarité, police, caméras, gratuité : à Montpellier, la grave agression d’un contrôleur de la TAM pose des questions

Le Poing Publié le 9 juin 2022 à 19:49 (mis à jour le 9 juin 2022 à 20:48)
Image d'illustration

Suite à l’agression au couteau d’un contrôleur de bus à Montpellier ce mercredi 8 juin, les salariés de la TAM ont exercé leur droit de retrait, provoquant la suspension des lignes de bus et tram. La circulation des transports en commun a repris ce jeudi 9 dès le matin, et la direction de la TAM s’est engagée à prendre des mesures dès le mois de septembre. Renforcement des effectifs de police, caméras, gratuité des transports : des solutions ? Au Poing, une agression de cette gravité ne nous réjouit pas plus que la perspective de voir plus d’uniformes de flics.

Sur les coups de 15h ce mercredi 8 juin, un contrôleur a pris un coup de couteau à la cuisse après avoir demandé son titre de transport à un passager à l’arrêt Les Bouisses, dans le quartier de la Martelle. Hospitalisé dans la foulée, le salarié est passé au bloc opératoire.

“C’est passé tout près de l’artère, ça aurait pû lui coûter la vie”, commente Laurent Murcia, responsable du syndicat Force Ouvrière, largement majoritaire à la TAM, très implanté parmi les conducteurs. “Les conducteurs et contrôleurs sont épuisés par la multiplication des incivilités ces dernières années sur le réseau de transport public montpelliérain. On s’excuse pour la gêne occasionnée pour les usagers, mais on ne pouvait pas laisser passer. Parce qu’on ne savait pas avec certitude si l’individu avait été interpellé, il est parti en courant dans la foulée de l’agression. Mais aussi parce qu’il nous fallait marquer le coup, montrer à la direction qu’il faut prendre des mesures. Depuis quinze ans que je roule, je peux vous dire que jusqu’à y’a quelques années ont avait pas ce genre de soucis sur le réseau montpelliérain. Dans l’absolu on a aucune idée de qui est l’agresseur. Mais quand on roule on voit tout ce qui se passe en ville, et la misère sociale est en plein boom. Depuis que j’ai commencé le nombre de gens à la rue a explosé, on voit de tout, et beaucoup de jeunes. Rien ne s’arrange, dans notre entourage on a des gens qui se demandent s’ils vont pouvoir mettre de l’essence pour aller travailler. Même avec un salaire, beaucoup de gens ne s’en sortent plus. Mon impression personnelle c’est que nous en bout en chaîne on mange la tension que ça provoque. La gestion de la crise sanitaire liée au Covid n’a rien arrangé, avec beaucoup de tensions dûes à l’obligation de porter le masque dans les transports. Faut que les gens prennent conscience que l’urgence sociale, c’est pas que des mots, pas que des préoccupations à agiter quelques semaines avant les élections. C’est une cocotte-minute, et ça va nous péter à la geule…”

Le taux de pauvreté à Montpellier en 2019 était de 19 % en 2019, contre 14,3% dans l’ensemble de la France métropolitaine. D’autant plus inquiétant que ce taux souvent brandi ressemble à l’arbre qui cache la forêt : de nombreuses personnes au-dessus de ce seuil rencontrent de graves difficultés économiques. Selon, un sondage Ipsos/Secours Populaire en date de septembre 2021, 30 % des Français déclarent avoir de plus en plus de difficultés pour avoir une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jour. En octobre 2020, le même Secours populaire mettait en garde contre une flambée de pauvreté sans précédent depuis la Seconde Guerre Mondiale. Dans le même temps, les géants du CAC 40 français ont dégagé des profits record de près de 160 milliards d’euros en 2021 !

Le soir même de l’agression, alors que la victime sort tout juste de l’hôpital, une assemblée générale des salariés de la TAM a été convoquée pour faire le point sur la situation. Une rencontre a eu lieu ce jeudi 9 juin au matin avec la direction. Laquelle s’est engagée à prendre des mesures dès le mois de septembre : les voitures de contrôleurs de la TAM, qui embarquaient jusqu’ici trois personnes, une qui reste au volant et deux qui effectuent les contrôles, passeront à quatre passagers, pour assurer une plus forte présence humaine, plus dissuasive. “Il faut qu’on ait plus de disponibilités humaines, plus de moyens pour pouvoir parler aux usagers, calmer les choses, retisser du lien.”, assure Laurent Murcia.

Sur Montpellier, les contrôleurs du tram et des bus sont depuis peu équipés d’un dispositif de caméras-piétons, qui permet de garder une trace vidéo de leurs interventions. Les agents, formés par la police municipale pour utiliser ce système, ont la possibilité de déclencher lorsqu’un usager le demande, lorsque le nombre de contrôleurs est inférieur au nombre de personnes contrôlées, ou dans une situation de flagrance. Lorsque l’enregistrement est déclenché, l’information doit être systématiquement donnée à l’usager. Dans un premier temps, seuls les chefs d’équipes seront habilités à en porter. Seize caméras piétons, qui coûtent 1.000 euros chacune à la métropole de Montpellier, ont été mises à leur disposition. Dans près d’un an, un retour d’expérience permettra à la collectivité d’évaluer ce nouveau système.

Par le passé, des problèmes massifs de brutalités dans les transports avaient été posés par la société de sécurité privée lyonnaise SCAT, utilisée par la direction de la TAM pour la sous-traitance des contrôles de billets. “On les a assignés au tribunal avec le syndicat, en 2018, suite à quoi le service des contrôles a été réintégré à la TAM.”, commente Laurent Murcia.

Théoriquement, un usager qui estime que son contrôle s’est mal passé peut demander via un avocat à récupérer les images. Ca, c’est la théorie. Dans la réalité, les abus de contrôleurs n’ont pas tout à fait cessés avec le départ de la SCAT. En septembre 2019, Le Poing a pû documenter une tentative d’intimidation envers le témoin d’un contrôle musclé qui filmait la scène avec un téléphone. Pourtant rien dans la loi ne vous empêche de filmer un contrôleur ou un flic, et de diffuser les images. Rappelons que si l’usager peut faire une demande de déclenchement de ces toutes nouvelles caméras-piéton, en dernier recours c’est le contrôleur qui la porte et qui décide ou non d’appuyer sur le bouton déclencheur.

Rappelons également que les contrôleurs n’ont pas tous les droits. Selon un délégué syndical SUD TAM, « vous pouvez sortir quand vous voulez et monter quand vous voulez. [Les contrôleurs] n’ont aucun droit, ce ne sont pas des officiers de police judiciaire. Ils n’ont pas le droit de vous appréhender. […] Vous n’avez tué personne et ce n’est pas parce que vous n’avez pas validé un ticket qu’on doit vous retenir » On trouvera plus d’infos sur les droits des contrôleurs par ici. Le seul cas dans lequel un contrôleur peut retenir un usager, sans pour autant avoir le droit d’user de la force, c’est lorsqu’il en a reçu l’ordre par un officier de police judiciaire. Pour cette raison, et aussi pour assurer la sécurité des travailleurs et des usagers, les effectifs de police sont de plus en plus présents dans les transports montpelliérains.

Le Monsieur Sécurité de l’équipe du maire “socialiste”, Delafosse, Sébatien Cote, censé être en charge de la sécurité publique, avec un palmarès peu glorieux fait de chasse aux SDF, de verbalisations des livreurs à vélo précaires pendant la crise sanitaire, de répression des manifs montpelliéraines, assurait il y a quelques mois déjà un renforcement des opérations “coups de poing”, menées conjointement par les agents de la TAM, et les polices nationales et municipales. Et la création d’une police des transports à l’horizon 2023. Une vieille promesse de campagne pour Delafosse.

Au Poing, une agression de cette gravité sur un salarié de la TAM ne nous réjouit pas plus que la perspective de voir plus d’uniformes de flics, à l’heure où l’institution policière est totalement en roue libre et où les tirs à balles réelles pour de simples refus d’obtempérer se multiplient, parfois mortels, et dans une glaçante impunité.

Les politiques de la direction de la TAM en terme d’amendes pénalisent de fait les plus précaires. Plus on est pauvre, plus on paie, c’est le principe induit par la majoration des amendes qui ne sont pas réglées immédiatement. La gratuité des transports pour les habitants de la Métropole, un engagement pris par Delafosse pendant sa dernière campagne aux municipales, est-t-elle une solution ?

Depuis septembre 2020, trams et bus sont déjà gratuits le week-end. Un an plus tard, les mineurs et les plus de 65 ans pouvaient aussi voyager gratuitement toute la semaine. Fin 2023, la gratuité est censée s’étendre à tous les habitants de la métropole, sept jours sur sept. Une mesure pensée , ou présentée, comme à la fois sociale et écologique, car elle encourage l’usage des transports en commun. Et qui s’inscrit dans un vaste programme autour de la mobilité chiffré par la métropole à un milliard d’euros sur l’ensemble du mandat. Lequel prévoit notamment la création d’une cinquième ligne de tramway d’ici fin 2025 et une nouvelle «offre de mobilité décarbonnée», à savoir des bus électriques qui desserviront cinq nouvelles destinations dans trois ans. Un réseau de «lignes express» dédiées aux vélos devrait à terme couvrir 235 kilomètres de linéaire.

Mais la gratuité des transports ne suscite pas vraiment l’enthousiasme des syndicalistes de Force Ouvrière. D’après eux, beaucoup de salariés se montrent inquiets quant au manque à gagner pour la TAM, et aux conséquences que cela peut avoir, en terme de conditions de travail, mais aussi de qualité du service public. “Le problème, c’est que les vrais solutions ne rapportent pas gros aux élections”, estime Laurent Murcia. Le syndicat plaide pour une extension de la gratuité sur critères sociaux, aux jeunes, aux salariés à faibles revenus, aux bénéficiares des minimas sociaux. Quitte à faire monter le prix des billets pour ceux qui ont les moyens, prônant par là même une option qui participerait à une répartition des richesses et qui permettrait aux caisses de la TAM d’être suffisament remplies pour assurer des conditions de travail dignes et une certaine qualité du service public.

Sur les 39 millions d’euros de recettes annuelles de la TAM, avant le début de l’instauration de la gratuité, 24 ne seront plus disponibles une fois la mise en place de la mesure achevée ( 15 millions d’euros de recettes annuelles proviennent de personnes qui n’habitent pas la Métropole ). Pendant la campagne municipale qui l’a porté à la mairie, Delafosse annonçait vouloir financer la mesure par une réduction de 5% des frais de fonctionnement de la Métropole. De l’argent que la Métropole pourrait par exemple consacrer à l’amélioration des conditions de travail des vacataires dont elle abuse éhontèment.

Julie Frêche, vice-présidente de la Métropole déléguée aux transports et aux mobilités actives, estimait fin 2021 qu’un effort de tarification sociale dans le réseau de transport public serait “un combat des années 70 qui a été mené à Montpellier comme ailleurs, mais qui est dépassé”.

Si Julie Frêche fait ici référence aux années 70 comme période de réémergence spectaculaire de la lutte des classes, dans la foulée de mai 68, l’avenir pourrait bien lui donner tord, en s’inscrivant dans la foulée des luttes contre la loi travail de 2016, de celles des gilets jaunes et du mouvement social contre la réforme des retraites. Ou plus localement des luttes de salariés précaires qui se multiplient ces dernières années, souvent dans le secteur public, souvent dans des secteurs du service public qui dépendent directement de la Métropole ou de la mairie.

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