Espoirs et désespoirs du féminisme (jusqu’au Poing…)

Khalie Guirado Publié le 13 avril 2024 à 11:08 (mis à jour le 15 novembre 2024 à 18:36)
Détournement publicitaire lors d'une manifestation féministe à Montpellier. Le Poing

Cet article, initialement publié dans le numéro 39 spécial 10 ans du Poing imprimé en janvier 2024, fait référence à des féminicides et des violences sexistes et sexuelles.

Écrire sur les dix dernières années de luttes féministes dans le Clapas et au-delà. Voilà la belle affaire. En dix ans, les combats féministes ont-ils vraiment progressé ? Quelques éléments de réponse.

Quand “Le Poing” a démarré son épopée, on était en 2013. Et les filles grandissaient souvent avec ce mantra : « tu as de la chance, à mon époque les femmes n’avaient pas le droit de [insérer ici un droit fondamental humain] ». Aucun manuel scolaire de SVT ne représentait (correctement) l’anatomie du clitoris. Les personnes trans devaient justifier “le caractère irréversible” de leur transition, soit une stérilisation et une opération obligatoire. Il n’existait pas en France de comptage des féminicides. D’ailleurs ce mot n’existait dans aucun dictionnaire.

Il existait tout de même le comptage des « morts violentes dans le couple » par le Ministère de l’Intérieur. En 2013, 137 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex. En 2023 les associations féministes recensaient 134 féminicides (terme qui n’a toujours pas d’existence pénale en 2024). En résumé : il n’y a eu aucune évolution significative en dix ans sur ces chiffres. Et quand on voit comment sont accueillies les victimes, ce n’est pas étonnant. Montpellier s’est d’ailleurs illustrée par le traitement réservé aux victimes dans son commissariat : en septembre 2021, des dizaines de témoignages avaient afflué sur les réseaux sociaux pour dénoncer les mauvaises voire inexistantes prises en charge des plaintes pour violences sexuelles, souvent ponctuées de remarques salaces ou de remises en question de la parole des victimes.

Et s’il est important de parler des violences sexistes et sexuelles, c’est que leur existence même est conditionnée à celle du patriarcat, soit la « forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir » (Larousse), dans tous les domaines, notamment celui de l’intime. Tant que le masculin l’emportera sur le féminin, que “l’Homme” (blanc) sera donné pour référence neutre et universelle et que la societé se lira à travers le regard masculin (male gaze), on ne viendra pas à bout de ces violences. Les chiffres de l’association Nous Toutes indiquent que dans 91% des cas, les femmes connaissent leurs agresseurs. Et ce qu’a mis en lumière cette décennie de luttes, c’est que ces derniers ne sont pas des monstres, bien retranchés derrière une ligne séparant le bon grain de l’ivraie. Il y a un continuum, nous vivons dans une culture du viol. Ce sont nos frères, nos potes, peut-être même que c’est toi, qui nous lis, toi, qui a déjà agressé sans trop t’en rendre compte, abusé, manipulé.

2017 : la déflagration #MeToo

Impossible d’évoquer cette décennie sans évoquer Me Too. Parti outre-Atlantique fin 2017, le hashtag qui se convertira en #BalanceTonPorc en France (coucou Gérard) révèle l’ampleur du phénomène. Et si la parole se libérait dès le 25 octobre à Montpellier avec un rassemblement devant la cour d’appel, c’est que le mouvement féministe était bien là, préparant depuis au moins une décennie cette vague qui montait.

Officiellement, la contraception, l’avortement, tout ça, c’était réglé. Mais comme l’explique bien la sociologue Eva Illouz (Pourquoi l’amour fait mal, 2012) le capitalisme avait bien décelé et intégré le potentiel marchand de cette supposée émancipation. Pour Nina Faure, autrice et documentariste féministe montpelliéraine “il y avait déjà un bouillonnement autour des questions de sexualité, de consentement, pour toute une génération qui ne retrouvait pas l’égalité annoncée, en particulier dans la sphère intime.” Cette génération a vécu le harcèlement de rue dont on ne parlait pas, mais qui était massif. Elle avait lu King Kong Théorie et pris conscience que le féminisme était puissant. Et la place de la (re)découverte du clitoris (même si ce n’est pas l’alpha et l’oméga des choses nous rappelle Nina Faure) était primordiale. A travers ce symbole, c’est la réappropriation du corps qui s’est joué, de son plaisir comme de la liberté de le couvrir ou le découvrir. Dans le même temps, les mouvements queer et lgbtqia+ s’affirmaient.

A Montpellier, des grandes marches féministes de Nous Toutes en passant par l’influence latino-américaine des Sudakas qui avaient repris la chorégraphie « un violeur sur ton chemin » ou de la Coordination Contre les Violences de Genre ( réunissant des associations, collectifs et individuE-x-s féministes de Montpellier) qui a récemment fait son apparition, on est vraiment certain·es qu’on pourrait remplir des tas de pages. Mais on a un problème. Au Poing comme ailleurs, les hommes cis sont bien trop nombreux. Alors pour un female gaze du Poing, venez grossir les rangs !

Empruntons ces quelques phrases à la conclusion du livre Notre Corps Nous-Mêmes, réédité en 2020 pour dire que, pendant ces dix ans, à Montpellier comme ailleurs « on continue à prendre part aux manifs[…], à parler à nos mères, à veiller nos mortes, à soutenir nos filles, à bousculer nos potes,[…] à taguer des murs, à parler de cul. Il y a tant d’endroits où nous voulons lutter. Car notre féminisme est multiple[…] il tient le piquet de grève […], occupe les ronds-points, marche contre les assauts répétés par des extrémistes pour avoir le droit de porter le foulard, monte des barricades» et « continuons à créer des espaces […] où nous prenons conscience, peu à peu mais de plus en plus vite que nous renversons le monde ».

Khalie Guirado

Si tu es victime de violences sexistes ou sexuelles, une ligne gratuite et anonyme est à ton écoute au 3919. Un tchat, gratuit et anonyme est également disponible à partir du site commentonsaime.fr

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