Couperet pour les vignettes Crit’air 3 : les élus de la Métropole ont le trouillomètre à zéro

Le Poing Publié le 11 décembre 2024 à 13:14 (mis à jour le 11 décembre 2024 à 15:18)
le 1er janvier 2025, les véhicules affublés d’une vignette Crit’air 3 seront interdits de circuler dans Montpellier, et dans dix grosses communes les plus proches de la ville-centre. (Photo "Le Poing")

D’ici trois semaines, 60 000 véhicules ne devraient plus pouvoir circuler dans Montpellier et dix communes tout autour. Les maires de la Métropole supplient Michaël Delafosse de décréter un moratoire de la mise en place de la ZFE (Zone à faible émission). Il botte en touche

C’est à l’unanimité que les 92 élus de 31 communes siégeant au Conseil de la Métropole de Montpellier avaient voté, voici quelques années, pour le calendrier de mise en place de la Z.F.E., zone de faible émission. Certes, une loi nationale, votée en 2019, impose aux métropoles de créer ce type de zones. Mais une latitude était laissée à chacune sur la mise en musique des opérations sur le terrain. Essentiellement le calendrier.

Il a plané quelque chose de giletjaunesque sur la séance de ce même Conseil, mardi dernier, 10 décembre 2024. Une majorité des conseils municipaux des communes entourant Montpellier, ont voté ces dernières semaines, des motions qui demandent un moratoire dans l’application de ce calendrier. Recul devant l’obstacle. Jean-Pierre Rico, maire de Pérols, expose ses craintes : « J’ai voté pour la mise en place de cette Z.F.E.. Mais il y a beaucoup d’incompréhension dans la population. Il n’y a pas d’info. Pas de relais. Moi-même je sais que dix mille véhicules sont immatriculés dans ma commune. En revanche, impossible de connaître leur répartition selon les diverses vignettes Crit’air. On ne sait rien non plus des dérogations possibles ».

Cette inquiétude a une date : le 1er janvier 2025, les véhicules affublés d’une vignette Crit’air 3 seront interdits de circuler dans Montpellier, et dans dix grosses communes les plus proches de la ville-centre. Un an plus tard, cette interdiction touchera la totalité des trente-et-une communes de la Métropole, dont un bon nombre sont beaucoup plus éloignées, rurales, mal desservies. Arnaud Moynier, le maire de Beaulieu, explique : « Ce qu’on appelle l’auto-solisme, l’utilisation personnelle de son propre véhicule pour se déplacer, c’est exactement la vie des villages au quotidien. Je ne remets pas en cause notre inscription dans la Métropole. Mais franchement, on a la sensation d’avoir à subir les nécessités de Montpellier, la ville-centre ».

A quoi Michaël Delafosse, maire de la dite ville, et président de ladite métropole, rétorque que Montpellier « subit au quotidien les effets de la pollution des dizaines de milliers de véhicules qui la rejoignent, depuis la périphérie ». Les évaluations de la qualité de l’air ne sont pas bonnes à Montpellier. La pollution atmosphérique est retenue comme le premier facteur environnemental ayant un impact négatif sur l’état de santé des populations (40 000 morts chaque année en France).

Le tissu économique montpelliérain étant ce qu’il est, très peu industrialisé, c’est bien la circulation automobile qui est première responsable de cette dégradation. Les mesures prises sur le terrain montrent très clairement la concentration de l’impact le long des grands axes, autoroutiers, mais aussi en milieu urbain (comme l’avenue de la Liberté à Montpellier, ou de l’Europe à Castelnau, comme simples exemples).

Vu comme ça, il n’y a que des raisons d’être favorable à la mise en place de la Z.F.E. Oui mais, « excusez-moi, on nous prend pour des cons » ose Cyril Meunier, le maire de Lattes : « L’État mène des politiques incohérentes, en prenant des dispositions sans mettre les moyens derrière pour la mise en œuvre des mesures prises ». Au 1er janvier 2025, entre 50 000 et 60 000 véhicules sont donc censés ne plus pénétrer dans Montpellier et la première couronne de métropole. Les véhicules Crit’air 3 sont les diesels immatriculés avant 2011, et les essences immatriculés avant 2006.

Amendes annoncées : 68€, si réglées dans les 45 jours. 180€ au-delà. Cela au moment où l’acquisition d’un véhicule devient un apanage des seules classes moyennes consolidées. Au moment où le frémissemement pro-électrique se refroidit, devant des prix de véhicules exorbitants, des bornes de recharge très rares, une astreinte dans l’utilisation (sans parler des grandes réticences qu’inspirent le désastre écologique colatéral en termes d’extractivisme des métaux rares, aux pires conditions sociales dans les pays pauvres, pour les batteries). Et là-dessus, la loi de finances dont on ne sait plus si elle existe, prévoit la suppression pure et simple des aides aux remplacements des véhicules, et autres coups de rabot drastiques sur les bonus écologiques et conditions d’octroi du leasing social.

Pire : dans un an, au 1er Janvier 2026, cette même interdiction de circuler s’étend à la totalité des 31 communes de la Métropole. Les projections les plus optimistes estiment que fin 2025, 30 % des habitants de la Métropole resteront éloignés d’un arrêt de tram ou de bus-tram. Assignés à résidence ? La seule dérogation générale annoncée est mineure : les petits rouleurs (moins de 8 000 kilomètres dans l’année) sont exemptés. A part quoi, c’est un maquis opaque, de considérations touchant autant à l’invalidité, qu’aux urgences, et autres usages à destination professionnelle.

Face à ces inquiétudes, très lourdes, déjà exprimées par Laurent Jaoul, maire de Saint-Brès, lors du précédent Conseil de Métropole, Michaël Delafosse s’était fendu d’un énigmatique « Ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de verbalisation ». Puis ce lundi 9 décembre, le même Laurent Jaoul, accompagné de ses homologues de Pérols et Castelnau-le-Lez, et l’ex députée macroniste Patricia Mirallès, étaient reçus en Préfecture, où on leur expliquait que si « les panneaux d’interdiction n’ont pas été posés sur la voie publique, les forces de police et de gendarmerie sont automatiquement dans l’incapacité de verbaliser ».

On se pince. Qu’en est-il du principe qui affirme gravement que « nul n’est censé ignorer la loi » ? De quel régime de compétence discrétionnaire relève la capacité à décréter que la loi s’applique, mais que le registre de sanctions afférent est suspendu ? Quelle solidité juridique à cet égard ? Quelle garantie, selon quelle durée, quel périmètre ? Le débat fut nourri lors de ce Conseil de Métropole.

Il y règne une ambiance toujours très particulière, du fait que cette instance ne relève pas du suffrage universel direct. Y siègent des élus, désignés au second niveau par d’autres élus (dans les conseils municipaux de base). Résultat, un peu façon Sénat, on a la sensation d’un club d’élus, où prédominerait le sens de leurs intérêts communs, plutôt qu’un jeu plus habituel d’opposition entre courants politiques. Chaque prise de parole favorable à un moratoire dans l’application de la ZFE s’entoure de mille précautions pour que Michaël Delafosse n’y voit surtout aucun esprit d’opposition, ni à la Métropole, ni à sa personne. C’est comme si tous faisaient contrition.

Il n’est qu’Alenka Doulain, pour la Mupes, et François Vasquez au nom des Verts en rupture de Delafosse, pour s’offusquer : « Quelle est cette impréparation, cet amateurisme, pour n’aborder cette question qui touche 50 000 familles, à trois semaines de la date d’échéance, et sans même que ce soit inscrit à notre ordre du jour. Voilà comment on amène de l’eau au moulin des thèses dangereuses sur l’existence d’une écologie punitive. Nous voulons une Z.F.E. conforme à une écologie populaire, juste et inclusive ».

Ce débat majeur de la séance n’est en effet apparu que par le biais d’un amendement surprise proposé par Frédéric Lafforgue, maire de Castlenau, sur un dossier mineur et sans rapport direct. Cela après que le maire ait d’abord refusé son inscription réclamée de façon préalable par Alenka Doulain. Si bien que le Maire de Montpellier, refusant qu’« on envoie un signal de recul », trop négatif sur les enjeux de fond, s’est contenté de botter en touche.

La question sera bel et bien mise au vote pour le prochain conseil, en février 2025. D’ici là, une conférence des maires sera réunie pour remettre tous les points sur la table, et notamment éclaircir les possibles dérogations. La Préfecture sera sollicitée pour une plus claire exposition. Il y en aura besoin, car Michaël Delafosse continue de s’exprimer à traverse des notions énigmatiques. Du genre : « Nous sommes dans un calendrier de trajectoire » (définition de cette notion ?), mais « le 1er janvier en est une échéance importante ». Cela tout en restant « dans la pédagogie, sans contrôles ». Mais tout de même, « si on passe en territoire d’alerte – concernant le niveau des émissions nocives, croit-on comprendre – alors on passera aux contrôles, automatiquement ». On pourrait imaginer moins alambiqué.

« Z.F.E. d’affichage, hypocrite, injuste » avait protesté Vasquez. Non sans rappeler que ce même jour, les agents de la TAM étaient en grève, tandis que les blocages par les chauffeurs de VTC en lutte, provoquaient l’arrivée en retard de bon nombre d’élus. Symboliques coïncidences Décidément, ça ne circule pas bien à Montpellier. Et encore a-t-il fallu qu’on parle de tout cela, justement en absence de Julie Frêche, vice-présidente chargée des mobilités.

Dans les cartes de Delafosse, elle est censée incarner l’atout de l’héritage du glorieux conducator des années 80 et 90, son géniteur. Sauf qu’elle a tout gardé de lui quant à l’autoritarisme implacable, mais rien de la faconde empathique qui étourdissait son monde. Ce glissement dans le style technocratique métropolitain en dit pas mal.

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