Apolitisme à géométrie variable à la tête des anti-pass montpelliérains
Sur les groupes où discutent les anti-pass les plus actifs, ce ne sont pas les violences exercées dans la manif par des groupes d’extrême-droite qui sont condamnées, mais celles et ceux qui tentent d’alerter les leaders du mouvement à ce propos.
Les tensions étaient palpables samedi dernier, 7 août, au sein même de la manifestation contre le pass sanitaire. Mais cette tension se remarque aussi au sein des groupes Telegram (messagerie en ligne), tels que “LGR34 ” (Le Grand Réveil) ou “Résistance Actions Montpellier”, où discutent les franges les plus actives du mouvement. C’en est au point qu’une administratrice de groupe avertit une intervenante en ces termes : « Au fait, j’ai une vidéo de ta bande et toi en train de créer tensions et embrouilles (…) Une liste de noms et visages a été établie et à l’avenir vous ne serez plus autorisés à vous approcher trop près des organisateurs. J’aimerais également être en capacité de vous interdire d’approcher le restant des manifestants ». Plus loin est même précisé que des adresses ont été réunies.
Quelles sont donc ces méthodes d’intimidation ? Qui est donc visé par un tel recadrage ? Serait-ce les membres de la Ligue du Midi, ce groupe suprémaciste, raciste, sexiste, homophobe, qui recourt régulièrement à la violence physique ? Ce groupe dont les responsables traînent des casiers judiciaires très chargés, de ce fait ? Ce groupe qui, lors du rassemblement du 24 juillet, agressait et blessait des membres de l’Arme Révolutionnaire Marxiste (ARM) repérables à leur drapeau rouge ? Non. Richard Roudier, qui les dirige, peut écrire, sur le site d’extrême-droite Riposte laïque, que « par sa présence et celle de ses amis politiques, [son groupe] participe à la sécurité du cortège ». Cela, d’ailleurs, en respectant les consignes de non affichage partisan données par les organisateurs du mouvement, insiste-t-il. Du reste, il mentionne le rendez-vous préalable avec les Patriotes (le mouvement de Florian Phillipot, dissident du Rassemblement national) dont les tee-shirts sont d’ailleurs visibles dans la manifestation.
Pour l’administratrice de “Résistance Actions Montpellier”, ce sont les manifestants antifascistes qui, tentant d’alerter les organisateurs de la manifestation via le groupe Telegram, diffusent « de faux témoignages » et affichent « des appartenances politiques et des discours appelant à la violence (…) afin de discréditer le mouvement ». Il fallait donc se retourner vers Christophe Derouch lui-même, le leader et orateur omniprésent des manifestations depuis la première, celle du 14 juillet.
Répondant aux questions du Poing, il martèle qu’il faut s’en tenir à « l’unité d’action la plus large possible, sur la seule opposition au pass sanitaire et de l’obligation vaccinale, en évitant toute confusion et en écartant tout affichage partisan ».
C’est ainsi que lui et ses proches n’auront effectué qu’une brève apparition lorsque des assemblées générales furent proposées au début du mouvement, dans l’espoir de lier la dénonciation de la gestion de la crise sanitaire, aux autres politiques autoritaires et anti-sociales du gouvernement, ainsi qu’à la question climatique, très directement liée à la pandémie. Voilà une approche qui fut perçue comme « extrémiste ». On n’est pas près de revivre tout ce que les ronds-points et autres lieux d’échanges eurent de fécond dans la mobilisation des Gilets jaunes.
Quand, le 31 juillet, une semaine après l’action violente conduite par la Ligue du Midi, une banderole antifasciste est déployée, Christophe Derouch la dénonce aussitôt, et même dévie le cortège pour l’isoler : « Elle constituait clairement un affichage politique » nous explique-t-il. Mais alors pourquoi n’avoir jamais publié un communiqué, prononcé le moindre mot en allocution, contre les exactions d’extrême-droite en pleine manifestation ? « Nous n’y avons pas assisté directement et ces faits semblaient impliquer deux groupes très militants diamétralement opposés. Dans ce genre de situation, c’est parole contre parole… » Ce même 31 juillet, un incident fut très clairement documenté, où un manifestant qui n’avait pas le bon faciès fut insulté et menacé de près, avec gants coqués et protège-dents très visibles, par des membres de la Ligue du Midi, encore. Et toujours sans la moindre réaction des organisateurs anti-pass.
Poings frappés ostensiblement contre les paumes, regards narquois et menaçants, personnes désignées du doigt dans la foule, menaces explicites : de tels comportements étaient ceux, le 7 août dernier, de membres du service d’ordre lui-même, à l’encontre de manifestants antifascistes qui en appelaient, certes vivement, à ce que Christophe Derouch et ses acolytes renoncent au monopole du discours, laissent s’exprimer une diversité de sensibilités. Ces jeunes gens sont sans doute convaincus de sauver l’intégrité du mouvement. Christophe Derouch dit les avoir connus « pour les avoir formés dans des activités sportives et associatives, notamment en arts martiaux » dont il s’occupe.
Et il assure qu’ils cesseront de se montrer en casquettes, et avec brassards « puisque ces simples signes pratiques de reconnaissance ont prêté à mauvaises interprétations ». La rectification sera cosmétique. Christophe Derouch s’affiche apolitique. C’était aussi la « non » étiquette avec laquelle il tentait de conquérir la mairie de Villeneuve-lès-Maguelone lors des municipales de 2020. L’en voici premier adjoint, après un pacte d’entre-deux-tours avec une liste « citoyenniste », généralement perçue « de gauche » dans la localité. On admettra qu’il n’y a pas là un positionnement d’extrême-droite criant.
C’est finalement la notion de « mouvement citoyen » qu’il met en avant pour caractériser le mouvement de protestation en cours. Cela pourra-t-il suffire à y voir clair, dans le contexte complotiste, qui imprègne aussi, bien évidemment, nombre de contributions aux groupes “Le grand réveil” ou “Résistance Actions”. La manipulation des concepts, les renversements des symboles, en sont une caractéristique. Sans une réelle détermination pour clarifier les enjeux, il est sûr qu’on revivra – et sinon pire – des situations telles que le 7 août dernier, où une banderole de l’Action française (formation royaliste antisémite) se place en tête du cortège montpelliérain, tandis qu’est brandie à deux pas une pancarte antisémite répétant « Qui ? », « Qui veut exterminer les opposants à la tyrannie sanitaire ? » (ce « Qui » désignant les Juifs) et que Christophe Derouch suit sans broncher ; d’ailleurs vraisemblablement sans s’en rendre compte.
Une clarification est nécessaire. Au risque du pire. Elle ne peut se satisfaire d’une mise en équivalence, d’une esquive, voire d’une compromission, avec d’une part des menées d’extrême-droite au sein même du mouvement, et d’autre part ceux qui prennent des risques en alertant sur ces faits. Il ne manque d’ailleurs pas d’opposants au pass, en grand nombre, pour refuser de rejoindre des manifestations sur de telles bases, quitte à en construire de nouvelles.
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