Le pass sanitaire, l’extrême droite, la gauche et les révolutionnaires

Le Poing Publié le 11 août 2021 à 19:09
Manifestation contre le pass sanitaire, le 7 août 2021 à Montpellier (photo de Virginie Oulhen)

Le pass sanitaire ne se résume pas à une obligation vaccinale déguisée, c’est aussi un marqueur d’un autoritarisme croissant. Plutôt que de muscler le système de santé, la « solution » de l’État pour lutter contre la pandémie est avant tout policière : contrôler, fliquer et transformer les citoyens en contrôleurs et délateurs – gare au restaurateur qui ne contrôlerait pas ses clients ! Face à cette attaque liberticide, que font la gauche et l’extrême-droite et que peuvent les révolutionnaires pour obtenir la victoire ?

Derrière le pass sanitaire, c’est le « continuum de sécurité », déjà introduit par les lois « sécurité globale » et « séparatisme », qui se profile. Le travail de police ne se cantonne plus aux forces de l’ordre, c’est maintenant l’ensemble de la société qui est enrôlée dans le contrôle et la dénonciation, dessinant les traits de la « société de vigilance » appelée de ses vœux par Emmanuel Macron. Le pass sanitaire s’inscrit dans la droite ligne de la gestion néolibérale de la crise par Macron : en lieu et place d’une réflexion basée sur le soin, c’est avant tout le sécuritaire qui prime. Rappelons que les Conseils de défense sanitaire, où se prennent les décisions concernant la gestion de l’épidémie, sont en fait des Conseils de défense et de sécurité nationale, c’est-à-dire avant tout un groupement de policiers et de militaires. En plus, du Premier ministre et du Président, il se compose de différents responsables d’agences de renseignements et des ministres de la Défense, de l’Intérieur, de l’Économie, du Budget et des Affaires Étrangères. « Le président de la République peut en outre décider de convier au conseil toute personnalité compétente » : le ministre et le directeur général de la Santé n’y sont donc que des invités !

Un arsenal sécuritaire pour masquer l’incurie étatique

La vague de variant Delta laisse craindre un retour des restrictions, d’autant plus que l’efficacité des vaccins pour y faire face semble relativement discutable. Si l’on aimerait croire les affirmations douteuses du gouvernement selon lesquelles le vaccin empêcherait les contaminations et les formes graves à 96%, une série d’études est venue remettre ces éléments en cause. Ainsi, selon des études étasuniennes, se faire vacciner n’empêcherait ni de ne se contaminer ni de transmettre le virus. Au vu de récentes données israéliennes, le niveau d’anticorps baisserait rapidement avec une efficacité très faible au bout de six mois et selon une étude de Public Health England, il semblerait que la charge virale soit similaire entre personnes vaccinées ou non une fois contaminées. Bien que selon la plupart des études, le vaccin semble clairement éviter les formes graves, son efficacité au-delà de six mois reste une inconnue, poussant à la mise en place d’une troisième dose, au moins pour les immunodéprimés, voire d’une quatrième dose. De plus, une forte inconnue pèse sur l’émergence de variants échappant à la protection vaccinale, comme le variant colombien qui a causé la mort de sept personnes d’une maison de retraite en Belgique alors que ses résidents et les personnels étaient pleinement vaccinés. À Saint-Affrique, dans l’Aveyron, un cluster s’est aussi déclaré et les résidents positifs sont tous vaccinés. Il est donc possible que malgré les assurances gouvernementales, les capacités du système de santé soient mises à rude épreuve menant à de nouvelles restrictions.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le pass sanitaire : c’est un moyen de masquer l’incompétence de la gouvernance policière de l’épidémie, comme le dénonce un communiqué de la CGT CHU Montpellier. Depuis le début de la crise, le gouvernement n’a pas créé de postes dans la fonction publique ni ouvert de lits d’hôpitaux (1 800 lits ont été fermés entre janvier 2020 et mars 2021) alors qu’il rallonge de 900 millions d’euros le budget de la police ! Avec le pass sanitaire, plus besoin de discuter des sujets qui fâchent : si l’épidémie repart, c’est la faute aux méchants qui refusent de se vacciner et de se soumettre aux mesures de contrôle…

Notons que le contrôle du pass sanitaire touche avant tout la sphère des loisirs : on peut allègrement aller se faire contaminer dans le métro pour aller au turbin et faire tourner l’économie mais il faut montrer son QR-code pour aller boire un verre avec ses amis ! D’autant plus que ce sont les prolétaires et les pauvres qui sont le moins vaccinés : la cible est toute désignée. Les travailleurs, dont les soignants, passent du statut de héros à de dangereux irresponsables…

Des points communs et de grosses différences avec les gilets jaunes

La lutte contre le pass sanitaire dure depuis près d’un mois. Comment la comprendre ? Tout d’abord, elle présente quelques points communs avec celle des gilets jaunes. Le premier, c’est la spontanéité : le mouvement est né suite à des appels sur les réseaux sociaux avec des mots d’ordre très larges. Le second trait commun, c’est l’hétérogénéité des manifestants : soignants, restaurateurs, jeunes, vieux, chômeurs, beaucoup de personne ne manifestant pas d’habitude… Cette hétérogénéité se retrouve en terme politique : on trouve dans les cortèges des gilets jaunes, quelques anarchistes et des groupes de gauche et d’extrême-gauche (NPA, POI…) de nombreux écolos mais aussi toute une frange confusionniste (Reinfo covid, des groupes anti-vaccins et même Qanon) et des groupes d’extrême-droite, qui n’ont pas hésités à attaquer des militants perçus comme révolutionnaires ou antifascistes, à Nantes, Montpellier ou bien encore Toulouse, entre autres.

Ces ressemblances de forme ne doivent pas faire oublier deux différences de taille. Tout d’abord, les gilets jaunes portaient des revendications sociales : prix des denrées de base (essence, alimentation), augmentation des salaires, des retraites, justice fiscale. La deuxième différence, c’est que les gilets jaunes n’étaient initialement pas focalisés sur la manifestation mais sur le blocage (péage) et l’occupation (ronds-point). Dans cette mesure, si les revendications du mouvement sont légitimes, il est nécessaire d’avoir conscience qu’il est très différent des gilets jaunes, et le fait qu’il ne réclame pas de nouvelles conquêtes sociales et ne perturbe par l’économie explique peut-être que l’extrême s’y sente plus à l’aise.

L’extrême droite et l’amour de la mort

Au premier abord, la présence de militants d’extrême-droite sous toutes ses formes, complotistes et classiques, peut sembler paradoxale. Contrôler, fliquer et réduire les libertés ne semble pas fondamentalement contradictoire avec leurs idées. Leur présence peut se comprendre tout d’abord par leur opportunisme fondamental : une contestation large, sans présence de la gauche, et au sein de laquelle se coalise la colère de pans entiers de la population, est une aubaine pour eux, et ce d’autant plus qu’ils ne digèrent pas d’avoir été marginalisés lors des gilets jaunes. Cette mobilisation leur offre la possibilité de capitaliser sur l’opposition aux restrictions liées à la gestion de la pandémie par le libéralisme autoritaire de Macron. Ainsi, l’extrême droite, par sa démagogie et des discours complotistes anti-vaccins, parvient à fournir un discours en opposition à cette gestion, ce que les courants progressistes ne sont pas parvenus à faire.

Esquissons l’hypothèse d’une raison plus profonde qui pousserait l’extrême droite à se rallier à ce mouvement. Le refus des restrictions trouve une cause inavouable qui puise dans le rapport particulier qu’entretient le fascisme avec la mort. Pour les progressistes, tout vie étant égale, elle doit être préservée partout, tout le temps, sans distinction. Pour les néolibéraux, les pertes doivent être réduites au minimum, la population étant avant tout considérée comme un cheptel de travailleurs productifs et de consommateurs – ne nous y trompons pas, les différents confinements et restrictions visent avant tout à préserver la pérennité du capital et non à sauver des vies d’une manière désintéressée. Mais l’extrême-droite, inspirée par le darwinisme social, n’a aucun problème avec la perspective de la mort d’une partie de la population pour purger les « faibles ». Le slogan des franquistes n’étaient-ils pas « ¡Viva la muerte! » ? L’Inde, les Etats-Unis et le Brésil, respectivement sous la gouvernance du nationaliste Modi, du protofasciste Trump et du nostalgique de la dictature Bolsonaro, se font fait remarquer pour n’avoir pris quasiment aucune mesure d’endiguement malgré des centaines de milliers de mort.

La gauche et le néant

À l’exception de la France insoumise, la gauche et de larges portions de l’extrême gauche se sont caractérisées par leur absentéisme ou leur attentisme (n’oublions pas le soutien tacite du PS et du PCF à la loi « séparatisme »…) La plupart des organisations de gauche ont dans un premier temps accepté ces mesures liberticides en souhaitant les aménager à la marge. Cette attitude se retrouve même à l’extrême gauche où une organisation telle que l’Union Communiste Libertaire a pondu très rapidement un communiqué en faveur de l’obligation vaccinale des soignants ainsi que du pass sanitaire à condition de les aménager par des mesures comme l’implantation de centres de vaccination dans les quartiers populaires (avant de changer de position quelques jours plus tard).

Ce n’est que dans un second temps que diverses organisations de gauche ont changé leur fusil d’épaule et se sont positionnées contre le pass sanitaire mais sans que leur présence dans les manifestations ne soit déterminante ni même significative… Les seules organisations du mouvement social classique à avoir pris la mesure du pass sanitaire sont les organisations syndicales, qui s’opposent aux menaces de licenciement des travailleurs non-vaccinés, avec des préavis de grève dans plusieurs secteurs, à commencer par les pompiers et les soignants (CHU de Toulouse, Bordeaux, Nancy, Marseille, Sète, Évreux…)

Cette faible implication, dans une lutte contre une mesure pourtant liberticide, montre que les organisations de gauche ne parviennent pas et/ou ne souhaitent pas faire partie prenante d’initiatives de défense des intérêts de classe tant qu’elles ne prennent pas les formes canoniques du mouvement social.

Et les révolutionnaires dans tout ça ?

Quelle intervention pour les révolutionnaires dans ce mouvement dont les revendications sont légitimes, mais dont la forme et la composition ne sont pas encore satisfaisantes ? Voici quelques pistes qui pourraient changer qualitativement la lutte. Tout d’abord, il serait intéressant de faire le lien avec les revendications contre les dernières lois liberticides, à savoir la loi « sécurité globale » et la loi « séparatisme ». Il serait aussi pertinent de développer des revendications sociales contre les lois s’attaquant directement aux travailleurs, à savoir contre le licenciement des salariés non-vaccinés, contre la réforme des retraites et contre la réforme de l’assurance-chômage.

De plus, comme le montrent les agressions d’extrême-droite qui se sont multipliées dans plusieurs villes, il est nécessaire d’expulser et d’empêcher la propagande fascisante qui n’a pas sa place dans un mouvement de défense des libertés de notre classe. Enfin, le mouvement serait beaucoup plus intéressant s’il sortait du cadre de la manifestation, qui est avant tout une mise en scène vis-à-vis de l’opinion publique, pour passer à d’autres actions : actions de désobéissance collective et massive, initiatives de solidarité pour les exclus de la vie sociale par le pass sanitaire, grèves et soutiens aux luttes des travailleurs dont les emplois sont menacés (les manifestations pourraient ainsi se rendre sur les lieux d’entreprise où des personnes sont menacées de licenciement). Se pose aussi la question de constituer des espaces d’auto-organisation où ces actions et revendications pourraient s’élaborer : sans préjuger qu’une forme soit meilleure que d’autres, de tels espaces pourraient être des cortèges en manifestation ou encore des assemblées ou des comités d’actions. C’est à ces conditions que nous pourrons arracher la victoire mais aussi poser des perspectives révolutionnaires au sein de ce mouvement d’opposition à l’autoritarisme croissant de l’État.

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