Changement de préfet à Montpellier : du pareil au même (en pire) ?
Le préfet de l’Hérault Jacques Witkowski part exercer en Seine-Saint-Denis à partir du 19 juillet prochain. L’occasion de dresser son bilan et de tirer le portrait de Hugues Moutouh, son successeur, qui ne fera lui non plus aucun cadeau aux luttes sociales.
Dès son entrée en fonction le 26 août 2019, après une succession de manifestation de gilets jaunes particulièrement mouvementées à Montpellier, Jacques Witkowski l’avait annoncé : « n’attendez pas de laxisme de ma part ». Depuis, il a enchaîné les faits d’armes qui ont marqué sa réputation de cynique agent du tout-répressif.
On retiendra de Jacques Witkowski une répression sauvage des manifestations de gilets jaunes, un tweet mensonger à charge contre un manifestant inculpé ou encore la vague d’expulsions de squats abritant des sans-papiers et demandeurs d’asile en pleine canicule et pandémie à l’été 2020. On se souviendra également de son silence lors de la manifestation officiellement interdite de la Ligue du Midi – groupuscule d’extrême droite identitaire raciste et violent – en mai 2020, finalement encadrée par la police, malgré des violences contre des journalistes. La veille, une manifestation de gilets jaunes avait été réprimée pour motif sanitaire.
Sans oublier bien sûr la saisie illégale d’une sono lors d’une manifestation contre la loi sécurité globale en janvier dernier, qui avait finalement été rendue à ses propriétaires grâce au travail acharné de l’avocate montpelliéraine Sophie Mazas.
Enfin, on se rappellera de sa dernière grosse intervention musclée, où il s’était rendu en personne au parc du Peyrou le 27 mars dernier, accompagné d’un dispositif policier impressionnant, pour « faire respecter les nouveaux dispositifs sanitaires » en adéquation avec les directives autoritaires de Darmanin, et pour s’assurer que l’édition 2021 du Karnaval des Gueux n’ait pas lieu. Une personne avait été interpellée violemment.
On pourrait donc se réjouir du départ de ce sinistre Witkowski, si son successeur n’avait pas l’air pire (nous souhaitons au passage bien du courage aux habitant·e·s de Seine-Saint-Denis).
Hugues Moutouh, un serviteur de l’État proche de Sarko
Hugues Moutouh, futur préfet de l’Hérault, est un juriste, professeur de droit public, et réputé proche de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy. En 2002, il quitte l’enseignement pour rejoindre le Conseil d’État. Entre 2004 et 2010, il travaille au sein de divers cabinets ministériels, avec un passage à l’Intérieur. En 2010, à 42 ans, il devient le plus jeune préfet de France, nommé en Creuse. En 2011, il devient conseiller pour les affaires juridiques et institutionnelles au Cabinet présidentiel de Sarkozy, puis conseiller au ministère de l’Intérieur, où il aura la charge du dossier des tueries de Toulouse et Montauban.
Sentant le vent tourner en 2012 quand Hollande arrive au pouvoir, Hugues Moutouh part dans le privé. Il travaille d’abord dans le cabinet d’avocats au barreau de Paris August & Debouzy, puis en 2014, il devient directeur général délégué du groupe spécialisé dans le recyclage ECORE et de sa filiale française Guy Dauphin Environnement, acteur international du recyclage en Europe et en Asie. En 2019, quand la Macronie avait déjà bien entamé son virage à droite, il quitte son poste pour redevenir préfet dans la Drôme, avant de finalement atterrir à Montpellier cet été. Entre temps, il a publié un Dictionnaire du renseignement – un de ses chevaux de bataille –, paru en 2018.
Voilà pour le CV. Concernant ses opinions politiques, il suffit de lire ses tribunes et entretiens publiés dans des médias de droite du temps où il travaillait dans le privé pour comprendre ce qu’il réserve aux luttes sociales.
Plus de répression, plus de sécurité privée
Dans sa tribune « Face à la violence des black block, comment ne pas rester impuissant » parue dans le Figaro peu après le premier mai 2018, Hugues Moutouh dévoile sa vision du maintien de l’ordre : « La doctrine traditionnelle du maintien de l’ordre ‟à la française” mérite vraisemblablement d’être adaptée à l’évolution nouvelle du contexte social. […], les forces de l’ordre sont de plus en plus confrontées à des nébuleuses extrémistes dont l’unique objectif est de ‟casser du flic” et de dégrader les biens d’autrui. »
Pour lui, la recette d’un nouveau maintien de l’ordre est simple : « La police doit privilégier, désormais, la confrontation directe et immédiate avec les black block », car la stratégie actuelle de maintien de l’ordre de mise à distance ne suffirait plus. Pour cela, il préconise plus de lanceurs à eau, des grenades de désencerclement, ainsi que « le retour – maîtrisé – des brigades de voltigeurs ». Il est également pour de la « prévention » – traduction : une justice préventive à la Minority Report. À savoir faire du renseignement et ouvrir des informations judiciaires contre X avec désignation d’un juge d’instruction en amont des mobilisations présentant « des menaces avérées à la sécurité publique » pour renforcer les contrôles avant les manifestations, et donc, les interpellations. Dans une autre tribune, il déplorait le nombre d’interpellations (quatorze), pas assez élevé à son goût, lors d’une manifestation à Nantes en soutien à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes.
Dans un entretien accordé au Figaro en 2016, notre nouveau préfet demandait la sanctuarisation d’un budget alloué à la sécurité intérieure à hauteur de 1% du PIB. Français. De quoi financer les « forces privées de sécurité, un peu sur le modèle de celles que l’on trouve à la SNCF et à la RATP », auxquelles il tient tant, pour que la police puisse se « recentrer sur ses principales missions », ou encore la lutte contre le terrorisme, l’une de ses principales préoccupations.
D’ailleurs, en matière de terrorisme, il n’hésite pas à comparer les attentats anarchistes qu’a connu la France sous la troisième République avec les attentats islamistes, allant jusqu’à se positionner en faveur d’un « délit d’islamisme radical » semblable au « délit d’opinion anarchiste » de la fin du XIXe siècle, d’une manière qui n’est pas sans rappeler, sans la formuler explicitement, la formule hallucinée « d’islamo-gauchisme » chère à notre gouvernement.
Et pour généraliser encore plus le soupçon, comme si les délits mentionnés ci-dessus n’étaient déjà pas assez flous, il suggère de lier la lutte contre le terrorisme avec la lutte contre la délinquance de droit commun, au motif que « de nombreux terroristes étaient connus pour des faits de petite délinquance ». De tels arguments avaient déjà été brandis par le gouvernement Hollande-Valls pour promulguer l’état d’urgence, avec à la clé une stigmatisation quasi assumée des quartiers populaires et des musulmans.
Moutouh est fermement opposé au burkini, jugé « obscurantiste », qui donnerait « une image dégradée de la femme », voire un encouragement au « fanatisme extrême », rien de moins. Pour lui, l’État Français est tombé dans un « relativisme où tout se vaut ». Il voudrait revenir à « une conception particulière du Bien, un modèle de valeurs propres à notre histoire et à notre culture, celle d’un vieux pays, appartenant à un vieux continent, riche d’une très vieille civilisation, que le droit et les institutions pourront légitimement promouvoir. »
Bref, quelque chose nous dit qu’il va bien s’entendre avec Michaël Delafosse, maire « socialiste » de Montpellier, lui aussi très porté sur la sécurité et sur une vision de la laïcité à la Manuel Valls. Espérons que ces sinistres personnages soient tout aussi rapidement détestés.
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