Chronique d’une après-midi particulière en compagnie d’une justice ordinaire
Ce lundi 28 Mars le Poing a passé une partie de l’après midi au Tribunal de Grande Instance car le procès des trois jeunes inculpés lors de la manifestation du 12 Février 2022 avait lieu mais en toute fin de l’après-midi ce qui nous a permis d’assister à trois affaires. Petite chronique de la justice ordinaire.
Assister au règlement ou dérèglement de la misère sociale avec trois affaires devant un auditoire abattu et ritualisé où se trouvait une classe de 4ème de St André de Sangonis venue là dans le cadre d’un cours d’histoire et de français pour apprendre à rédiger un article. Les élèves ont d’abord appris à se lever quand la cour sort pour délibérer et à se relever quand elle rentre pour ne s’asseoir qu’après elle, règle précisée et demandée par l’huissier présent ce jour là. Mais elle a aussi pu profiter d’une présentation de la presse indépendante en l’occurrence le Poing lors du temps des délibérés !
La première affaire concernait un chargement illégal réalisé à partir d’un contrat de travail sur internet ne respectant pas, bien sûr , quelques conditions de travail que ce soit. Chargement agrémenté d’une cargaison de cannabis arrêté et découvert à la frontière. L’inculpé est arrivé menotté dépassant d’une tête le policier l’accompagnant et la traductrice de polonais tentait vainement d’établir le dialogue entre la justice et le justiciable. Résultat : condamnation pour un délit douanier à une amende douanière de 50 000 euros, confiscation de la marchandise, un an de prison dont 6 mois avec sursis et cinq ans d’interdiction du territoire si les premières condamnations sont respectées! Rien que ça mais surtout une question : est ce que la justice se pose la question de l’après, que va t il que peut il se passer après tout ça ? Peut-être encore plus ? C’est à se demander ce que signifient des condamnations sans avenir….
Deuxième affaire en comparution immédiate un jeune SDF avec 10 mentions au casier judiciaire, un parcours à la DASS de 9 à 16 ans, délinquant sexuel, condamné ce jour là pour une tentative d’ agression au petit couteau avec des menaces verbales sur des jeunes filles mineures dont tous les parents se sont constitués partie civile. Là c’est bien toute son histoire qui a été ramenée vite fait bien fait ; refus de prélèvement biologique, pas d’adresse fixe alors qu’en tant que délinquant sexuel il est sommé d’en avoir une ! « Que pouvez vous dire de votre personnalité, de vos rapports avec les jeunes filles, de vos regards ? » lui a demandé le juge. « je dis bonjour, je n’agresse pas, sur la photo mon couteau paraît plus grand » répond le jeune homme longiligne aux cheveux très longs.
Les questions du juge faisaient penser aux notes sur l’affaire Dominici de Jean Giono. « Etes vous allé au pont ? » dit le juge « Allée ? Il n’y a pas d’allée , je le sais j’y suis été » répond Dominici « Nous avons affaire à un procès de mots », note Giono. Ce n’est pas le même langage qui est parlé par la justice et par le prévenu.
Tout cela évoqué dans une rapidité de quiproquos car le jeune a demandé au début le report de son procès, à la demande de l’avocate souhaitant une expertise, mais à la fin n’a cessé de demander à être jugé aujourd’hui, sans délai, le juge lui répondant c’est trop tard ce n’est pas ce que vous avez demandé. Le jeune n’avait pas compris les procédures possibles, il est reparti en prison. Tout était contre lui même les mots.
Troisième affaire, elle aussi avec un interprète espagnol cette fois ci. Encore dans un transport où il y avait une cache aménagée dans le réservoir pour transporter de la drogue. Le prévenu savait ou supputait qu’il transportait de l’illégal mais ne voulait pas s’en préoccuper car il n’avait pas d’autres moyens pour manger à cause de ses dettes dues à la pandémie qui l’avait obligé à fermer ses restaurants à Barcelone. Le juge ne s’est même pas rendu compte de ce qu’il lui disait : « vous évoluez dans un environnement stupéfiant ! » C’est le cas de le dire pour une personne qui consomme de la drogue depuis l’âge de 12 ans, achète ne trafique pas mais convoie ! Se droguer pour manger….
L’écoute de ces récits, le dialogue inadapté avec la justice, la misère qui résonne avec des interprétations, du trouble ou des hésitations a eu raison de la présence du Poing et cette phrase de Lacan a sans doute sa place en conclusion temporaire : « le réel du droit c’est d’être tordu » .
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