Dans l’Académie de Montpellier, les pseudo-sciences s’infiltrent à l’école

Elian Barascud Publié le 18 octobre 2024 à 16:57
Le rectorat de l'Académie de Montpellier certifie que l'intervenante a signé une convention de partenariat avec l'établissement. ("Le Poing")

Une parent d’élève scolarisé dans un collège héraultais a tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière via les réseaux sociaux quand à la présence de sophrologie, une pratique de soin non conventionnelle, au sein de l’établissement. Pour Stéphanie de Vanssay, enseignante et référente UNSA-éducation sur les questions de dérives pseudo-scientifiques et sectaires au sein de l’éducation Nationale, des pratiques issues de croyances spirituelles n’ont rien à faire à l’école

Quand Audrey*, maman d’un enfant scolarisé dans un collège public héraultais, reçoit un mail de l’établissement proposant un “atelier détente sur la pause méridienne” avec une “sophrologue certifiée”, elle s’interroge. “Je pense que l’établissement veut bien faire, ça part d’une bonne intention, mais comme la pratique de la sophrologie ne fait l’objet d’aucune certification ou diplôme officiel, j’ai voulu demander qui était l’intervenante pour savoir d’où elle venait”, explique-t-elle au Poing.

L’établissement lui répond alors qu’elle est déjà intervenue en milieu scolaire, et lui propose de prendre rendez-vous pour tester ces ateliers elle-même. Audrey décide alors d’envoyer ces échanges à Stéphanie de Vanssay, enseignante et référente UNSA-éducation sur les questions de dérives pseudo-scientifiques et sectaires au sein de l’éducation Nationale et créatrice du blog Dérives Scolaires, qui publie l’information sur X (ex-Twitter).

Une pratique décriée

“L’école est là pour enseigner des connaissances, pas des croyances”, martelait Stéphanie de Vanssay dans les colonnes du précédent numéro papier du Poing, consacré à l’éducation. Et il s’agit moins d’une chasse aux sorcières que d’un principe de précaution. Car si aujourd’hui, la sophrologie est vue comme une anodine technique de relaxation, elle est néanmoins controversée.

Sur la fiche consacrée à la pratique sur le blog de Stéphanie de Vanssay, on peut lire : “La sophrologie est une pratique qui se présente comme une méthode polyvalente utilisée dans divers contextes, tels que la relaxation, la psychothérapie, les pratiques psycho-corporelles et le développement personnel. Son créateur la définit comme une « nouvelle école scientifique qui étudie les modifications de la conscience humaine”. Inspirée par des éléments tels que l’hypnose, la phénoménologie, la relaxation progressive, le training autogène (méthode pour d’induire un état de détente profonde en utilisant l’autosuggestion et la concentration mentale), le yoga et la méditation ; la sophrologie n’a pas été scientifiquement validée, suscitant des critiques quant à son manque d’efficacité thérapeutique prouvée et certains aspects pseudoscientifiques.”

En effet, si cette pratique de soin non conventionnelle peut avoir pour visée de lutter contre le décrochage scolaire, aider à la concentration ou au lâcher prise, l‘Ordre des Infirmiers émet de sérieux doutes sur son efficacité : “Parmi les travaux traitant de la Sophrologie, de nombreuses publications sont signées d’un unique auteur, généralement lui-même praticien de la méthode. Il s’agit donc d’une autopromotion par les sophrologues de leur pratique, plus que de réelles étude scientifiques sur le sujet.Trop souvent ces travaux sont des études de cas. Et très peu de travaux évaluant l’efficacité de la Sophrologie avec une méthodologie rigoureuse, de type essai clinique comparé, sont disponibles. Seules quatre études couvrant la prise en charge de l’asthme de l’enfant, de la fibromyalgie, de l’anxiété et du stress chez le sujet sain peuvent-être identifiés. L’analyse de ces rares résultats montre des effets cliniques très modérés, voire absents.[…] En conclusion, la Sophrologie est une approche non validée par la Science, ni par les instances françaises de Santé, et relevant au mieux du bien-être. Cette technique est également susceptible de retarder une réelle prise en charge médicale en détournant les patients des soins conventionnels, conduisant alors à une perte de chance de guérison.”

De plus, la mission interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (Miviludes), dans son rapport de 2021, alerte sur les potentiels dangers de la sophrologie comme porte d’entrée vers d’autres pratiques potentiellement dangereuses, comme le jeûne.

Pour Stéphanie de Vanssay, l’essor de ces pratiques issues du new-age dans l’éducation nationale répondent à une logique de marché : “Dans l’éducation nationale, il y a beaucoup de souffrance, chez les élèves comme chez les profs. Au lieu d’améliorer les conditions matérielles de travail et d’études, on propose une solution facile et rassurante qui coûte bien moins cher. C’est comme avec les cours d’empathie mis en place en 2024, s’ils ne fonctionnent pas, on pourra dire que c’est la faute des profs… C’est vraiment la logique du new-age, où les individus sont responsables de leur choix, construisent eux-même leur réalité dans une dynamique individualiste et doivent devenir la meilleure version d’eux-mêmes“, explique-t-elle.

“Santé mentale des jeunes comme grande cause nationale”

Sur quels socles scientifiques et pédagogiques se basent l’Éducation Nationale et l’Académie de Montpellier en ce qui concerne la pratique de la sophrologie à l’école ? Pourquoi faire venir des sophrologues dans un établissement scolaire ? Y a-t-il un protocole de recrutement, de sélection, des intervenants en amont des interventions en milieu scolaire pour s’assurer que ce ne soient pas des charlatans/des gourous ? Si oui, quel est-il ? Voilà les questions que nous avons posé au Rectorat de l’Académie de Montpellier.

Rectorat qui restera très évasif sur la question précise de la pratique de la sophrologie à l’école, se contentant de répondre généralement sur la “santé mentale” : “Les ateliers détente mis en place sur le temps de la pause méridienne (entre 13h00 et 13h45) ont fait l’objet d’une validation dans le cadre de la politique éducative de santé développée au sein du comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE) du collège. Ils s’adressent aux élèves volontaires et ont pour objectif le bien-être et la gestion du stress.” “La santé mentale des jeunes est reconnue grande cause nationale et est une priorité gouvernementale. A ce titre, l’Éducation nationale déploie, dans le cadre de la stratégie nationale 2022-2037 de déploiement des compétences psychosociales auprès des jeunes, des programmes et des actions d’éducation à la santé qui promeuvent et favorisent le bien-être et l’acquisition des compétences psychosociales cognitives, émotionnelles et sociales. La politique académique en matière de santé en faveur des élèves, s’appuie sur la démarche positive et globale « Ecole promotrice de santé » qui permet d’impulser dans les écoles et établissements une stratégie permettant de prendre en compte la santé et l’environnement et de contribuer ainsi au bien-être de la communauté scolaire (élèves et personnels). Elle vient renforcer la cohérence des actions éducatives mises en œuvre localement, développer les attitudes favorables à la santé pour tous les élèves et, pour certains, répondre aux problèmes de santé rencontrés ou prévenir des conduites à risque.” Aucun problème, donc.

Sur la question du choix des intervenants, là encore, la réponse se veut assez générale : “La réalisation de projets avec des associations portant sur des thématiques de santé nécessite d’établir une convention cadre, reposant sur la définition et l’application des principes éthiques et modalités spécifiques d’intervention en milieu scolaire. Les interventions d’une association doivent toujours être effectuées en présence d’un personnel de l’Éducation nationale, membre de la communauté scolaire. Selon les thématiques traitées lors d’une intervention d’une association, donc en présence d’un personnel de l’école ou de l’établissement, il se peut qu’un élève verbalise une situation personnelle qui interroge, exprime une souffrance ou révèle des faits graves. Dans ce cas-là, il revient exclusivement au personnel de l’Éducation nationale et non à l’intervenant de l’association,d e relayer cette information auprès du chef d’établissement, de l’infirmier-e, l’assistant-e sociale, ou du médecin […]. La plus grande vigilance est recommandée quant au respect par les différents intervenants d’une association des principes de laïcité et de neutralité (politique, religieuse et commerciale), ainsi que des différents protocoles institutionnels en vigueur (protocole sanitaire, protection de l’enfance, etc…). Il faut veiller également à ce que les intervenants de l’association n’aient fait l’objet d’aucune condamnation privative de droits ou libertés, ni n’aient subi de condamnations incompatibles avec les interventions en milieu scolaire. Les associations peuvent bénéficier d’un agrément national ou académique, pour une durée de cinq ans. Il n’est pas juridiquement nécessaire pour les intervenants en école ou en établissement. Mais il est fortement recommandé.”

En ce qui concerne la praticienne qui est intervenue dans ce collège héraultais, le rectorat certifie que “l’association partenaire est déclarée en Préfecture ; une convention de partenariat a été signée entre le chef d’établissement et le président de l’association ; les ateliers se déroulent toujours en présence d’un adulte de la communauté scolaire. La procédure d’intervention respecte le cadre règlementaire académique.”

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