La chronique littéraire d’Eugène : “Face à la menace fasciste, sortir de l’autoritarisme”
« Face à la menace fasciste » de Ludivine Bantigny et Ugo Palheta (éditions Textuel, 2021) est une prophétie. L’historienne et le sociologue analysaient une « phase de fascisation » (depuis 2015 environ), c’est à dire une période de renoncements aux principes de la démocratie libérale : mépris du parlement, exécutif autoritaire, violences policières, répression de la contestation, bouc-émissaires…
Lors du conseil des ministres suivant le vote de la Loi Immigration, Macron aurait eu cette formule : « Est-ce qu’on rentre dans un monde crypto-fasciste ? Non. Penser cela, c’est la dissolution des esprits. » (Le Parisien, 20 décembre). Affirmer que cette terrible loi Darmanin est d’extrême droite, c’est donc faire preuve de « dissolution des esprits »… Si Macron n’est pas crypto-fasciste, il ouvre des boulevards au fascisme en France.
« Face à la menace fasciste » de Ludivine Bantigny et Ugo Palheta (éditions Textuel, 2021) est une prophétie. L’historienne et le sociologue analysaient une « phase de fascisation » (depuis 2015 environ), c’est à dire une période de renoncements aux principes de la démocratie libérale : mépris du parlement, exécutif autoritaire, violences policières, répression de la contestation, bouc-émissaires…
Le fascisme devient ainsi possible, car il profite de la crise d’hégémonie du néolibéralisme, système incapable d’obtenir un consentement majoritaire à l’ordre des choses sans élévation importante de la violence. La crise interminable du capitalisme amène avec elle la « possibilité du fascisme » théorisée dès 2017 par Palheta : frustrations populaires, instabilité économique, hausse des antagonismes sociaux, panique identitaire…
D’un groupuscule, le FN/RN est devenu le « premier parti de France » qui dicte l’agenda des thématiques et débats. Les autres partis recyclent ses idées dans une optique de course aux électeurs. Les médias détenus par les milliardaires lui font les yeux doux. Le macronisme se lance dans une guerre sociale à coup de contre-réformes injustes pour imposer un néolibéralisme devenu impopulaire et chasser sur les terres du RN.
I/ L’heure est grave
Les contre-réformes menées par Macron concernent tout d’abord le travail. Toutes les résistances syndicales sont réprimées par le patronat et le gouvernement. La fonction publique manque de moyens et recourt de plus en plus à des contractuels précaires. Les entreprises privées font appel aux sous-traitants pour briser les collectifs. Le management devient de plus en plus brutal provoquant une hausse des maladies et accidents liés au travail.
L’obsession des macronistes concerne aussi la Dette publique. Il faut tailler les dépenses de l’État et des collectivités en tapant sur la Sécu. On balance ainsi le rouleau-compresseur des réformes sur les retraites ou de l’assurance-chômage pour faire des économies. On augmente ainsi le nombre de retraités pauvres et de précaires. Une récente loi inhumaine (dite Kasbarian) permet ensuite d’expulser plus facilement ces « mauvais payeurs »…
Les résistances éclatent ici ou là, dans les ZAD (Notre Dame des Landes, Bure…) ou sur les rond-points (les Gilets Jaunes) mais elles rencontrent une répression policière et judiciaire inédite. « Faire taire » les contestataires au risque de les mutiler ou de les tuer ! Et sans écouter les condamnations de l’ONU, de la CEDH ou d’Amnesty… Les syndicats policiers sont de plus en plus factieux et revendiquent de pouvoir outrepasser les lois et le pouvoir des juges.
L’état d’exception fait glisser l’État de droit vers l’État de surveillance. Des lois liberticides bafouent la liberté d’expression, la liberté de manifestation ou encore la liberté d’association. On prétexte de la menace terroriste pour interdire un rassemblement, sanctionner pénalement des slogans ou pancartes et interdire des associations sous prétexte qu’elles sont « séparatistes » (c’est-à-dire musulmanes).
La laïcité devient plus dure et on n’hésite pas à dissoudre le CCIF (collectif contre l’islamophobie) ou l’Observatoire de la laïcité, jugé trop laxiste. La droite de la macronie (Blanquer, Vidal, Darmanin…) brandissent la menace « woke » et « islamogauchiste ». Macron a profité de la sidération liée à la pandémie pour s’en prendre à la gauche comme aux associations antiracistes. Ce règlement de compte est passé quasiment inaperçu pour l’opinion publique.
II/ Le macronisme comme autoritarisme du capital
Les attentats islamistes et la pandémie ont permis de forger un état d’exception au service du capitalisme. Les opposants sont surveillés et fichés grâce à la technopolice. Les manifestants sont réprimés par la police et criminalisés par la justice. Les contre-pouvoirs sont contournés voire brisés par le « prince-président » Macron qui se sert à outrance des médias à sa botte pour imposer sa personne et l’idéologie dont il est le serviteur.
Macron s’inscrit dans la lignée de Delors ; un pouvoir de coalition au-dessus des partis capable d’affaiblir les résistances et briser les entraves au nom de « l’efficacité ». Il faut « convertir les français à l’esprit de marché », à cette « marche forcée vers le futur » disait Delors en 1985. Ce capitalisme autoritaire a été ensuite appliqué avec fougue par François Hollande puis évidemment Emmanuel Macron.
Soutenu par le monde de la finance, de l’entreprise et la politique, l’énarque-trader Macron a été coopté par tous les puissants capitalistes du pays (Attali et Minc en sont les symboles). Aude Lancelin parle d’un « putsch du CAC 40 ». Juppé avait déjà réfléchi à une union sacrée des « gens raisonnables » derrière le capitalisme. Macron incarnait cette grande coalition ; un jeune homme de « gauche » appliquant une politique de droite.
Cet « extrême-centre » (Deneault) rejette les « extrêmes » dos à dos et se vante de remplacer la politique par la « gouvernance », la démocratie par le « management ». Derrière cette façade « progressiste » et modérée se cache une brutalité sociale au service des plus riches, des contre-réformes violentes et injustes et un autoritarisme bonapartiste et corrompu écoutant davantage les lobbies que les députés de la Nation.
III/ Un processus de fascisation
L’historien Robert Paxton n’hésite pas à parler de « renaissance du fascisme » en ce début de XXIe siècle. La crise totale dans laquelle s’enfonce l’Humanité semble sans remède et ressemble de plus en plus à une crise civilisationnelle. Des « symptômes morbides » (Gramci) corroborent cette analyse. Les organisations fascistes se multiplient, le curseur des débats penche de plus en plus à droite et le RN est devenu un parti respecté par l’élite politique et surtout médiatique.
La fascisation la plus radicale est à l’œuvre dans la police. Ses abus sont couverts par le pouvoir bourgeois (de moins en moins légitime) qui accroît en retour ses moyens. Les syndicats policiers en profitent pour s’émanciper de plus en plus du pouvoir politique et du droit. Une dynamique comparable traverse une partie de l’armée qui souhaite une issue autoritaire à la crise politique (pensons aux tribunes publiées dans Valeurs Actuelles).
Les médias répercutent également cet « ensauvagement de la classe dominante ». Pensons aux Youtubeurs fascistes, aux « intellectuels » médiatiques (de Fourest à Onfray en passant par Enthoven) et aux partis politiques « respectables » (comme le RN). On y dénonce en coeur le « racisme anti-Blancs », les féministes radicales, les antiracistes et autres « wokes » (partisans de la « tyrannie des minorités »).
Face à ce processus, seul un puissant mouvement populaire de gauche peut inverser le rapport de force. Cela doit se faire par les luttes sociales et politiques comme par une « guerre de positions » idéologique. Il paraît très improbable que les forces de gauche anticapitalistes et antifascistes arrivent aujourd’hui à stopper cette fascisation délirante, entretenue par Macron et sa spirale de radicalisation autoritaire et inégalitaire.
Le fascisme peut très bien gagner des élections et conquérir le pouvoir. Cela ne suffit cependant pas. Les fascistes devraient ensuite bâtir un état fasciste en s’appuyant sur l’alliance avec la bourgeoisie capitaliste. Les fascistes peuvent débarrasser les entraves à l’exploitation des travailleurs (syndicats, droit du travail…) et en échange demander le contrôle intégral de l’État. La bourgeoisie peut donc renoncer à la démocratie libérale et livrer le pouvoir aux fascistes comme cela !
IV/ Leur démocratie et la nôtre
Macron salit tellement la démocratie avec sa « ritournelle du monde libre » que les citoyens n’en croient plus un mot. Le grand récit des noces de la démocratie et du capitalisme prophétisait pas Fukuyama en 1989 est en crise. Les « démocraties » capitalistes sont instables et glissent vers l’autoritarisme. On rejoint Brecht qui écrivait que le fascisme est l’évolution des démocraties en temps de crise.
Les élections dans les démocraties bourgeoises ne sont pas suffisantes. Elles sélectionnent une oligarchie et consacrent une élite politique. Même lorsqu’elles sont remportées par les forces de gauche, les institutions internationales et financières sabotent en choeur les promesses émancipatrices (pensons à Siriza en Grèce en 2015 ou encore au Traité de Lisbonne de 2007 balayant le « non » au référendum de 2005).
Le pluralisme est lui aussi limité par le scrutin majoritaire uninominal à deux tours marginalisant les partis majoritaires au Parlement. Les médias dominants, détenus par des groupes capitalistes, renforcent cette invisibilisation des partis minoritaires en n’invitant que les gros partis (temps de parole indexé au pourcentage de députés). Les éditorialistes fabriquent un consentement à l’ordre établi, à la domination de leur classe sociale.
La macronie a cerné ce dégoût du peuple pour la « démocratie ». LREM est un parti plus ouvert à la « société civile » et aux femmes mais encore plus bourgeois dans son recrutement que LR et le PS ! La réforme constitutionnelle de 2018 ne corrige pas les défauts de la Ve République, la verticalité du pouvoir étant extrême depuis l’élection de Macron. La démocratie participative est un leurre, les citoyens n’étant consultés que sur des sujets secondaires (et même pas écoutés d’ailleurs!).
Seule une rupture avec le capitalisme et un mouvement social très intense peuvent démocratiser la politique, la société et l’économie. Il faut renoncer à cet âge d’or de la démocratie libérale et parlementaire (que certains placent au début de la IIIe République) pour envisager une démocratie réelle. Cela devra passer par la violence et la construction d’une forme de pouvoir alternatif aux classes possédantes car ces dernières ne se laisseront pas faire.
Conclusion
Sur le plan social, la dégradation vertigineuse des conditions de vie combinées à la faiblesse des solidarités collectives et des défaites syndicales amplifient la fascisation du pays. De plus en plus de personnes pensent que pour sauver le « modèle social français », il faut en exclure celles et ceux qui n’ont pas la nationalité française ou refusent de « s’intégrer à la nation ».
Sur le plan idéologique, Macron banalise les idées d’extrême droite tout en se posant comme seule alternative au RN. Macron met en cause l’État de droit avec la progression de l’arbitraire étatique, la surveillance des citoyens et l’intensification des violences policières. Le macronisme, comme autoritarisme du capital, a une base sociale de plus en plus faible (le néolibéralisme n’ayant jamais été un projet hégémonique en France à l’inverse de l’Allemagne ou de l’Angleterre). Le RN se pose donc comme principale force contre-hégémonique.
Les gauches, à l’opposé, connaissent une crise historique liée à leur éloignement des classes populaires. L’antifascisme peut être un moyen de reconstruire une unité populaire pour enrayer le processus de fascisation. Il doit être transversal aux autres luttes sociales et politiques pour une véritable émancipation et une démocratie véritable.
Eugène Varlin
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