Le manque de moyens nuit à la continuité pédagogique et aux mesures sanitaires pour les enfants de soignants

Le Poing Publié le 6 avril 2020 à 10:41 (mis à jour le 6 avril 2020 à 12:27)
Sur Montpellier, la communauté pédagogique s'inquiète de la reprise des écoles à partir du 11 mai

Depuis le début de la crise sanitaire du covid-19, des gardes sont mises en place dans certaines écoles pour les enfants de soignants. Le dispositif concerne depuis le 22 mars les enfants des personnels en charge de l’aide sociale à l’enfance. 30 000 enfants sont concernés. A Paris, ce dispositif s’étend aux enfants de policiers et de sapeurs-pompiers. Sur Montpellier, cinq écoles avaient été sélectionnées pour regrouper ces élèves, mais suite à la faible affluence il n’y en a plus que trois. Le dispositif est-il efficace pour assurer une continuité dans l’apprentissage à ces enfants ? Alors que, comme Le Poing a pu l’aborder récemment, le ministère de l’Éducation nationale a bien du mal à assurer une continuité pédagogique pour tous, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, assurait encore le 4 avril que « les gestes barrières et les consignes sanitaires étaient respectés ». Sur le terrain, la réalité paraît nettement plus nuancée…

« L’endroit où la continuité pédagogique est la plus difficile a assurer, c’est l’école… »

« Un vendredi, après m’être inscrite sur la liste des volontaires sans avoir de nouvelles pendant un moment, on m’envoie un mail pour savoir si je suis toujours disponible pour la semaine suivante. Je réponds positivement. Le dimanche soir je reçois un listing m’indiquant qu’on aura deux enfants le lendemain. On ne nous demande rien d’autre que d’arriver avec dix minutes d’avance. On est affectés par binômes, accompagnés d’une ATSEM [agent territorial spécialisé des écoles maternelles, personnel de l’éducation qui assiste les enseignants pour l’accueil et l’hygiène des enfants]. C’est en arrivant qu’on s’aperçoit que les élèves sont sept en fait, de la petite section au CP. » Du côté de Marion*, enseignante volontaire pour la garde des enfants de soignants à Montpellier, on s’adapte petit à petit, avec les moyens du bord, à une organisation qui fait défaut : « Ils n’ont aucun suivi, pas de cadre, ils ont tous du travail à faire, mais sont complètement désorganisés. Certains enfants sont survoltés, d’autres semblent très fatigués. Et nous ne restons là que 3h, difficile d’investir la relation. »

Deux fois par semaine, les volontaires assurent les gardes. Un important turn-over donc chez les encadrants qui rend effectivement difficile un suivi pédagogique. D’autant plus que les parents soignants sont très sollicités par leur boulot en ce moment, ils peuvent travailler jusqu’à 48 heures par semaine, les plannings de certains secteurs affichant même d’après la CGT du CHU de Montpellier jusqu’à 60 heures !

Un tableau sur lequel surenchérit Vincent, enseignant effectuant des remplacements en temps normal, lui aussi volontaire sur la ville : «  J’y suis allé deux après-midi pour l’instant. La première fois, les enfants étaient 7, de la petite section au CM2. La seconde, ils étaient 2. Ce qui me pose le plus de problème dans cette situation, c’est l’information : trop, pas assez, contradictoire… Sur des choses concrètes, comme souvent dans ce métier, on se débrouille. Le premier jour par exemple, nous avions l’heure d’arrivée à l’école mais pas l’heure de sortie. Ce sont donc les agents de la mairie et la plupart du temps les enfants qui nous ont aiguillés. C’est ce qui pose problème en ces temps difficiles face aux élèves car nous sommes supposés être des adultes repères et rassurants mais quand ils passent d’un adulte à l’autre et possèdent plus d’informations que nous, ça ne les rassure pas ! C’est plus de la garderie qu’autre chose. »

Le manque de matériel n’arrange rien à l’affaire, et Marion regrette qu’il n’y ait pas plus de moyens pour se rendre utile. « La 2ème demi-journée, ils seront quatre. On leur propose des activités adaptées qu’on a pu anticiper, parce que ce coup-ci on les connaît. Aucun travail en ligne n’est possible à l’école car il n’y a pas d’ordinateur disponible. Finalement l’endroit où la continuité pédagogique est la plus difficile à assurer, c’est l’école en ce moment… Assez triste comme constat. Ils ne sont pas nombreux mais pendant qu’on tourne en héros leur parents, eux on les garde, pas plus. », assène-t-elle, un brin désabusée, mais fidèle au poste.

« Comment maintenir une distance de sécurité avec des gosses dans une salle de réunion ? »

Contrairement à ce qu’annonçait encore Jean-Michel Blanquer ce samedi 4 avril, les conditions ne semblent pas vraiment réunies pour une application des gestes barrières protégeant d’une infection au covid-19. « Je pensais être dans une classe mais nous avions une petite salle réservée qui ne permettait pas de respecter le mètre de distance réglementaire ce jour là », s’étonne Vincent. Même expérience pour Marion, qui se demande « comment maintenir une distance de sécurité avec des gosses, dont certains en bas-âge, dans une salle de réunion ? »

Côté matériel de protection, la situation évolue constamment, change d’une école à l’autre, dans la confusion. Pas de protection proposée, que ce soit pour les enfants ou pour les adultes, mais du gel hydroalcoolique dans la salle pour Vincent, qui se rendra compte seulement plus tard qu’il peut en obtenir s’il en demande. « J’avais parlé à un animateur qui m’avait dit le lundi qu’il avait apporté son propre matériel car il est asthmatique et qu’il n’y avait rien pour lui, mais peut-être y a-t-il eu une livraison entre-temps ? » Alors que dans le binôme de Marion, on fournit gants, gel, lingettes et savons. Les masques par contre sont réservés aux quelques employés de mairie présents toute la semaine. Ils portent les même que la veille.

Contactée par téléphone, Julie Rastoul, secrétaire départemental héraultaise du SNUDI-FO, qui syndique tout le premier degré, confirme que la situation est peu ou proue la même dans toute la ville et ses alentours. Dans les locaux les désinfections vont bon train. Et pour cause ! « J’ai appris par l’ATSEM que l’un des enfants présents le premier jour avait côtoyé de près une personne infectée. », nous glisse Vincent. Ambiance…

*Prénom modifié à la demande de l’intéressée

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