Les kurdes manifestent leur émotion après l’attentat qui a enlevé la vie de trois des leurs à Paris
Un homme a ouvert le feu à la mi-journée dans un centre culturel kurde du 10ème arrondissement de Paris, tuant trois personnes et en blessant gravement plusieurs autres. Des militants kurdes ont défilé ce vendredi 23 décembre dans plusieurs villes de France, et de nouvelles mobilisations sont prévues le 24 décembre.
Nouvelle tuerie dans les rues de Paris
A la mi-journée ce vendredi 23 décembre, une personne ouvre le feu aux abords du centre culturel kurde Ahmet Kaya, rue d’Enghien dans le 10ᵉ arrondissement de Paris. Le bilan provisoire est déjà très lourd : trois morts, dont la responsable du Mouvement des Femmes Kurdes en France et un chanteur. Et de nombreux autres blessés graves : un communiqué de la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, publié peu avant 18h, fait état « d’ un homme blessé en urgence absolue et de deux hommes blessés en urgence relative ».
Le tireur présumé, interpellé peu après les faits, un conducteur de trains retraité âgé de 69 ans, est de nationalité française. Il était visé par une information judiciaire pour des violences à caractère racistes avec armes. Il avait été interpellé il y a un an après avoir attaqué un camp de migrants avec un sabre à Paris, placé en détention provisoire en attente de son procès, puis libéré le 12 décembre dernier sous contrôle judiciaire avec une obligation de soins psychiatriques et une interdiction de détenir et porter une arme. Jusqu’au drame.
Pourtant l’homme n’en est pas à son premier coup d’éclat. Le 29 juin 2017, le tribunal correctionnel de Bobigny le condamnait à une peine de six mois d’emprisonnement assorti d’un sursis simple total et à une interdiction de détenir ou porter une arme pendant cinq ans pour des faits de détention prohibée d’armes de catégories A, B et C. Le 30 juin 2022, le même tribunal correctionnel à une peine de douze mois d’emprisonnement pour des faits de violences avec arme commis en 2016 (il a fait appel de cette décision et la procédure est en cours).
Le parquet de Paris a ouvert une enquête à propos de la tuerie de ce vendredi 23 décembre pour “assassinat”, “homicides volontaires” et “violences aggravées”. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) et ses services sont venus sur les lieux « mais, en l’état, (…) il n’y a aucun élément qui privilégierait la nécessité de leur saisine », a souligné la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau.« Quant aux motifs racistes des faits [de vendredi], ils vont évidemment faire partie des investigations qui viennent de débuter avec un très grand déploiement d’effectifs »
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en visite sur les lieux du drame, a déclaré que l’auteur de la tuerie « visait probablement des étrangers, (et donc pas spécifiquement des kurdes) et à agit seul » , et que le suspect « n’était fiché nul part en tant que militant d’ultra-droite. » Toujours est-il qu’un appel a été passé sur les ondes de la police parisienne afin de sécuriser les lieux kurdes dans la capitale dans l’après-midi.
Une réunion d’une soixantaine de militantes kurdes était prévue.L’assassin connaissait-il la date et l’heure de la réunion ? Celle-ci avait été décalée dans la matinée à cause de problèmes de RER et ne devait démarrer qu’une heure plus tard. Le journal l’Humanité déclare avoir des témoignages attestant que le tireur aurait été déposé sur les lieux en voiture.
La députée NUPES/LFI Clémentine Autain dénonce un attentat d’extrême-droite, et demande à l’Etat de prendre plus en compte cette menace. Europe Ecologie Les Verts et Fabien Roussel condamnent le racisme qui s’installe en France, rétorquant à l’extrême-droite institutionnalisée qu’il ne s’agit pas d’une tuerie simple. C’est que Phillipot, Zemmour et Bardelle ont tenu à peu près la même ligne : condamner cette « fusillade », qui n’aurait pas eu lieu si le suspect n’avait pas été libéré le 12 décembre.
Mobilisations dans plusieurs villes françaises, affrontements à Paris et Marseille
Dans les heures qui ont suivi le drame, des militants kurdes et certains de leurs soutiens convergent vers la rue d’Enghien à Paris, sur les lieux de la tuerie. L’ambiance s’échauffe après les déclarations du ministre de l’Intérieur : les kurdes, en colère que la piste terroriste soit si vite laissée de côté, s’énervent. Une journaliste de l’Agence France-Presse décrit des membres du centre culturel kurde en pleurs, certains, s’adressant à la police, crient « cela recommence, vous ne nous protégez pas, ils nous tuent », en mettant en cause la Turquie.
S’ensuivent des affrontements avec les forces de police présentes, avec jets de projectiles, barricades, bris de vitre de véhicules de police et feux de poubelles, contre une utilisation abondante de gaz lacrymogènes. En début de soirée une source policière citée par Le Monde parlait d’une interpellation, et d’au moins cinq flics blessés.
A Marseille, environ 150 kurdes ont défilé dans le calme en fin de journée lors d’une manifestation non déclarée entre la Canebière et la Préfecture, où ils ont été bloqués par un cordon policier, qui a ensuite généreusement distribué des coups de matraques avant de charger les manifestants. Quatre personnes ont été interpellées.
Sur Montpellier une centaine de manifestants ont défilé entre la place de la Comédie et la préfecture, dans le calme malgré une émotion palpable, aux cris de « A bas régime fasciste en Turquie ».
De nouvelles manifestations de kurdes sont prévues dès ce samedi 24 décembre, à Paris à partir de 12h place de la République et à Marseille notamment.
Les kurdes posent la question d’une piste terroriste liée à la Turquie
Lors d’une conférence de presse tenue peu avant 19 heures ce vendredi 23 décembre, le Conseil démocratique kurde en France (CDKF), une organisation de la diaspora kurde dont le siège est situé rue d’Enghien, a déclaré qu’« encore une fois, en plein cœur de Paris, la communauté kurde a été frappée par un attentat terroriste. (…) La situation politique en Turquie et les évolutions politiques concernant le peuple kurde nous laissent clairement penser que ce sont des assassinats politiques. […] Par le biais de la presse, nous avons appris que le caractère terroriste n’avait, à ce stade, pas été retenu. […] Nous sommes indignés de cette situation. […] On essaie de nous faire croire qu’il s’agit d’un simple militant d’extrême droite ».
Le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon a également pris part à cette conférence de presse, demandant aux autorités françaises des éclaircissements rapides sur la tuerie de ce vendredi : « Nous ne croyons absolument pas au hasard quand il s’agit d’assassinats de militants kurdes à Paris. Certains agents ou certaines officines manipulées agissent-ils librement pour régler des comptes et venir assassiner ? Toute l’énergie des renseignements va se tourner vers la recherche d’une réponse. Et ils le doivent. Mais pas comme la fois précédente, il doit y avoir des résultats rapides. »
Le CDK-F fait également mention de nombreuses menaces du régime de Recep Tayip Erdogan, alors que les attaques de l’armée turque sur les territoires kurdes se sont intensifiée ces derniers temps.
Depuis le 17 avril, le régime d’Erdogan a attaqué à plusieurs reprises les positions des guérilleros kurdes dans le sud du Kurdistan, au nord de l’Irak, utilisant plus de 2 700 fois des armes chimiques interdites selon le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan). Un rassemblement de kurdes montpelliérains avait d’ailleurs eu lieu le samedi 22 octobre pour dénoncer l’utilisation de ces armes interdites par les conventions internationales. Après l’attentat d’Istanbul du 13 novembre à Istanbul, que le régime attribue au PKK bien que toutes les forces politiques kurdes l’aient unanimement condamné, les forces kurdes et nord-syriennes, soit le PKK, le PYD, et les Forces Démocratiques Syriennes, accusent l’armée turque d’avoir bombardé plusieurs régions sous leur contrôle dans le nord de la Syrie, au Rojava, le Kurdistan syrien, (où est expérimenté à grande échelle le modèle de société promu par les organisations politiques kurdes, à base d’auto-détermination, de coopérativisme économique tentant de dépasser le capitalisme, et d’une remise en question des pouvoirs patriarcaux appuyée sur de puissants mouvements féministes) et dans les monts Qandil et Asos au Sud-Kurdistan (nord de l’Irak). Hôpitaux, écoles et dépôts de blé ont été pris pour cible.
Les kurdes accusent eux le régime d’Erdogan d’avoir planifié l’attentat d’Istanbul pour justifier une attaque de grande ampleur contre le Kurdistan auprès de la communauté internationale, et pour masquer les revers militaires liées aux dernières opérations contre le Kurdistan irakien.
« Si les commanditaires des meurtres du 9 janvier 2013 avaient été démasqués , la tuerie d’aujourd’hui ne se serait pas produite. »
C’est que la tuerie de ce vendredi 23 décembre réactive d’autres souvenirs douloureux pour la communauté kurde française.Dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013, trois militantes kurdes du PKK avaient été assassinées à Paris, également dans le 10e arrondissement : Fidan Dogan, chargée de la communication en Europe du PKK, Leyla Saylemez, 25 ans, qui encadrait le mouvement de jeunesse du parti, et Sakine Cansiz, 54 ans, fondatrice du mouvement et amie de son leader, Abdullah Öcalan. L’auteur présumé de ces assassinats, Omer Güney, d’origine turque, a été renvoyé devant la cour d’assises spéciale de Paris. Mais l’homme est mort d’une tumeur cérébrale en décembre 2016, pendant sa détention provisoire, alors que son procès n’avait pas encore eu lieu. L’enquête judiciaire en France, toujours en cours, avait relevé « l’implication » de membres des services secrets turcs, sans désigner de commanditaires. Alors que les relations entre les services secrets turcs et la DGSI française (Direction Générale de la Sécurité Intérieure)sont au beau fixe, la juge d’instruction en charge du dossier a demandé, sans succès, une levée du secret-défense pour éclaircir le rôle des services turcs, sans succès pour le moment.
A la suite de la nouvelle tuerie de ce vendredi 23 décembre, Berivan Firat, porte-parole des relations extérieures du CDKF, fait le lien immédiatement : « Nous sommes à la veille du 9 janvier. Il y a dix ans trois femmes Kurdes étaient assassinées. C’est encore une attaque visant des femmes. Qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit seulement d’un acte raciste. Si les commanditaires des meurtres du 9 janvier 2013 avaient été démasqués, la tuerie d’aujourd’hui ne se serait pas produite. […] On criminalise les Kurdes au lieu de les protéger, et on encourage Erdogan. […] Une fois de plus la DGSI nous surveille au lieu d’assurer notre sécurité. »
Le PKK étant toujours actuellement sur la liste des organisations terroristes en Union Européenne et aux États-Unis, les militants sont effectivement susceptibles d’être surveillés par le renseignement français.
De fait, le centre du CDKF n’était pas sous surveillance policière malgré la tenue de cette réunion et les menaces que dit avoir reçues le CDK-F.
«Les autorités françaises ont pourtant le devoir moral de protéger les Kurdes qui ont versé leur sang pour battre l’État islamique à Kobané », souligne Berivan Firat.
Les militants kurdes demandent aux autorités françaises d’arrêter leur coopération avec les services de renseignement turcs, qualifiant de complaisant le positionnement des autorités françaises.
Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, recevra des membres de la communauté kurde ce samedi 24 décembre à 10 heures, deux heures avant la manif prévue place de la République.
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