Loin des micros officiels, discussions avec des manifestants anti-pass | 5ème entretien

Le Poing Publié le 3 septembre 2021 à 21:24 (mis à jour le 3 septembre 2021 à 21:26)
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Le Poing a décidé de produire dans les jours qui viennent une série de discussions avec certains de ces manifestants anti-pass. De ceux qu’on entend pas, loin des micros officiels et des tribunes, et des questions trop brèves du micro-trottoir journalistique aboutissant à de la caricature. 5ème entretien. Nous nous sommes entretenus avec des personnes variées, avec donc du contenu et des thèmes divers. Retrouvez dans le Poing d’autres entretiens après la prochaine manif contre le pass de ce samedi 4 septembre.


Si vous avez déjà lu notre premier, notre second, notre troisième ou notre quatrième entretien, vous pouvez sauter l’introduction, qui est la même, pour passer directement à la discussion.


Lors de la manifestation montpelliéraine du samedi 28 août – sur laquelle Le Poing a déjà réalisé un article – un de nos journalistes est allé à la rencontre des personnes qui ne prennent pas la parole, loin des micros officiels et des tribunes. En essayant de se tourner vers des profils variés, et pour des discussions relativement approfondies. Un peu en deçà de l’entretien, un peu au-delà du micro-trottoir. Evidemment le temps nous a été compté, nous n’avons pas pu aborder tous les sujets auxquels on aurait aimé toucher avec tout le monde. Et nous ne prétendons pas avoir eu accès à un panel rigoureusement représentatif des participants à cette manifestation. Nous vous proposerons dans les jours à venir une série de discussions, publiées d’une manière relativement brute pour ne pas faire violence à tout ce qui se comprend dans les non-dits, les changements de sujets etc…


Avant de vous présenter le quatrième entretien, petite mise au point méthodologique. On peut se dire que le journalisme a trois objets : les faits, l’expression d’opinions ou l’analyse, et l’être humain.
Le Poing vous a déjà, avec d’autres médias indépendants, proposées des vérifications de faits. Dans le cas des manifs anti pass, souvent sur l’extrême-droite, à laquelle ce mouvement est loin de se réduire, sur certaines théories sorties de sources non fiables, ou encore sur la nature du leadership du mouvement montpelliérain. Et nous continuerons à le faire. Nous avons, comme d’autres, exprimé notre point de vue de manière raisonnée et documentée, via des éditos ou des analyses. Et nous continuerons à le faire.
Vérifiez toujours vos sources, recoupez les pour voir si vous tombez sur la même chose ailleurs, ne cédez pas aux rumeurs de couloirs, c’est crucial dans une période où les vautours de toutes sortes manipulent les justes colères !
Mais cette fois-ci notre démarche sera différente. Nous nous intéresserons très directement aux gens présents, en silence. Aussi comprenez que si tout n’est pas sourcé, ça ne relève pas de la négligence. Une conviction humaine, contrairement à un fait, ne se source pas : elle se constate, se discute, évolue parfois. Comprenez aussi que l’absence de commentaires ne relève pas d’une volonté de permettre à n’importe quelle thèse de se répandre. Il s’agit plutôt, avec nos maigres moyens, de saisir une époque.
Nous n’entretenons aucunes illusions quant au fait que le mouvement anti-pass soit un mouvement entièrement ouvrier ou populaire. On y trouve de tout. Y compris des gens des classes populaires. Et dont certains souhaiteraient une révolution. Aussi nous citerons Rosa Luxembourg, une allemande qui a milité toute sa vie pour un communisme démocratique, radicalement différent de celui qui a pu être mis en œuvre en URSS ou ailleurs :
« Disons-le sans détours, les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur « Comité central ».
Précisons enfin qu’aucune des personnes interrogées n’ a souhaitée ni être prise en photo, ni donner son nom. Preuve certainement que la question du pass est clivante dans tous les cercles sociaux, familles comprises.

Samedi 28 août à Montpellier, en pleine manif contre le pass sanitaire. Une dame à chignon, un étudiant irradiant de bonne humeur, un homme préparant sa retraite à la montagne, un pompier : l’après-midi a déjà été riche en échanges. De retour sur la place de la Comédie, et dans l’idée de discuter avec des personnes variées, une femme attire mon attention. Gilet jaune au dos, badge CGT épinglé dessus.


Le Poing : Qu’est-ce qui vous amène à participer à ce mouvement contre le pass sanitaire ?

Elle : Je suis gilet jaune depuis novembre 2018, on est toujours sur le rond-point de Près d’Arènes, deux fois par semaine, le mardi et le samedi. On essaie de participer à toutes les luttes. On a été soutenir Renault. [NDLR : un mouvement social s’est déroulé dans plusieurs garages Renault contre la mise en vente de certaines succursales, faisant craindre des suppressions d’emplois ]. J’ai des collègues qui ont passé des nuits à l’Agora du Centre Chorégraphique National pendant l’occupation contre la réforme de l’assurance chômage. Personnellement j’ai été faire une interview dans la vitrine du théâtre de la Plume au même moment. Notre but c’est de rassembler. Et avec ce mouvement contre le pass sanitaire, c’est tout le peuple qui est dans la rue. On essaie de se rapprocher des gens qui sont contre le gouvernement, qui sont contre Macron. Sa politique, en tout, devient insupportable. Et plus les mois passent plus ça devient insupportable. Par contre je tiens à garder mon gilet jaune, j’en ai besoin. Je le porte depuis novembre 2018, et ça représente tellement pour moi ! On est de moins en moins à le porter. J’ai des collègues ici qui me demandent le samedi pourquoi je continue à le porter, qui me disent « on est le peuple dans son ensemble, il y a pas besoin de ce symbole ici ». Je suis gilet jaune, et je continuerai à l’être. On a l’impression si tu veux qu’il y a eu cette flamme qui a réveillé les esprits, et les gens sont descendus spontanément dans la rue. Après maintenant sur le rond-point on est une poignée, mais c’est mon âme, je peux pas lâcher.

LP : Ce mouvement contre le pass sanitaire est tout à fait légitime. Mais il est quand même très différent de celui des gilets jaunes. Je veux dire, en novembre 2018, on était en plein dans des thématiques très sociales, personnellement je m’y suis senti comme un poisson dans l’eau. Dans ces samedis de protestation contre le pass, on entend quelques thématiques sociales, mais ce n’est pas non plus ce qui surgit nettement. Quel est le lien pour toi entre ton engagement comme gilet jaune et la participation à ce mouvement ?

Elle : On fait des tractages deux fois par semaine au rond-point, le mardi et le samedi, avec un accueil toujours aussi chaleureux des automobilistes. Sur un côté du tract, on parle de l’actualité autour du pass sanitaire, et des autres lois liberticides comme la loi sécurité globale. Et sur l’autre on garde notre versant social, ce qui nous a amené sur les ronds-points initialement. C’est vrai que ce mouvement contre le pass sanitaire, ce qu’il se passe en plein été, c’est énorme. Mais on continue à y apporter à nos revendications, à se battre pour la justice sociale. Et on y croit.
LP : Est ce que depuis ces manifs anti-pass vous avez vu apparaître de nouvelles têtes sur votre rond-point ?
Elle : Alors le samedi 14 août on a fait sur le rond-point une soirée après la manif, beaucoup de gens sont venus, des gens très variés. Il y a eu des prises de parole. Après on a fait la fête, avec brochettes et tout ! Et ça fait plaisir de rencontrer d’autres personnes, ont est ouverts à tous. Après, il y a toujours méfiance aussi. On a toujours l’esprit en éveil par rapport à ça, on essaie de gérer.
LP : Ce qui m’a attiré vers toi en plus de ton gilet, c’est le petit autocollant CGT que je vois dessus.
Elle : Alors, je t’explique. Je travaille dans les écoles, je suis ATSEM [NDLR : Agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qualifiées par l’obtention d’un CAP Petite Enfance. Leur rôle, essentiel, est de préparer les activités scolaires, de veiller au bien-être des enfants, d’animer certains ateliers. “C’est un soutien indispensable”, vous assurera la fiche d’orientation professionnelle du Parisien Etudiant. Elles restent pourtant largement sous-payées et sous-considérées. Une grève reconductible a débutée à Montpellier sur le sujet ] A l’heure actuelle on est en train de se battre contre le passage aux 1607 heures de travail par an, soit 70 de plus qu’avant la loi de transformation de la Fonction Publique du 6 août 2019. Depuis le mois d’octobre j’avais commencé à faire des lettres au Maire et à mes services d’éducation, à faire des pétitions. Mais je me suis rendue compte qu’en étant non-syndiquée, rien ne bougeait. J’étais pas prise au sérieux. Donc voilà, y’a quatre mois j’ai décidé de me syndiquer. Et à la CGT, parce que mon grand-père cheminot était délégué CGT, mon père dans les transports publics était délégué CGT, donc ça s’est imposé à moi. J’ai un copain gilet jaune qui est retraité de la CGT, et le jour où je lui ai dit que j’étais syndiquée, il m’a amené le badge et je le quitte plus non plus.
LP : Et toi tu es vaccinnée ?
Elle : Non. J’ai pas confiance en ce vaccin. J’ai une dame autour de moi, 54 ans qui à la deuxième injection a fait une paralysie faciale et qui est encore à l’Hôpital Guy de Chaulliac. Après ma mère l’a fait ça s’est très bien passé. Pour le moment, j’en ai pas envie, j’ai pas confiance. En plus ce vaccin me garanti pas que je chope pas le covid. Je continue à porter le masque partout où je vais. Je sais pas, mais ils interdisent de monter dans le TGV, mon fils la semaine dernière il a du faire un test PCR pour y avoir accès. Vous allez à Paris pour prendre le métro, pas besoin de pass. Pour moi c’est pas quelque chose de sérieux, et je crois pas qu’ils aient assez de recul pour nous garantir l’efficacité de ce vaccin. Il existe des protocoles officiels normalement, selon lesquels on attend un bon moment de connaitre les effets d’un produit avant de le proposer. Cette urgence ne me convient pas. Après dans notre groupe de gilets jaunes à Près d’Arènes, il y a des vaccinés, il y a des non-vaccinés. Chacun son choix dans cette situation. En tout cas on est tous contre le pass.
LP : Est-ce que tu es globalement anti-vaccin ?

Elle : Ah non. Il y a quelques années je suis allée faire le vaccin contre l’Hépatite B, vu que je travaille avec les enfants. On t’en demande beaucoup d’autres pour mon boulot et ça ne me pose pas soucis. Mais depuis le début cette crise du Covid a été mal gérée, on nous prend pour des idiots. Premier confinement j’ai marché à fond, j’arrivais chez moi je laissais les chaussures dehors, je me déshabillai et je mettais tout à la machine. Mes affaires sur le balcon. Et puis au fur et à mesure du recul, de voir ce qu’il se faisait au gouvernement… Ils n’ont pas ce sérieux de nous envoyer les bonnes infos. On a l’impression que c’est vraiment n’importe quoi. Au début les masques ça servait à rien, [ NDLR : parce que les stocks faits par l’état étaient insuffisants, lire notre article ici ]. Après il a fallu les mettre partout et tout le temps… Là je vais reprendre le boulot, j’ai plus le droit de manger avec les enfants alors que c’est mon job, parce que pour les servir il faut que je garde le masque. Il y a rien de cohérent en fait.
LP : A mon avis il y a deux aspects : il y une forme d’incohérence, et un aspect monétaire aussi. La lutte contre le Covid c’est assez important pour créer le pass sanitaire, priver certains de leurs droits. Par contre c’est pas assez important pour créer des lits dans les hôpitaux et prendre soin de nos services publics.
Elle : Et ouais, et c’est pas faute d’appels du pied de la part des hospitaliers. Là aussi on essaie de lutter. Je me rappelle parfois, avant que je commence le boulot à 7h30, à 6h du mat j’allais distribuer des tracts. Dans les universités aussi… En fait c’est partout qu’il faut que ça bouge !


Un camarade gilet jaune à elle débarque, qu’elle n’avait pas vu depuis un moment visiblement, la hèle, nous interromps. “Et alors c’est quoi ce badge CGT là ?” Elle lui explique la même chose qu’à moi, que dans les luttes se déroulant sur les lieux de travail en tout cas, on a trop peu de poids sans ça. “Mais t’es pas syndiquée toi, t’es gilet jaune ? “ Elle lui répond : “Ecoutes, je suis syndiquée depuis quatre mois. Au boulot on est beaucoup a être déçus des syndicats. Mais je suis convaincue que nous, les syndiqués de base, on peut faire bouger les choses. Je m’en fous de Martinez [NDLR : secrétaire général, “patron” de la CGT ], c’est pas lui qui fera bouger les choses, c’est nous !” L’homme lui confesse, malicieusement : “Bon, je t’avoue, moi aussi je me suis syndiqué” Grands éclats de rire.


Nous nous sommes entretenus avec des personnes variées, avec donc du contenu et des thèmes divers. Retrouvez dans le Poing d’autres entretiens après la prochaine manif de ce samedi 4 septembre.

Julien Servent

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