Montpellier : au Gazette Café, une bien étrange conférence sur les dérives sectaires

Elian Barascud Publié le 18 juin 2024 à 18:41
A Montpellier, le Gazette Café accueille régulièrement des conférences sur le thème du bien-être et du développement personnel. ("Le Poing")

Ce jeudi 20 juin aura lieu une conférence sur les dérives sectaires au Gazette Café, établissement lié à la Gazette de Montpellier. Problème : l’Association de Défense des Libertés Fondamentales, à l’origine de l’évènement, est proche des milieux complotistes covido-sceptiques, et un avocat qui intervient régulièrement dans cette association a des liens avec l’Église de la Scientologie

La dernière fois que le Poing évoquait Le Gazette Café, c’était en 2021, lors d’un article sur le média éponyme, La Gazette de Montpellier : “Voici cinq ans, par stratégie de marque, était ouvert un Gazette Café, près de la gare Saint-Roch. Lisons une seule de ses programmations hebdomadaires, par exemple celle du 8 octobre dernier. Hors concerts et événements strictement artistiques, dix rendez-vous s’égrenent cette semaine là : un Café Couple (Dépendance affective : comment trouver nos appuis en nous?), un Café Développement personnel, un Café Rêves, un Café Méditation, et un Café des Émotions. Heureusement, un Café Bières nous remonte le moral, face à cet étalage de vacuité des modèles de vie ainsi esquissés.”

A l’heure où la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) s’inquiète de la hausse des saisines concernant le développement personnel et la santé, on pourrait se réjouir que le Gazette Café, qui fait la part belle à ces thèmes dans sa programmation, organise une conférence sur les dérives sectaires. (Par exemple, au mois de juin, le café a fait intervenir Amandine de Sèze, praticienne en kinésiologie et constellations familiales, des pseudo-sciences sans efficacité démontrée et placées sous l’observation de la Miviludes).

Affiche de la conférence sur les dérives sectaires prévue au Gazette Café le 20 juin.

l’ADLF : soutien de Didier Raoult, défense des soignants suspendus

C’est ainsi que le 20 juin prochain, le Gazette Café accueille une conférence sur les dérives sectaires organisée par l’Association de Défense des Libertés Fondamentales (ADLF). Basée à Montpellier, l’association est présidée, selon les mentions légales de son site Internet, par Emmanuel Lastenouse. Ce dernier, ainsi que trois membres fondateurs de l’association, étaient candidats aux élections régionales 2021 en Occitanie sur la liste “Union Essentielle.” Revendiquée “citoyenne”, elle dénonçait la gestion de la crise sanitaire et défendait la démocratie directe. Une liste également présente en Auvergne-Rhône-Alpes, taxée de “proche” des « anti-masques » ou « anti-vaccins » par nos confrères de Rue89 Lyon.

L’Association de Défense des Libertés fondamentales, a, pendant la pandémie de Covid, mené des recours en justice contre le port du masque en extérieur, continue de mener des actions en justice pour réintégrer des soignants suspendus et contre “l’obligation vaccinale”. Elle s’est également jointe à une tribune de soutien au sulfureux Didier Raoult, microbiologiste adulé par la complosphère et décrié par la communauté scientifique après sa promotion de l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19.

Sur son compte X (ex-Twitter), l’association partage des liens émanant de France Soir, ancien journal national devenu caisse de résonance des fausses informations pendant la pandémie de Covid, du groupe des Mamans Louves, parents d’élèves antivax qui dénoncent les cours d’éducation sexuelles à l’école, ou encore des posts de Pierre Barnérias, réalisateur du documentaire Holdup. Bref, une nébuleuse complotiste née ou amplifiée pendant la pandémie de Covid-19.

Quant à l’intervenante de la conférence du 20 juin, la psychiatre Louise Riguet, elle est signataire d’une tribune parue dans QG le média libre intitulée “Une nouvelle religion vaccinale est née en occident.” “L’idéologie de la vaccination intégrale et répétée des populations est une sorte de nouvelle religion, avec son dieu, ses grands maîtres argentiers, ses dévots, ses techniques de propagande de masse et ses mensonges éhontés. En ouvrant désormais la voie à la vaccination des enfants et en créant par ailleurs entre les citoyens des discriminations inédites pour des régimes réputés démocratiques, elle viole des droits humains que l’on croyait « inaliénables » et dresse les citoyens les uns contre les autres”, pouvait-on lire en préambule de cette tribune, signée par près de 2.400 universitaires, médecins et soignants, dont, pour ne citer qu’eux, Louis Fouché, co-fondateur du collectif complotiste Réinfocovid, et Alexandra Henrion-Claude, généticienne, ancienne directrice de recherche Inserm, institut qui l’a publiquement désavoué suite à ses propos sur le Covid sur la webTV d’extrême-droite TVLiberté en juillet 2020.

Un avocat proche de l’église de la scientologie

Sur le site Internet et la chaîne Youtube de l’Association de Défense des Libertés Fondamentales, un visage revient souvent pour expliquer les actions juridiques que mène l’association : celui de l’avocat montpelliérain David Guyon. Outre ses compétences en matière de droit au logement (il a accompagné juridiquement une locataire d’ACM habitat qui a porté plainte contre son bailleur), il se définit comme un spécialiste des libertés fondamentales.

Selon le média The Italian Telegraph, David Guyon travaille aux côtés de la Commission des citoyens pour les droits de l’Homme, un organisme cofondé en 1969 par l’Église de Scientologie et le Dr Thomas Szasz, professeur émérite de psychiatrie. Cette commission milite pour le respect des droits humains et des libertés fondamentales dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale en France.

David Guyon était présent, le 6 avril dernier, lors de l’inauguration à Saint-Denis du siège de l’Église de la scientologie pour parler du partenariat de l’Église avec la Commission citoyenne des droits de l’homme”. Pour rappel, en 2021, la Miviludes a reçu 33 saisines concernant l’Église de Scientologie. Le mouvement, reconnu en 1953 comme une religion aux États-Unis, s’est implanté en France en 1959 sous le statut d’association loi 1901. Plusieurs rapports parlementaires classent la scientologie comme une secte, dont celui de 1995 qui la qualifie même de « secte dangereuse », sans pour autant que le mouvement ne soit interdit dans le pays.

David Guyon (tout à gauche de l’image), en compagnie de David Miscavige (le blond souriant), actuel dirigeant de la Scientologie, lors de l’inauguration du siège de l’organisation à Saint-Denis en avril dernier. (Capture d’écran du site scientology news).

Selon le média Slate, l’église de la scientologie a déjà écopé de condamnations : “En 1997 déjà, plusieurs membres dont l’ancien président de l’Église de scientologie de Lyon avaient été condamnés pour escroquerie et homicide involontaire après le suicide d’une fidèle. Dans un procès retentissant en 2013, les deux principales structures du mouvement avaient quant à elles été incriminées pour escroquerie en bande organisée et exercice illégal de la pharmacie, et forcées à payer des amendes de centaines de milliers d’euros.”

Avec tout, ça, n’est-ce pas paradoxal pour l’Association de Défense des libertés fondamentales d’organiser une conférence les dérives sectaires qui prétend interroger la nuance entre “conviction, vérité, foi, information et propagande” ? Contactée, l’ADLF répond : “Sur le compte X de l’ADLF figurent en effet des publications de France Soir et des Mamans Louves.[…]Le contenu de ces publications ne nous semble pas présenter un souci de quelque nature. Maître David Guyon est l’avocat de la commission des droits de l’homme et s’exprime en tant que tel. Eric Dupond-Moretti avait indiqué que défendre un terroriste ne faisait pas de lui un terroriste. Ce commentaire peut s’appliquer pour d’autres dossiers à tout autre avocat. (…] Enfin, l’auditoire jugera de la pertinence de notre exposé.”

De son côté, Louise Riguet a rétorqué que “En ce qui concerne les paradoxes que vous relevez je ne puis que vous répondre qu’il ne s’agit pas de paradoxes mais de liberté. L’ADLF relaie ce qu’elle veut, de quelque organe de presse que ce soit, car c’est bien cela qu’être libre, ne pensez-vous pas ?”

Quant au Gazette Café, l’établissement a fait savoir qu’il n’annulerait pas l’évènement car “interdire à quelqu’un de s’exprimer n’est jamais la bonne solution. Par contre nous allons demander au journal La Gazette de dépêcher un journaliste qui jugera du contenu et des suites à donner.” Quand on se rappelle que l’hebdo du jeudi était partenaire en mars dernier d’un sulfureux salon du bien-être Nîmois dont certains intervenants étaient épinglés par la Miviludes, on ne sait pas si on doit être rassuré…

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