Montpellier. Gilets jaunes en procès pour outrage : parfum de collusion entre les enquêteurs et les plaignants

Le Poing Publié le 29 juin 2019 à 19:44
Rassemblement devant le tribunal de grande instance de Montpellier pour soutenir quatre gilets jaunes accusés d'outrage, le 29 juin 2019
À l’appel de l’assemblée de Montpellier contre les violences d’État et de plusieurs organisations politiques et syndicales, près d’une centaine de personnes se sont rassemblées jeudi dernier au tribunal de grande instance de Montpellier pour soutenir quatre gilets jaunes accusés d’outrage en réunion. Huit policiers leur reprochent d’avoir chanté, le 29 avril devant le tribunal, lors d’un rassemblement de soutien à un gilet jaune condamné à trois ans de prison ferme pour dégradation, des slogans anti-flics – « flic suicidé à moitié pardonné », « elle est où la capitaine, pan, pan, pan » – portant atteinte à la dignité d’une capitaine qui s’était suicidée dix jours auparavant au commissariat de Montpellier. Les prévenus ont été placés en garde à vue et lors du défèrement, le parquet avait demandé leur placement en détention provisoire, mais la juge des libertés et de la détention avait décidé de les relâcher sous contrôle judiciaire. En garde à vue comme au tribunal, les prévenus ont contesté les accusations, fondées uniquement sur le témoignages des policiers.

Rejet des nullités

Dès le 30 avril, les médias locaux et nationaux – Midi Libre, Métropolitain, France Bleu, Le Point, 20 minutes ou bien encore France 3 – se sont emparés de l’affaire. La plupart des journalistes ont cité les propos du syndicat Alliance police nationale : « Comment peuvent-ils mépriser à ce point la vie humaine ? Quel respect pour la famille de la défunte, mère de deux jeunes, pour ses proches, ses amis et ses collègues de travail ». Une enquête a rapidement été ouverte et le procureur a lancé des mandats d’arrêts : trois prévenus ont été interpellé dans la rue le 14 mai, et la quatrième a été arrêtée chez elle le 16 mai. Pour maître Ottan, ce mode d’interpellation ne respecte par la procédure : « l’article 78 du Code de procédure pénale indique que la police peut contraindre à comparaître par la force publique les personnes qui n’ont pas répondu à une convocation ou dont on peut craindre qu’elles ne répondent à une telle convocation. Or, dans ce dossier, rien ne justifie l’application de cet article, puisque la police indique qu’elle connaît bien ces trois prévenus [interpellés le 14 mai], qu’ils sont parfaitement identifiés en tant que membre de la mouvance anarchiste, on sait où ils habitent. Il était donc tout à fait possible de les convoquer. Rien ne justifiait cette mesure de privation de liberté. » Le procureur Soriano a contesté cette exception de nullité pour deux raisons : « la possible concertation frauduleuse des prévenus, et le risque qu’ils ne se soient pas présentés aux convocations, car ce sont des SDF ». Le 16 mai, un juge des libertés et de la détention du même tribunal a pourtant justifié de relâcher les prévenus sous contrôle judiciaire en se fondant notamment sur le fait qu’ils soient domiciliés. Le juge Tremblay a suivi le procureur en décidant de « joindre la forme au fond », une expression régulièrement utilisée par les magistrats pour ne pas se focaliser sur les problèmes de procédure.

Un dossier sans preuve

En garde à vue comme pendant l’audience, les prévenus n’ont pas reconnu avoir outragé des policiers. Trois d’entre eux n’ont rien déclaré lors des auditions au commissariat, et une autre a affirmé n’avoir « pas compris toutes les paroles » : « j’ai demandé des explications, ça ne m’a pas plu ». De leur côté, les huit policiers qui se sont constituées parties civiles – absents lors du procès – ont soutenu lors des auditions avoir formellement identifié les prévenus en train de chanter des slogans injurieux. Un policier a versé au dossier une vidéo en affirmant qu’elle a été prise au moment des chants, mais les avocats des prévenus n’ont eu accès qu’à des captures d’écrans, visionnées par Le Poing, sur lesquelles rien ne permet de distinguer les accusés en train de chanter. L’avocat de l’une des prévenue, maître Chabert, a aussi plaidé un argument spatial : « à l’endroit où se trouvaient les policiers, c’est impossible qu’ils aient pu voir distinctement la scène ! L’angle de vue était restreint, ils étaient derrière des grilles ! » Les avocats des policiers n’ont quant à eux pas apporté d’éléments nouveaux lors de leurs plaidoiries. Maître Clamens a affirmé avoir elle-même entendu ces « slogans odieux chantés par tout le monde lors du rassemblement » et a considéré que les prévenus « n’assument pas, alors qu’ils sont reconnus et identifiés par les policiers » etmaître Leygue note que « les procès-verbaux des policiers sont conformes. Les policiers mentent-ils ? Non ! Donc les prévenus sont identifiés. » Fait rare, une avocate du syndicat Alliance police nationale, minoritaire à Montpellier, a aussi plaidé en faveur de la reconnaissance de la constitution du syndicat comme partie civile, au motif « que la police est haïe, conspuée, traînée dans la boue, et que les syndicats policiers sont les seuls à défendre leurs collègues ». Le procureur a peu ou pou repris les arguments des parties civiles, en parlant d’une chanson « dégueulasse » : « tous les policiers du commissariat de Montpellier, qui se connaissent bien, ont été choqués. Pour le parquet, les faits sont constitués, car les prévenus été identifiés par des policiers ».

Les raisons obscurs du suicide de la capitaine

Le procureur a aussi précisé que « si les suicides se font au commissariat, c’est pour éviter la découverte du corps à la famille ». Une manière d’éluder les critiques émanant de Bruno Bartoccetti, référent SGP Police FO dans l’Hérault, à l’encontre de Jean-Michel Porez, chef de la direction départementale de la sécurité publique, et du commissaire Patrice Buil, à la tête de la sûreté départementale : « un management brutal et agressif », « des méthodes administratives et autoritaires », « l’aspect humain est passé au second plan dans les objectifs de résultat à atteindre ». (Le Point, 21/04/2019). Lors de l’hommage spontané rendu à la commissaire devant l’hôtel de police de Montpellier, le 25 avril, tous les corps de police étaient présents, « à l’exception des commissaires ». (France 3, 25/04/2019). Cette part d’ombre n’a jamais été clairement soulevé lors du procès, ni par la défense, ni par les parties civiles. Quand maître Leygue a demandé aux prévenus « ce qu’ils avaient à dire aux enfants de la policière suicidée », l’un des accusés a tout de même répondu : « j’ai l’impression qu’on me demande de me justifier sur des propos que je n’ai pas tenu ».

Parfum de collusion entre les enquêteurs et les plaignants

Pour justifier la relaxe, les avocats de la défense ont pointé du doigt l’absence de preuve et une procédure « qui pue ». Pour maître Chabert, « la moindre des choses, ça aurait été de confier le dossier à la gendarmerie, pour éviter que les enquêteurs ne soient du même service que les plaignants ! Ce petit dossier entre amis n’était ni fait, ni à faire ! Le procureur a été voir les policiers pour leur dire ‘‘déposez plainte, nous vous ferons une procédure sur mesure’’, mais rien ne dit que les policiers auraient porté plainte sans l’intervention du procureur. La police dit qu’elle a identifié ma cliente [celle interpellée le 16 mai], mais elle est inconnue des services de police, donc c’est impossible. Si les plaignants ont eu son nom, c’est parce que des policiers l’ont contrôlé plus tard dans la journée, donc il y a bel et bien eu une concertation entre les enquêteurs et les plaignants ! » Maître Rosé a aussi dénoncé les conditions de la confrontation, ordonnée par le procureur de la République de Montpellier Christophe Barret en personne, entre les plaignants et les prévenus lors de la garde à vue : « à huit policiers contre un accusé dans un petit bureau au commissariat, il n’y a aucun respect de l’égalité des armes. » Quant au tapissage, technique policière utilisée pour permettre à un plaignant de reconnaître un suspect parmi un échantillon de plusieurs personnes, ici réalisé derrière une glace sans tain, il est qualifié de « grotesque » par maître Chabert : « L’échantillon est composé uniquement de policiers du commissariat ! On a donc demandé à des policiers d’identifier le seul qui n’était pas leur collègue… » L’avocate Rosé a aussi noté que sur l’une des photos du tapissage, visionnées par le Poing, « un seul n’a pas de lacet, donc seul lui pouvait être désigné comme suspect ! », la police obligeant chaque gardé à vue à se délacer.

Huit mois de prison avec sursis requis

Entre les dommages et intérêts, les frais judiciaires réclamés par les parties civiles et les 300€ d’amende requis par le procureur, l’addition s’élèverait à 2 950€ par prévenu, soit 11 800€ au total au profit des policiers-plaignants, d’Alliance police nationale, et des avocats des policiers, en sachant que les frais d’avocats des policiers sont avancés par l’État au titre de la « protection fonctionnelle ». Le procureur a aussi réclamé huit mois de prison avec sursis. Le délibéré sera rendu le 4 juillet.

Plusieurs policiers étaient présents dans la salle d’audience. Certains d’entre ont insulté et menacé plusieurs personnes, dont un prévenu.

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Stonewall 1969 : les origines émeutières de la Gay Pride