Pourquoi il est irresponsable de réclamer plus de moyens pour la police

Le Poing Publié le 2 octobre 2020 à 18:16 (mis à jour le 2 octobre 2020 à 18:20)

Le 28 septembre, des élu·es de l’Hérault, dont la députée LFI Muriel Ressiguier, se sont entretenu·es avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Conclusion de la réunion : une demi-compagnie de CRS débarque sur Montpellier. Comment la parlementaire insoumise, dont le parti est parfois critique envers la police, justifie une telle mesure ?

C’est Michaël Delafosse, maire PS de Montpellier, qui a fait des pieds et des mains pour que cette rencontre ait lieu. Il était accompagné de Jean-Pierre Grand, sénateur LR, Muriel Ressiguier, députée LFI, Jean-François Eliaou, Coralie Dubost, Nicolas Démoulin, Patricia Miralles et Patrick Vignal, député·es En Marche. L’entrevue a duré près de deux heures, avec ce résultat : trente policiers supplémentaires sont en poste à Montpellier depuis jeudi et jusqu’à samedi. Un dispositif reconductible « les prochaines semaines » a annoncé Gérald Darmanin, « au moins un mois » selon Patrick Vignal (Midi Libre, 30/9). Il faudra donc s’habituer à voir davantage de patrouilles dans la métropole en fin de semaine. Avec quelles perspectives ? Le Poing s’est entrenue avec Muriel Ressiguier pour en savoir plus.

Des renforts et du pouvoir

La députée insoumise précise d’emblée qu’elle souhaitait bel et bien trente policiers supplémentaires, mais que c’est « Patrick Vignal qui a pris l’initiative pour que ce soit des CRS », ce qui n’était pas son vœu. Il s’est aussi discuté de la possibilité, pour les policiers municipaux, de pouvoir consulter le fichier des personnes recherchées, « mais on a été un certain nombre a refusé ». En revanche, la police municipale pourra désormais fermer les établissements « qui nuisent à la tranquillité » et avoir accès au système d’immatriculation des véhicules, au système national des permis de conduire, et au fichier des objets et véhicules signalés. Des élus ont aussi réclamé que certains policiers municipaux puissent jouir du statut d’officier de police judiciaire, sans suite pour le moment.

Non, la police n’a pas besoin de moyens

Muriel Ressiguier assume la posture : « La sécurité, c’est une question sur laquelle je suis saisie quasiment quotidiennement, il ne faut pas laisser ce thème à l’extrême-droite, sinon on se retrouve avec des manifestations “contre la racaille”, comme à Palavas cet été. Il faut redéfinir les contours de l’insécurité, qui est certes sur la voie publique, mais aussi au travail, dans l’accès au logement, à la santé, aux services publics, etc. Avec Michaël Delafosse, on a insisté sur le sens du métier de policier, et la nécessité de moyens humains et d’une meilleure formation, notamment dans la prise en charge des plaintes pour violences sexistes. Il faut renouer avec la police de proximité. » Tout y est : moyens, formation, police de proximité ; le sacro-saint triptyque de la gauche.

Plus de moyens ? Le ministère de l’Intérieur se félicite d’une « augmentation historique de ses crédits de plus d’un milliard d’euros par rapport à l’an dernier ». Le budget de l’Intérieur n’a pas souffert des politiques d’austérité : en 2009, l’Intérieur représentait 13,5% des emplois de l’État contre 15% en 2019.
Plus de formations sur le racisme, la réception des plaintes pour violences sexistes, la gestion des manifestations ? Les policiers votent massivement pour Le Pen. Le secrétaire héraultais d’Alliance police nationale, syndicat majoritaire, donne régulièrement des interviews à Lengadoc-info, un site tenu par un militant de La Ligue du Midi, groupe raciste et homophobe. Le secrétaire national de FO Police a déclaré, à propos d’un gilet jaune qui s’est fait arracher la main par une grenade : « C’est bien fait pour sa gueule ». Le site Paye ta police recense d’innombrables témoignages sur les dépôts de plainte pour viol : « Vous étiez habillée comment ? Ah, je comprends mieux. Et il a mis un ou deux doigts ? », « Ce n’est pas un vrai viol, c’est quoi cette mode de porter plainte ? Vous êtes un cas social », « À sa place, j’aurais fais pareil ! », etc. Dans ces conditions, la police n’a pas besoin de formations, mais d’une purge.

Quant à la fameuse police de proximité, c’est un concept creux, dont on ne voit pas vraiment à quoi il fait référence : elle n’a existé que cinq ans en France, entre 1998 et 2003, et n’a rien changé aux pratiques du maintien de l’ordre.

Affaiblir, désarmer, dissoudre

La revendication du renforcement des moyens et des formations sont partagées par l’ensemble du spectre politique institutionnel, de La France insoumise aux Républicains en passant par le Rassemblement national et le Parti socialiste. Cette revendication avalise l’idée selon laquelle il ne faudrait pas une rupture avec la police, mais un renforcement des politiques préexistantes. Mais les contrôles au faciès, les remarques sexistes, les mutilations et les atteintes inédites au droit de manifester, récemment dénoncées par Amnesty international dans un rapport, ne s’expliquent pas par un problème de moyens, mais de fins, d’idéologie, de culture. Même si l’on opte un point de vue républicain, comment tolérer que des policiers d’Alliance profèrent ce genre de menaces : « Si nos collègues venaient à être injustement condamnés [pour des faits commis lors du mouvement des gilets jaunes], nous saurons ce qui nous reste à faire… et notre colère, personne ne pourra la contenir ».

Les donneurs d’ordre comme de nombreux policiers « de terrain » ont conscience de leur rôle, et des brigades entières sont proactives, autonomes, dans le sens où elles décident largement de ce qu’elles font sans en rendre toujours compte, comme les brigades anticriminalité et, dans une moindre mesure, les compagnies départementales d’intervention. Ces bandes armées dans lesquelles l’idéologie d’extrême-droite prospère ne tolèrent pas qu’on remette en cause le moindre de leur pouvoir. Même Christophe Castaner a été jugé trop doux par les syndicats policiers, qui ont obtenu sa démission et le maintien de l’interpellation par étranglement après une mobilisation policière qui se voulait une réponse au mouvement Black Lives Matters.

Une organisation qui prétend renverser le capitalisme ne pourra pas faire l’économie d’une confrontation avec la police. Dès lors, mieux vaut travailler à faire émerger l’idée d’une rupture radicale avec la police dans l’opinion publique, plutôt que de se ranger derrière des revendications qui, au final, ne profiteront qu’à l’extrême-droite. Certes, La France Insoumise réclame toujours officiellement la dissolution des BAC, mais elle n’assume toujours pas un discours de rupture avec la police, et dédouane toujours les policiers sous prétexte qu’ils recevraient des ordres. Peut-être que ces pudeurs de gazelle s’expliquent par une volonté de respectabilité, d’éligibilité. Pourtant, avec les gilets jaunes, la répression, autrefois cantonnée à des « marges » de la société – les quartiers populaires, les hooligans, les militants – s’est maintenant démocratisée, et la sortie au cinéma d’Un pays qui se tient sage atteste de la centralité de la question policière.

Dans le sillage du mouvement insurrectionnel étasunien né après le meurtre de George Floyd, l’abolition de la police a pris une place majeure. Ce mouvement abolitionniste considère que toute réforme de la police ne vise qu’à la renforcer. Oui, il faut affaiblir la police, purger ses éléments racistes, sexistes, leur contester leur droit de débattre seul du maintien de l’ordre. Oui, il faut désarmer la police, détruire les LBD, les grenades, sans lesquels les gilets jaunes auraient probablement triomphé. Oui, il faut dissoudre la police nationale, née sous le régime de Vichy par un décret de Pétain, en commençant par la dissolution des BAC, CDI, BRAV et autres CSI. Il est absolument irresponsable de déléguer notre sécurité à des bandes armées acquises aux idées d’extrême-droite.

Une fois dit cela, la question de la lutte contre les crimes – qui demeurera une nécessité dans toute société – reste entière. En mars 2016, les anarchistes grecs d’Exarchia ont défilé armés pour lutter contre les dealers. L’un d’eux sera exécuté par la suite. Le crime organisé est toujours contre-révolutionnaire, et seule une répression structurée peut en venir à bout. Il n’est d’ailleurs pas inutile de se demander quelle est la position de la France vis-à-vis du trafic de drogue, quand on sait que le Maroc – grand ami de la France – produit l’essentiel du cannabis importé en Europe sans que cela ne soit jamais évoqué, et que la légalisation du cannabis n’est toujours pas à l’ordre du jour alors qu’elle déstabiliserait profondément le trafic. Sans évoquer la consanguinité entre les milieux criminels et les milieux d’affaires, ces derniers étant bien représentés dans les cercles de pouvoir. Petit bonus : le traçage des armes des frères Coulibaly remonte à Claude Hermant, un indicateur d’extrême-droite de la gendarmerie.

Pour ce qui est des faits rangés sous ce que l’on appelle délinquance, deux réflexions : d’une part la population doit s’organiser pour être en capacité de riposter collectivement face à des agressions verbales ou physiques de faible envergure (à l’image de cette association montpelliéraine renouant avec l’autodéfense féministe), et d’autre part, il faut réaffirmer l’idée selon laquelle l’ordre – économique, social, politique – est un tout, et qu’on peut donc légitimement s’attendre à ce qu’une révolution anticapitaliste fasse perdre de son attrait à toute une série de petits larcins.

« Je croirai n’ajouter rien de superflu, messieurs, en vous faisant remarquer que […] la police, par sa nature, est antipathique à toute liberté. » (Alphonse de Chateaubriand, Opinions et discours politiques, 1828)

« Comment dans un pays où tout doit marcher par les lois établir une administration dont la nature est de les violer toutes ? […]. Récompenser le crime, punir la vertu, c’est toute la police. » (Alphonse de Chateaubriand, De la monarchie constitutionnelle selon la Charte, 1816)

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