Quand la sociologie croise les luttes – Rencontre entre Kevin Vacher et le SOS Oulala

Le Poing Publié le 10 février 2023 à 20:22 (mis à jour le 13 février 2023 à 13:50)

Où et comment lutte-t-on ? Qui sont celles et ceux qui se mobilisent pour le vivant ? Loin des clichés de “zadistes dangereux ou bobos crasseux” Kevin Vacher et le SOS Oulala (en lutte contre le projet du LIEN) sont venus s’essayer ce jeudi 9 février à répondre à ces questions à l’invitation de l’Atecopol Montpellier.

Si on ne présente plus dans les colonnes du Poing le collectif SOS Oulala et les obsessions de bitumes du département sur nos garrigues, l’occasion ne nous avait encore été donné d’introduire Kevin Vacher. Militant politique, de nombre de luttes sociales, Kevin Vacher est aussi sociologue et rêve que les citoyen·nes en lutte puissent “s’outiller des recherches en sciences sociales”. En 2021, il répond à une commande de Terres de Luttes, Notre Affaire à Tous et ZEA qui cherchent à mieux comprendre comment “Les David s’organisent contre Goliath“. Un “Mc Kinsey du milieu militant” plaisante-t-il. S’appuyant sur la cartographie de Reporterre, 70 luttes représentatives sont passées au peigne sociologique. Parmi elles le SOS Oulala, “l’étude de cas locale” comme le signale Hélène, sa représentante.

Qui veut la peau des projets inutiles ?

Ni les “éco-terroristes”, ni “les professionnels des marches climat”. N’en déplaise au sinistre Darmanin ou son prédécesseur, ce sont avant tout les personnes directement touchées par la démesure d’un projet de proximité qui se mobilisent. Bien sûr la tentation est grande de venir ici classifier les luttes qui ne craignent pas la politisation et arborent le “Ni ici, ni ailleurs”, de celles “Not In My BackYard” (“Pas dans mon arrière-cour”). Et pourtant, dans la plupart des cas, les collectifs repoussent plus loin leurs horizons politiques, las des fourberies de ceux à qui iels s’opposent. Ajoutez à cela une rencontre avec des activistes qui ne s’en laissent plus compter et vous passez de “Non à ce projet” à “Non à ce projet et son monde”. Tirez les ficelles de feu-Oxylane et de feu-Amazon à Fournès et vous tomberez irrémédiablement sur l’os capitaliste. Les collectifs l’avaient compris bien tôt. Et s’il ne fallait prendre qu’un exemple local, il nous tarde de voir le collectif des 4 Boulevards élargir son combat à la métropolisation poussive incarnée par notre édile et dont la redirection des automobilistes n’est qu’une manifestation de la chasse aux pauvres de l’hyper-centre.

Comment renverser Goliath (et son monde) ?

Si l’auteur de l’étude le fait avec brio, on vous épargnera ici un relevé trop exhaustif des modes d’action choisis par les collectifs. Du reste, les plus curieux·ses consulteront son contenu. Notons toutefois que le mensonge, les consultations truquées, les intimidations et le clientélisme se trouvent du côté des très pompeux porteurs de cravates tandis que les contre-expertises sourcées, les projets alternatifs et la patience démocratique et populaire se retrouvent du côté des collectifs composés de profils bien éloignés du dreadeux blanc (no offense).

Recours légaux et juridiques, interpellations des élu·es, appel aux médias, etc. C’est à chaque fois “le choc des mensonges employés par les porteurs de projets et la démesure de l’impact sur son environnement” qui mènent à rêver d’un Notre Dame des Landes bis, brèche ouverte dans l’imaginaire de la lutte. Le Département ment ? La Zad du Lien s’installe. Parfois le mélange de ces ingrédients est victorieux. D’autres fois la barbarie sous forme d’entrepôt, de route ou de parc de loisirs écrase tout. Mais encore plus souvent, tant les fronts sont nombreux, personne n’a le temps de s’insurger qu’on apprend à Montagnac le lancement d’un nouveau golf ou à Florensac des méga-bassines pour sauver le vin majoritairement destiné à l’export. Mais alors, face aux avalanches de projets irresponsables, où trouver le point de bascule s’il “ne se fera pas territoire par territoire” comme le signale Kevin Vacher ?

Du particulier au politique. Du temps pour la lutte. De la joie en son sein.

Et c’est ici finalement que les perspectives sont plus joyeuses. Car en peu de temps des collectifs qui se pensaient dans des configurations uniques tant elles peuvent être ubuesques se retrouvent. A l’instar de “La Déroute des Routes” regroupant un cinquantaine de collectifs d’un peu partout en France dont le SOS Oulala est membre et qui pousse pour un moratoire national sur la construction de nouvelles routes. Hélène, du collectif ajoute qu’au delà du moratoire, l’idée est surtout d’échanger sur ses informations, ses pratiques. Des rendez-vous si dangereux pour la tranquillité publique qu’ils en mettent régulièrement les renseignements en alerte (imaginez, des dizaines de personnes qui boivent du café dans un mas et épluchent des consultations. Brr.).

En parallèle de cela, Kevin Vacher note l’importance de “la stratégisation du temps”. Les adversaires comptent sur l’épuisement, sur les procédures et l’usure. Pour cela “il est nécessaire de repenser le travail, salarier des personnes, nous devons repenser notre vision du travail”. C’est le militant qui le dit ici, plus que le chercheur.

Un dernier horizon évoqué par Kevin Vacher, et non des moindres. Dans les luttes, les rencontres mettent à la même table des personnes qui ne se seraient jamais croisées ailleurs. Vous qui nous lisez et êtes ou avez été d’une ou mille luttes, vous avez probablement quelques visages en tête et surtout des moments de rires et de partages. Et ces instants de joie partagée, préfigurent souvent la solidarité qui fera ensuite le liant de la lutte. Pour le sociologue, la cohésion de la lutte est souvent à l’image de la cohésion sociale. Nécessaire en tout temps. Alors que la joie demeure et que leurs projets meurent.

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