“Robert Ménard fait tout pour défendre sa police” : entretien avec Daniel Kupferstein

Elian Barascud Publié le 4 décembre 2023 à 17:19 (mis à jour le 4 décembre 2023 à 17:27)
Robert Ménard, maire de Béziers en conférence à Toulouse. Pablo Tupin-Noriega (Wikimedia France)

Pendant presque un mandat et demi, la caméra du réalisateur Daniel Kupferstein s’est posée à Béziers pour y filmer le règne de l’extrême-droite. Il signe le documentaire “Béziers, l’envers du décor”, qui sera projeté en avant-première au cinéma montpelliérain Le Diagonal le jeudi 7 décembre. le Poing a discuté avec lui pour en savoir plus

Le Poing : Comment est née l’idée de ce documentaire ?

Daniel Kuferstein : Je suis arrivé dans la région quasiment au moment ou Robert Ménard a été élu la première fois, en 2013, avec le soutien de toute l’extrême-droite. J’ai commencé à aller en conseil municipal pour voir. C’était en 2014, j’ai été surpris de voir qu’il voulait porter plainte contre Midi Libre pour un article relatant la fermeture de l’institut Boris Cyrulnik en raison de l’“incompatibilité avec une mairie Front National.” Ménard est un ancien de Reporter sans Frontières qui défendait la liberté de la presse, alors j’y ai vu une contradiction qui m’intéressait de manière personnelle. Puis j’ai commencé à lire “Le journal de Béziers”, son bulletin municipal, et j’ai remarqué une différence entre ce qu’il y avait écrit dedans et la réalité des discussions que je pouvais avoir avec les gens sur le terrain.

L. P. : Justement, ce journal municipal occupe une place très importante dans votre documentaire…

D. K. : Oui, le film est beaucoup centré sur ce journal. En temps qu’ancien journaliste, il maîtrise la communication, on le voit avec les affiches sur les sucettes municipales, la page Facebook de la mairie… Ce journal, au début, était tiré à 45 000 exemplaires, distribués gratuitement, donc aux frais des contribuables. Puis en 2020, quand il est devenu président d’Agglomération, c’est devenu “le journal du Bittérois” , ça a été tiré à 70 000 exemplaires. C’est pour lui un outil de propagande.

L. P.Votre documentaire est découpé en deux parties d’une heure et demie chacune, pourquoi ce choix ?

D. K. : J’ai commencé à filmer des petites choses, comme le conseil municipal, puis il l’a interdit alors que c’est illégal. Le “vrai” tournage s’est déroulé entre 2019 et 2021. Mais en 2022, il a fait son “mea culpa” à propos des affiches sur les migrants syriens donc on a ressorti les caméras. Au début, je voulais faire trois parties d’une heures, sur la gestion municipale, le côté identitaire discriminatoire blanc catholique et sur son contrôle sur la ville avec les pressions sur les opposants. J’avais peu que ça soit un peu long, j’ai présenté une version de deux parties d’une heure et demie, les gens m’ont dit que ça allait, qu’il y avait une logique. Mais on va travailler sur une version plus courte pour les salles de cinéma, il n’y a que Spielberg qui peut faire des films de trois heures (rire) !

L. P. : Vous parlez de ce “mea culpa”, concrètement, ça a changé quelque chose sur sa politique à Béziers ?

D. K. : Il a parlé de “faute”, mais concrètement ça ne change rien à la réalité du terrain et de ce qu’on observe. Récemment, il s’est rendu sur un kibboutz en Israël, il a dit qu’il soutenait pleinement Israël, qu’il ne fallait pas un cessez-le-feu pour combattre le Hamas. Il a également dit que Marine Le Pen n’était pas antisémite, mais que Jean-Marie Le Pen l’était. Pourtant, il a écrit un livre “Vive Le Pen”, en le défendant très fort et en disant qu’il n’était pas antisémite. C’est le dernier évènement qui m’a frappé. Son mea culpa, c’était au moment de l’invasion russe en Ukraine, il a dit ça juste parce que Béziers accueillait des réfugiés ukrainiens. Mais il n’a jamais rien dit de tel pour les autres réfugiés, parce que les ukrainiens sont blancs et chrétiens. On parle d’un maire qui fait une “féria du cochon” le premier jour du Ramadan quand même…

L. P. Robert Ménard tient beaucoup à encadrer toute sa communication. Avez-vous eu des difficultés à tourner le film ?

D. K. : Il y a une place à Béziers, la place Jean-Jaurès, que Ménard a fait refaire. Il a supprimé les bancs pour s’assoir, et il y est désormais interdit de s’assoir, des caméras surveillent le lieu et la police intervient rapidement. Quand on s’est mis à filmer sur cette place, la police nous a dit que c’était interdit de filmer sans autorisation, alors qu’on a pas besoin d’autorisation pour filmer dans l’espace public.

L. P. : Certains militants et observateurs parlent de Béziers comme un laboratoire d’expérimentation politique de l’extrême-droite en vue d’une éventuelle arrivée au pouvoir en 2027. Que pensez-vous de cette analyse ?

D. K. : Je ne sais pas, par contre on s’aperçoit que ce qu’il se passe à Béziers se retrouve aussi dans d’autres villes gouvernées par l’extrême-droite comme Perpignan ou Beaucaire, notamment la présence de crèche de Noël dans l’enceinte de la mairie. A Béziers comme a Beaucaire, les maires ont débaptisé la rue du 19 mars 1962 en référence aux accords d’Evian marquant la fin de la guerre d’Algérie. Ménard l’a remplacé par le nom d’un partisan de l’Algérie française, à Beaucaire ça a été remplacé par le nom d’une rue faisant référence au massacre d’Oran, ou des français d’Algérie sont morts.

L. P. ; Selon vous, quelle place occupe Robert Ménard au sein de l’extrême-droite aujourd’hui ?

D. K. : Robert Ménard n’a pas de parti, et c’est bien là son problème. Il espérait être dans le wagon Zemmour, mais ça n’a pas marché. Dans le film, on voit un groupement de fin de campagne en 2020 dans son QG, parmi les gens qui l’accompagnent on retrouve Jean-Luc Coronel De Boissezon [professeur de la fac de droit condamné pour avoir participé au commando du 22 mars 2018 qui a frappé des étudiants dans un amphithéâtre, ndlr] et sa compagne, qui sont aujourd’hui militants à Reconquête.

Il s’est retourné vers le RN, mais ça n’a pas marché non plus. On se rappelle de la période ou il avait dit “Béziers ne doit pas être le marche-pied du Front National”. Il a donc essayé de se tourner vers l’aile droite de la Macronie. Il se dit qu’il aurait des ambitions pour la prochaine présidentielle. Il cherche sa voie. De mon point de vue, il veut rassembler les droites extrêmes et se voit au milieu.

L. P. : Dans votre documentaire, on voit aussi Houda Gabsi, la sœur de Mohamed Gabsi, un homme mort entre les mains de la police de Béziers pendant le premier confinement…

D. K. : On est en attente du procès. Robert Ménard fait tout pour défendre sa police, il dit qu’il n’y a pas de problème et que ça va régler la délinquance. Beaucoup de gens savent que la petite délinquance est créée en grande partie par des situations sociales extrême, mais pour l’extrême-droite, ce n’est pas par le social que ça se règle, mais par la répression. On se souvient de son affiche présentant l’armement de la police municipale, “A Béziers, la police à un nouvel ami.” Or, à Béziers, malgré la répression, la petite délinquance continue…

L. P. : dernier coup de com’ en date pour Robert Ménard, la récolte de l’ADN des chiens via leur crottes pour envoyer l’amende à leurs propriétaires, qu’en pensez-vous ?

D. K. : C’est très révélateur de ce qu’il est. Il veut tout contrôler, et règle les choses par la répression.

“Béziers, l’envers du décor”, en avant première au cinéma Le Diagonal à Montpellier (rue de Verdun) le 7 décembre.

Propos recueillis par Elian Barascud

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