Toujours plus nombreux dans la rue à Montpellier : « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 » ?

Le Poing Publié le 31 janvier 2023 à 20:22 (mis à jour le 31 janvier 2023 à 20:48)
Crédit photo : Mathieu Le Coz

30 000 manifestants selon les organisateurs (et à peine moins selon la Préfecture), dans le chef-lieu de l’Hérault. 10 000 à Béziers et 7 000 à Sète (de source syndicale). La deuxième grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites a permis d’en grossir encore les rangs. Mais avec quelles perspectives pour gagner ?

Sous un soleil enfin décidé à faire pressentir qu’il y a un printemps après l’hiver, on a passé un bon bout de la matinée de ce mardi 31 janvier sur les grands axes de Montpellier, à se demander si la mobilisation contre la réforme des retraites avait monté d’un cran. Ou pas. Téléphones portables aidant, on constatait que la queue de cortège quittait la place Zeus, presque au bout d’Antigone, quand la tête attaquait le raidillon du Peyrou en vue de tourner sous l’Arc de Triomphe. Le bras de fer comptable avait rendu son verdict : 30 000 manifestants étaient annoncés à l’arrivée sur la Comédie, par Serge Ragazzacci, secrétaire général départemantal de la CGT. Vite, on apprenait par d’autres canaux l’estimation de la Préfecture, pour une fois étonamment proche : 25 000. En début de soirée tomberont les chiffres nationaux : 1,27 million de manifestants selon la police, 2,8 millions selon la CGT. Dans tous les cas plus encore que le 19 janvier.

Supérieurs de plusieurs milliers à ceux de la manifestation analogue le 19 janvier, ces chiffres montpelliérains calibrent un énorme fleuve humain, d’autant plus appréciable qu’il fait suite à des années de sècheresse dans les résultats des luttes. Ce fleuve a de longs méandres puisants mais tranquilles, et quelques sections plus tumultueuses. Il irrigue un terreau de résistance toujours pas asséché. Dans cet esprit on remarqua deux pancartes. L’une : « Qui aurait pu prévoir la révolte de ceux qui ne sont rien ? ». L’autre : « Ne soyons pas, sans résistance, les instruments de leur démence ».

Ces grands rassemblement syndicaux se ressemblent toujours : calicots pré-imprimés, répertoire musical puisé à la chanson à texte frottée de rap indépendant, suite de cortèges fédéraux où la CGT marque sa supériorité en masse et en tête, Force Ouvrière ne manque pas non plus de bataillons, la CFDT ne mobilise pas sur le pavé en proportion de ce qu’elle engrange au fond des urnes, et les Solidaires bien plus modestes en nombre redoublent de détermination expressive.

On consignera la parfaite unité de mot d’ordre intersyndical : « La retraite elle est à nous – On s‘est battu pour la gagner – On se battra pour la garder ». Et sur la banderole : « Pas un jour de plus – Pas un euro de moins ». Commme d’habitude, le secteur public est archi dominant. On se réjouit d’autant de voir apparaître des entreprises qu’on n’imagine guère propices à l’action syndicale : un bon noyau de la Fnac, mais aussi des Galeries Lafayette. On se réjouit encore lorsqu’un établissement se présente uni – par exemple le lycée Jean Mermoz – et non pas saucissonné en chapelles syndicales. On note encore cette protestataire, bien seule : « Infirmière suspendue – Cotisations interrompuesRetraite qui diminue ». Puis cette indication lapidaire : « 500 jours ! » Il faut aussi y penser.

Quand on est Montpelliérain, ça fait chaud au coeur d’accueillir les voisin.es, venu.es en unions locales (CGT), de Lunel, de Lodève et Clermont, ou de Ganges aussi. Outre les Solidaires, tout en fin de cortège, les secteurs bouillonnants sont quand même peu nombreux : les étudiants de Paul-Va, levés tôt pour un premier cortège de leur fac jusqu’à Antigone (non mais…), talonnés de près par le NPA, ou encore le mouvement de Montpellier contre la vie chère. Le Poing reviendra très prochainement sur ces deux composantes de la lutte, qui se montrent les plus déterminés en vue d’un blocage effectif du pays pour faire céder le pouvoir. Les jeunes crient : « Lutte – Blocage – Grève générale – Etudiants, travailleurs, tous ensemble, on leur fait peur ! »

Etudiants, travailleurs… Un parfum de Mai 68 ? On en revient aux pancartes faites mains, plus spontanées, inventives, que la promo formatée des orgas syndicales. Justement celle-ci : « Tu nous mets 64. On te re-Mai 68 ». Celle-là : « Je cours moins vite qu’en 68 – Mais je crie plus fort ». Question sociale de générations solidaires : « Jeunes et retraités en bande organisée ». Philosophie de vie : « J’adore mon métier – Mais je préfère ma vie ». Et cela dans toutes les humeurs : « La retraite à 20 ans – Il faut du temps pour baiser ». Autrement dit : « La retraite, c’est de la bombe – Pas dans la tombe ».

Les révoltes intactes : « Pour mami, taxez les super-profits ». Les analyses implacables : « Non au salariat », mais encore : « Non à l’état ». Et « Non à la dictature économique – Le peuple souffre – On a faim, froid, peur ». De solides restes de lutte des classes, avec « La grève, c’est la force des salariés », quemartellent les cégétistes de Pole Emploi, plein.es d’ardeur. La grève ? Mais laquelle ? Il faut y venir : « Grève générale, ou on crèvera en particulier » a écrit l’un. Une autre indique : « Maintenant c’est possible – Grève reconductible ».

Mais les prises de parole de fin de rassemblement sont restées assez évasives sur la question des moyens de lutte. Pour la CGT, Serge Ragazzacci n’a pas redit ses idées du 19 janvier sur la montée en puissance sur le terrain. Le commentaire, certes combatif, est resté général, auto-persuasif : « Nous devons nous inscrire dans la durée, dans la lutte, les manifestations, les grèves. La mobilisation est à venir ». Là, un très fort appel à un possible mouvement de la jeunesse. Pour conclure : « On va gagner, on va tenir ». Tonalité finalement très voisine chez Force Ouvrière : « On est incontournable. On a voulu nous mettre de côté. Mais on est là. Vous verrez, ils vont lâcher ». La F.S.U. l’assure aussi : « Tous les ingrédients sont réunis pour gagner ». Oui mais comment ? Oui mais que faire ?

Le pouvoir a-t-il peur ? La reproduction d’un modèle de Mai 68 ne se décrètera pas. A l’époque, peu avant le déclenchement des événements, un éditorial du Monde, resté célèbre, pontifiait sous ce titre : « La France s’ennuie ». Et, en octobre 2018, qui aurait prévu le mouvement des Gilets jaunes ? Ces derniers étaient fidèles au rendez-vous de ce 31 janvier 2023. Mais comme en signe de souvenir, qui ne fait plus masse.

Concrètement, Sud-Education avait suspendu, ce mardi matin, une gigantesque banderole au-dessus du cortège, depuis les murs de l’ancienne usine à gaz, cours Gambetta. Cela pour dire : « Maintenant dans la rue, tous ensemble – Grève générale reconductible ». Une Assemblée pour en débattre était proposée à 15 heures à la Maison des syndicats. Les participant;es s’y sont estimé.es trop peu nombreux.ses pour légitimer en leur seul nom une action autonome. L’arrivée des prochains congés scolaires n’arrange rien. D’où la décision de s’en tenir au calendrier de lutte de l’intersyndicale interprofessionnelle nationale (deux nouvelles mobilisations viennent d’être annoncées, les 7 et 11 février). Non sans se ranger aux côtés des secteurs qui s’y annoncent les plus déterminés (EDF, cheminots, raffineries, avec 72h de grève prévues par les fédérations CGT de l’énergie et du pétrole à partir du 6 février)

Au soir de ce 31 janvier, les moyens de se battre, les moyens de gagner, semblent aussi incertains que le besoin de se mobiliser a été manifestement démontré.

Crédit photo : Mathieu Le Coz

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