Une soirée pour libérer l’info : retour sur les états généraux de la presse indépendante
Jeudi 30 novembre, Le Poing était à Paris avec plus de cent médias indépendants, des organisations et collectifs de journalistes pour porter des revendications sur les médias. On vous fait un debriefing de cette soirée, organisée à l’initiative du fonds pour une presse libre
“Macron a lancé ses états généraux de l’information, mais on n’a pas été invité, alors autant faire notre contre-soirée !”, résumait avec humour un camarade journaliste indépendant précaire (pléonasme ?) il y a quelques semaines.
Il faut dire que le dispositif élyséen sur les médias, promesse de campagne de Macron pour “remettre les citoyens au cœur de l’info”, ne fait pas rêver : Mediapart révélait le 30 novembre dernier que la première étape de cette concertation, à Auxerre, n’avait guère attiré les foules… Rima Abdul-Malak, la ministre de la Culture, a elle-même annoncé que ces états généraux ne seraient pas “un grand soir législatif”. Bref, on sentait venir l’opération de com’ aux allures de “grand débat” organisé pendant les gilets jaunes… Où les médias indé n’ont évidemment pas voix au chapitre.
Alors, il fallait bien qu’on réagisse, qu’on s’organise. C’est ainsi que le Fonds pour une presse libre, créé en 2019 pour sanctuariser le capital de Mediapart et pour soutenir financièrement des titres indépendants, a sollicité, via un appel lancé le 3 octobre dernier, toute la galaxie des médias indé, des organisations syndicales, des collectifs et associations de journalistes, pour organiser les états généraux de la presse indépendante.
Pendant quelques semaines, plusieurs groupes de travail ont planché sur des revendications portant sur quatre axes : la concentration des médias, l’actionnariat et le droit des rédactions, le renforcement du droit à l’information (protection des journalistes, lutte contre les procès-baillons et pour l’accès à l’information des journalistes), la lutte contre la précarisation de la profession et la réforme des aides publiques à la presse.
La liste des 59 propositions élaborées par les groupes de travail est disponible sur le site du Fonds pour une presse libre.
Une soirée riche et dense
Arrivés dans l’espace Reuilly (12e arrondissement), le Poing était d’abord ravi de retrouver les copaines rencontré.es aux assises de la presse pas pareille et de tenir une table de presse avec elles et eux : Le Chiffon et leur joyeux journaliste/commercial Gary au bagout impressionnant, nos complices clermontois de Mediacoop, l’Âge de Faire, la revue écolo Silence, les anars niçois de Mouais, le chien rouge de CQFD… Côté Montpelliérain, on y a retrouvé l’Agglorieuse et le pure player culturel Lokko, ainsi que le média national Rapports de Force, basé (en partie) dans le Clapas.
Tout ça sans oublier les rédactions parisiennes de l’écosystème de la presse indépendante : Mediapart, Politis, Streetpress, Reporterre, Au Poste, le média du journaliste David Dufresne, qui a animé l’événement aux côtés de Nora Bouazzouni… (La liste complète des participants est à retrouver sur le site du Fonds pour une presse libre).
Une soirée riche en retrouvailles et en rencontres donc, mais aussi en débats : après une présentation, un hommage a été rendu aux journalistes tués durant le conflit Israélo-palestinien, suivi d’une discussion sur la nécessité (et la difficulté) d’apporter une info indépendante sur des zones de guerre.
Sur les financements, Mathieu Molard, rédacteur en chef de Streetpress, a raconté le développement de son média, le Crestois, journal drômois, a expliqué comment le journal avait été racheté en coopérative par les salarié.es, et Splann, média d’enquêtes breton, nous a parlé de sa structuration.
Concentration des médias et rapports aux grandes entreprises du numériques ont également été abordés, notamment avec des syndicats de la profession, ainsi que l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les rédactions. L’AJAR, l’association des journalistes antiracistes et racisé.es, est également venu évoquer les discriminations dans le journalisme.
A propos de la précarité des journalistes, problème ô combien important et quotidien dans la rédaction du Poing ainsi que dans tellement d’autres, Camélia Kheiredine, jeune journaliste, est venue témoigner des contrats en CCD d’usages, illégaux dans la presse mais pourtant très utilisés, comme par exemple à France Télévisions, et de leurs conséquences sur le moral et les finances des jeunes journalistes.
Point intéressant encore, un échange loin de faire consensus sur la place des pigistes (journalistes payés à l’article, donc encore plus précaires que ceux mensualisés en rédactions) : là ou la principale association de représentation de ces derniers, profession pigiste, plaide pour une augmentation des tarifs, Macko Dragan, anarcho-punk à chat journaliste au Mouais, est venu plaider pour une revendication du tout jeune Syndicat de la presse pas pareille : créer un statut d’intermittent de la pige, semblable à celui des intermittents du spectacle, pour lisser sur l’année le temps de travail et des revenus par essence irréguliers et mieux rémunérer les temps passés à retranscrire des entretiens ou à se déplacer entre deux rendez-vous.
Une proposition que ne partagent forcément pas les autres syndicats, pour qui le ou la pigiste doit rester salarié.e (avec ses avantages et cotisations sociales, fruit d’années de luttes syndicales), et qui se battent contre les attaques des patrons de pesse voulant trop souvent rémunérer les pigistes comme des auto-entrepreneurs ou des artistes-auteurs.
L’intégralité de la rediffusion du direct de la soirée est disponible sur Youtube.
Et maintenant ?
Passé l’euphorie de se retrouver tous ensemble pour discuter, que faire maintenant ? Des actions sont en cours pour porter les revendications élaborées collectivement, et des déclinaisons régionales de ces états généraux s’organisent, pour intégrer le public à celles-ci. De notre côté, on se retrouve ce vendredi 8 décembre, au Quartier généreux à Montpellier, avec nos camarades de Rapports de Force, pour continuer le débat !
Elian barascud, journaliste d’un petit média indépendant précaire (pléonasme ?)
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