Montpellier : la marche des sans-papiers rappelle qu’ils sont eux aussi “premiers de corvée”
Malgré l’interdiction préfectorale prononcée, et qui est parvenue aux oreilles des collectifs organisateurs la veille au soir seulement, entre 3 et 400 personnes se sont retrouvées ce samedi 20 juin devant la préfecture de Montpellier. Parmi eux, de nombreux sans-papiers, et beaucoup de leurs soutiens locaux. Et pour cause : le rassemblement du jour visait à alerter sur la situation des clandestins en France, encore aggravée par la crise sanitaire et le confinement. Comme à Paris, ou des milliers de personnes se sont encore une retrouvées à l’appel de la Marche des Solidarités, ou dans d’autres grandes villes de France, les mots d’ordre des manifestants sont somme toute assez simples : des papiers pour tous, un logement décent, et la fermeture des Centre de Rétention Administrative !
“Ca a été l’horreur ! Te rendre compte que tu n’as absolument droit à rien !”
Place des Martyrs de la Résistance, au départ du défilé montpelliérain, on sent l’influence de tous les frémissements de la période : ici une pancarte estampillée “Documents for all matter”, en référence au slogan Black Lives Matter brandit lors des cortèges contre le racisme et les violences de la police, partout dans le monde. Là un sans-papiers, carton demandant des papiers au cou, qui porte un gilet jaune… On pense à Rachida Dati, en plein confinement , avec cet obligatoire aveux bourgeois, pour acheter une forme de paix sociale menacée, “les gilets jaunes tiennent le pays à bout de bras”. Comme si ce gilet jaune en quête de régularisation voulait se rappeler à la mémoire de tout un chacun, en tant que “premier de corvée”, quand le débat sur l’immigration porte trop souvent, et d’une manière bien hypocrite, sur la notion d’”intégration”. Car si l’on parle d’intégration par le travail, ces sans-papiers le sont, intégrés, incontestablement… C’est la voix que beaucoup tenaient à faire entendre, au micro tendu avant le départ de la manifestation : on y demande une prise en compte de “la contribution des sans-papiers et migrants au travail qui a permis, pendant cette période de crise sanitaire, et permet tous les jours à ce pays de fonctionner”. Parce qu’ils ont été “en première ligne pendant la crise, exploités dans les pires des conditions dans des secteurs qui ont continué à tourner (nettoyage, livraison, bâtiment, service à la personne, restauration…)”.
Un discours, une symbolique hautement politique, qui vient donner plus de relief à de très légitimes préoccupations humanitaires, et qui sait désigner la violence des conditions faites à ces personnes comme dispositif d’exploitation, encore accru par la peur. Peur de la police, peur des contrôles si on fait trop de bruit, par rapport à des conditions de travail particulièrement indécentes par exemple. Une sensation résumée par cette pancarte, qui affiche un “être sans-papier aujourd’hui, c’est comme vivre en enfer”.
Fin mai déjà, Le Poing en parlait, interrogeait Mohamed, en situation irrégulière depuis 11 ans, et qui après quatre ans et demi de turbin pour le même patron, quatre ans et demi de cotisation pour les caisses de couverture sociale aussi, n’a du fait de son statut aucun droit au chômage… De quoi tordre le coup à l’idée reçue selon laquelle on viendrait en France profiter des allocations. Mohamed, qui nous laissait un commentaire sur la période de confinement : « Ça a été l’horreur. Te rendre compte que tu n’as droit absolument à rien. Aucun chômage partiel. Aucune allocation familiale d’urgence. Aucune possibilité de dérogation de sortie pour le travail, puisque tu peux pas fournir aucun document. La crainte de se faire coincer. Emprunter à qui on peut pour payer le loyer à 600 euros. Une situation catastrophique ! »
Malgré ce constat, beaucoup de bonne humeur, de chants, de gniaque au final dans le cortège qui s’ébranle vers la place de la Comédie. Là-bas, après quelques discussions sur le parvis de l’Opéra, petit à petit les manifestants se dispersent.
“Dublinage”, augmentation des délais d’instruction, placements en CRA : le cauchemar administratif !
Administrativement parlant, le cauchemar n’a de cesse de s’approfondir. Côté demandeurs d’asile par exemple, le rapport annuel de Forum-réfugiés Cosi portant sur l’année 2019 le souligne, les délais d’instruction sont encore en hausse : 325 jours en moyenne, contre 307 en 2018 ! Avec la grande précarité de logement qui l’accompagne, puisque le chercheur Matthieu Tardis estime que moins de la moitié des demandeurs d’asile sont hébergés dans le cadre du Dispositif National d’Accueil, le reste se partageant entre campements de fortune et squats insalubres !
D’autant que depuis plusieurs années maintenant, les demandeurs peuvent être soumis au règlement Dublin, qui prévoit notamment que les réfugiés soient dépendants d’un seul Etat de l’Union Européenne, déclaré responsable de sa demande d’asile. Problème : le pays responsable est le premier pays dans lequel la personne a laissé ses empreintes digitales. Soit le pays d’entrée, classiquement l’Italie ou la Grèce. Ce qui réduit très fortement le choix des réfugiés. Ceux-ci peuvent par ailleurs être “transférés” vers le pays responsable de leur demande d’asile si attrapés sur un autre territoire, avec détention administrative dans les CRA en amont pour que les autortiés les aient à portée de main…
Pour ce qui est des conditions de vie dans les fameux Centre de Rétention Administrative, elles y sont exécrables, d’autant que l’accès au CRA de Sète a été restreint pour les avocats des détebus. Le Poing publiait en juillet 2018, puis en octobre de la même année, une série de témoignages de migrants enfermés à Sète, à lire de toute urgence pour comprendre l’urgence qu’il peut y avoir à en finir avec eux !
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :