« Dans la tête des black blocs » : entretien avec Thierry Vincent
Dans son livre paru début septembre, le journaliste Thierry Vincent propose un récit immersif qui démonte les idées reçues relayées par les médias et les politiques sur cette modalité d’action en manifestation
À l’occasion de sa venue à Montpellier pour présenter son livre « Dans la tête des black blocs, vérités et idées reçues » au Barricade le 14 octobre dernier, Le Poing s’est entretenu avec le journaliste Thierry Vincent pour parler black bloc, extrême-droite et discours médiatiques.
Le Poing : Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez eu l’idée d’écrire ce livre sur la pratique du black bloc ?
Thierry Vincent : Cela fait longtemps que je m’intéresse à l’ultra-gauche. En 2008, au moment de l’affaire Tarnac, je bossais à Canal+ pour Spécial investigation. J’avais proposé un sujet car je ne croyais pas la version du procureur à l’époque, j’avais donc fait un reportage qui démontait la thèse policière.
Puis j’ai été contacté par des gens de ce milieu là qui avaient envie de parler. Ils se méfient des journalistes, à juste titre, mais certains avaient envie de parler, j’ai commencé à tisser des liens. Comme J’ai toujours été contre l’extrême-droite, j’avais fait un sujet sur la mort de Clément Méric, là aussi je me suis fait des contacts.
En 2016, pendant la loi travail, c’est la naissance du « cortège de tête », on a découvert en France ce qu’était que le black bloc. J’avais fait un sujet pour Envoyé Spécial, qui s’appelait « Nous sommes tous des casseurs », donc j’allais en manif’ dans le bloc. Quand t’es correct, ils laissent faire, je demandais à filmer de dos, puis j’ai eu des entretiens anonymisés pour que les gens expliquent leur démarche.
J’ai démonté le récit médiatique de cette soit-disant frontière hermétique entre gentils manifestants et casseurs. Ce n’est pas une organisation, mais une une pratique militante. Il y a des gens qui peuvent le faire juste une fois et arrêter, d’autres qui mettent une cagoule mais ne font rien, ils font juste masse.
Quand les gilets jaunes sont apparus et qu’on a encore vu des black bloc, je me suis dit que c’était un phénomène certes minoritaire, mais très profond, qui découle d’un certain discrédit des partis politiques et des syndicats. J’ai donc décidé d’en faire un livre.
L.P. : Vous choisissez une forme de récit immersif, où vous utilisez la première personne du singulier. Pourquoi ce choix ?
T.V. : Je voulais pas faire un truc universitaire chiant, mais un truc facile à lire pour viser le grand public. Je n’ai pas voulu faire un livre militant, même si je ne cache pas ma propre subjectivité. C’est une étude clinique avec un aspect historique, et des témoins qui racontent cette période là, depuis le black bloc allemand des années 80, pour expliquer ce que c’est.
L.P. : On sent que votre but est avant tout de déconstruire les clichés, notamment médiatiques, autour du black bloc.
T.V. : C’est un peu ça qui m’a donné envie d’écrire le bouquin, les médias disent n’importe quoi. Après, le black bloc donne un spectacle que les médias veulent voir, ça suscite beaucoup de fantasmes. Quand on les écoute on a l’impression que le black bloc c’est Attila, qui saccage absolument tout sur son passage, alors que non, la casse est ciblée sur des choses bien précises, à savoir les symboles du capitalisme, comme les banques par exemple. Le black bloc n’irait jamais casser la vitrine de l’épicier du coin, car les militants savent que c’est lui aussi un prolétaire qui subit le système capitaliste.
Le meilleur exemple de cette désinformation c’est la pseudo-attaque de l’hôpital Necker pendant la loi travail, qui a été relayée en boucle. L’hôpital n’était en réalité pas une cible de la casse. Autre exemple : pendant une manifestation parisienne contre la loi sécurité globale, une journaliste avait dit sur une chaîne d’info que tous les restaurants d’une rue avaient été saccagés. Je suis passé voir le lendemain dans la rue en question, je n’ai rien vu de tel, c’est exaspérant. Il y a tout un discours médiatique à déconstruire, les black blocs ne sont dangereux que pour les vitrines de banques.
Bien sur, il y en a qui s’attaquent aux policiers, mais pas comme individus, plutôt comme un bloc ennemi qui a des objectifs contraires aux leurs dans une guerre sociale.
Il y a aussi tout un discours complotiste, dont Mélenchon est spécialiste, qui conduit à dire que les black blocs sont en fait des policiers infiltrés, mais c’est faux. C’est d’ailleurs la seule chose sur laquelle policiers et black blocs sont d’accord *rire*.
D’ailleurs, pour mon livre, j’ai parlé avec des policiers, et en fait, c’est eux qui savent le mieux ce qu’est le black bloc. Les services de renseignements font très bien leur boulot de ce côté-là, et savent même prévoir un nombre de militants usant de la pratique du black bloc avant une manifestation. Ils ont très bien conscience que ce sont des militants politisés qui ont un mode d’action spécifique. Un CRS m’a expliqué qu’eux-mêmes faisaient clairement la différence entre un black-bloc, politisé avec des objectifs précis, et un casseur qui se moque des mots d’ordres et revendications de la manifestation et qui vient juste piller des magasins et semer le chaos. Il y a une différence.
L.P. : Vous travaillez également beaucoup sur l’extrême droite. Mercredi 12 octobre, vous étiez invité à une conférence sur ce sujet à l’université Paul Valéry par Solidaires Étudiant.e.s, comment avez-vous été invité ?
T.V. : J’ai des liens professionnels avec des groupes antifascistes locaux et des syndicats car ils sont de très bonnes sources d’information. J’avais vu passer une agression d’extrême-droite en avril dernier à la fac de Montpellier et j’ai été invité pour venir en discuter. La jeune garde (collectif antifasciste, ndlr) était également présente à la conférence.
Des attaques d’extrême-droite comme ça, il y en a plus en province qu’à Paris, et de manière générale, le traitement médiatique est plus défavorable et fort sur l’ultra-gauche que sur l’ultra-droite. Vous à Montpellier, c’est un climat particulier d’une extrême-droite violente implantée dans une ville pourtant de gauche, notamment avec La Ligue du Midi. L’affaire du 22 mars 2018 qui s’est produite chez vous est assez emblématique d’un sentiment d’impunité chez ces militants.
Thierry Vincent – Dans la tête des blacks blocs, vérités et idées reçues. Éditions de l’Observatoire, 208 pages.
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