Archives - Littérature 23 mars 2017

Arc-en-ciel poétique à bicrave

bicrave

A l’heure des schlags, des fêtards et des damnés en tout genre, je vagabonde dans les ruelles sombres de Montpellier en compagnie de Chopin. Le piano guide mes pas. Je suis l’un d’eux. Un rat des villes fuyant sa servitude volontaire. Un animal politique, entièrement vêtu de noir, avec un arc-en-ciel planqué dans le sac à dos et une armée de poèmes sous la capuche. D’ailleurs, cette nuit, l’absence de lune m’inspire. Ma créativité destructrice va pouvoir enfin s’exhaler.

En chemin, traversant la solitude des rues adjacentes au centre-ville, seul le cri perçant d’un clochard ivre se distingue. C’est Jim. Le fou du quartier. Il y’en a toujours un. Un être trop sensible pour supporter la violence de la vie en société, mais pas assez aliénés pour étouffer ses récriminations. Planté droit au milieu d’une place, les bras ouverts vers le ciel, « Je vous le demande, à vous peuple responsable de la mort des Cieux ! Qui a la qualité de cœur de Simon de Cyrène ? » répète-t-il à tue-tête. Personne ne lui répond. Et à la vue de ma silhouette se dessinant dans la pénombre, il se tait soudainement. Le temps que ses yeux, vide d’un certain cartésianisme, me scrutent de haut en bas. « Et toi alors ? » finit-il par me demander poliment. Je lui souris. Comme d’hab, je n’ai qu’un un peu de tabac et tout mon courage à lui offrir. Il me tend la main. Je lui prends, ressentant, brusquement, au contact de sa peau sèche et aigre, la profondeur du mal-être l’habitant. J’en suis navré. Sincèrement, l’instant d’un échange. Avant que, trois cents mètres plus tard, je ne l’oublie appelé par l’impunité de la nuit…

bicraveTous mes sens sont désormais en éveil. Mis en avant par la lueur du réverbère, à l’angle de la rue de la Méditerranée, un mur blanc se dresse devant moi. C’est un blanc plutôt alléchant, me dis-je respirant son odeur de peinture fraîche. Discrètement, je me rapproche jusqu’à pouvoir frotter mes doigts contre la surface, la caressant comme on caresse les courbes de celui ou de celle qu’on aime. Elle semble parfaitement lisse. Je guette autour de moi, la tranquillité règne, un sourire malin se dessine sous mon bandana.J e vais enfanter ce mur vierge avec concupiscence. Sortant, de ma poche, un marqueur sauce goudron, je le pose contre mon espace publicitaire accaparé. La mine glisse, l’encre coule, c’est jouissif. Je tatoo la rue d’une punchline « Cette nuit, aucune lune à l’horizon, un mégalo l’a décrochée », sans oublier de signer mon blase ainsi que celui de mon crew. Un geste s’exécutant avec rapidité, fluidité et précision. A force de le répéter, il m’est naturel. L’ego comblait de sévir en ces terres, je le sais. Demain, mon nom d’affranchis violera la rétine des passants…

bicraveMais à peine ai-je le temps d’exalter, qu’une voix féminine m’interpelle en me criant : « Oh les graffitis ! ». « Ouais et alors ? » que je rétorque instinctivement sans me retourner. J’attends… Pas de réponse… Dommage… je débattrai une prochaine fois de la pratique vandale du tag, me dis-je exaspéré par l’usage à tort du mot « graffiti » prouvant son ignorance. Par curiosité, je jette un coup d’œil vers sa direction. Une femme seule fumant une clope au balcon de l’immeuble d’en face me regarde. Je lui souris. « Franchement, qu’est-ce t’en as foutre d’un peu de poésie dans ta rue alors que tu bouffes plus de deux-mille pubs par jour sans ton consentement ? » ai-je envie de lui demander. Mais elle est triste. Elle l’est pour ne pas être couchée à cette heure tardive. Sa posture le démontre bien. J’ai vu trop de femmes éplorées dans l’obscurité d’une lampe de chevet pour me fourvoyer. Malgré la distance, je peux deviner ses larmes couler du deuxième étage, s’éclatant ensuite sur le bitume. Mari ne sachant pas tenir sa queue ? Spirale sans fin d’un crédit revolving ? Cancer du sein ? Un peu tout ça ? Bref, peu m’importe. « Bonne nuit m’dame ! » que je lui souhaite avant de partir, ne désirant pas qu’elle stigmatise les tagueurs comme étant des jeunes mal élevés.

bicraveAprès quelques surfaces vandalisées, autant par frénésie que par souci de redonner toutes ses lettres de noblesse à l’origine du mot « publicité », rendre visible le public dans la cité, j’arrive à l’heure au point de rendez-vous. Devant la Caisse d’Epargne de la place Chaptal. Asch, cet enculé, n’est pas là. Point surpris, je m’assoie sur ce banc en observant les nouveaux blases posés dessus. Machinalement, histoire de tuer le temps, sélectionnant du Anton Serra dans ma playlist, je sors une petite boite en forme de tête de Lego rangé dans le fond de mon sac. Je l’ouvre. Dedans, se trouvent un pochon de weed et le reste de speed d’une soirée dionysienne. Un peu de motivation et de courage ne me ferait pas de mal. J’en connais qui sont tombés pour moins que ça… me dis-je en plongeant les doigts dedans afin de me rassurer. J’en attrape une boulette, l’étale sur le bout de mon index, puis la fourre le plus profondément possible dans mon tarin. Je renifle un grand coup. Un mélange de morve et d’acidité glisse instantanément le long de ma gorge. Putain que j’aime ça ! Sentir le goût de la came passer, l’excitation de savoir que la défonce arrive… Je renifle donc, encore et encore, jusqu’à ce que la dernière goutte d’acidité ne s’estompe. Apaisé, il ne me reste plus qu’à me concentrer sur ma prochaine tâche. Effriter la fleur que le chaman du coin de ma rue m’a troqué contre mes derniers pecus. Amen.

Je coupe Hugo TSR en plein couplet, Asch est enfin là. L’enculé a quatre chansons de retard. Je le check, avant de tirer une dernière taffe sur le pétard, puis de lui tendre en grognant. « Merci ma couille ! Tu vois, c’est pour avoir un oinj déjà roulé que j’arrive toujours à la bourre ! », s’excuse-t-il à sa façon en le prenant. Ses doigts sont pleins d’encre, l’animal s’est fait plaisir sur la route. Je le sais. Pour lui aussi, la ville n’est qu’un terrain de jeu, qu’une toile vierge géante appartenant au premier clodo qui le souhaite. Et ce soir, elle est à nous. Deux enragés philanthropes.

bicrave« – T’as tout ce qu’il faut mecton ? que je lui demande d’une voix aussi nerveuse qu’excitée.
– T’inquiète… Tu le sais, j’suis ton gars sûr ! me répond-t’il en soulevant son gros sac de sport noir pendu à sa main.
– Aussi sûr qu’hier soir ?! Bâtard…! Tu m’as laissé seul comme un chien dans ce traquenard…!
– Ne te formalise pas…
– Bâtard !
– Sinon t’as choisis quoi finalement comme punchline ?
– ‘‘Allez tous vous faire réguler’’. C’est dans une chanson de Volo, j’me suis dis que je ne trouverais pas mieux… Et j’ai pris un dégradé marron-gris-blanc, ce sont des couleurs qui vont plutôt bien avec le rouge. Je pensais faire des traits et des gouttes d’éclaboussures un peu partout, avec aussi quelques giclées de noir pour faire ressortir le côté brutal…
– Mmm… Pas mal ! me répond mon Asch en acquiesçant de la tête.
– Et toi, du coup, pour la prochaine, t’as choisi quoi ?
– Moi, j’vais faire dans le sale…! J’ai pris mon extincteur pour en foutre partout ! Y a plus que comme ça que je kiffe…! Et sinon, j’pensais écrire, par dessus, un truc du genre “Oups” !
– Si si…! » que j’acquiesce à mon tour.

On se sourit d’un air complice et malicieux. J’enlève donc mon sac à dos de mes épaules. J’y prends mes bombes de peinture, espérant reproduire à la perfection mon œuvre d’art en tête. Asch ouvre également le sien. Délicatement, il y sort une masse, qu’il empoigne par conviction. Caressant ensuite, avec entrain, le bout de métal parallélépipèdique, il me répète son fameux adage emprunté au Che :
« – Tu le sais, les moyens d’action des opprimés sont déterminés par celui des oppresseurs !
– Ferme-là ! » que je lui réponds dépité, me moquant de son manichéisme habituel. Même si, dans le fond, l’animal n’a pas tort. Face à un certain totalitarisme, l’État ne détient plus le monopole légitime de la violence physique, surtout si celui-ci participe à cette servitude… Et j’ai l’impression que, parfois, discuter dans cette démocratie faussée ne sert plus à rien, sauf à cautionner l’illusion du débat… Impatients, nous ne traînons pas. Plantés devant cette banque, les artistes de rues que nous sommes avons un arc en ciel poétique à bicrave…

Merlin

Crédits dessin : Amiche

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